Tropiques Criminels ou un crime de représentation
Fin 2019, France 2 a diffusé une série policière inédite : Tropiques Criminels.
La commandante Melissa Saint-Rose originaire de la Martinique est mutée de la métropole à Fort-de-France. Elle fait équipe avec la capitaine Crivelli. Les rapports sont tendus entre les deux policières. Elles sont totalement différentes mais complémentaires.
Le synopsis Wikipedia avait allumé quelques warnings mais j'avais espoir de voir, à défaut d'originalité, au moins un effort dans la représentation. Des efforts il y en a eu, mais ils se neutralisaient mutuellement pour retomber dans les mêmes clichés négatifs véhiculés sur les Caribéens de génération en génération. Voici mon top 5 des clichés que cette série représente.
Une Martinique aux paysages diversifiés
Chaque épisode porte le titre d’un lieu où s’est passé le crime à résoudre. Des villas avec piscine, un commissariat sans climatisation et à la peinture défraîchi, des hôtels de luxe, les bas-fonds de Fort-de-France, la villa, la plage, le jardin botanique, la montagne, la rivière… Tout autant de lieux interchangeables qui ne singularisent pas la Martinique. On aurait pu être en Guadeloupe, en Guyane ou à la Réunion, qui fait la différence ? De la même façon que New York City n’est pas Los Angeles qui n’est pas Atlanta qui n’est pas Londres, pourquoi est-il aussi difficile de donner une identité visuelle à nos îles ?
Une Martinique à la culture limitée
Tropiques Criminels reprend la même dynamique que Meurtres en Martinique de Philippe Niang diffusé en 2016. Le personnage martiniquais noir déraciné qui ne connaît rien de son héritage culturel face au personnage (martiniquais) blanc qui lui explique la culture. D'habitude la mise en situation se limite aux légendes et aux croyances avec un soupçon de difficulté à parler un créole qu’un personnage blanc maîtrise. Dans Tropiques Criminels, je n’ai pas le souvenir que Gaëlle parle créole. C'est Aurélien qui s’en charge. Par contre, Gaëlle a une compréhension parfaite du créole puisqu’elle arrive même à traduire en direct une chanson dancehall… Pourquoi pas ? Mais en même temps, nous avons une Mélissa acculturée. Elle se fait offrir un dictionnaire créole/français par un professeur blanc qui l’invite à sortir avec un mot doux en créole. Pourquoi le forcing pour montrer un créole maîtrisé que par des Blancs ? Pourquoi le créole parlé par les Noirs n’est pas mis en valeur par les personnages noirs ? Pourquoi la culture martiniquaise n’est-elle pas mise en valeur quand elle est portée par les personnages noirs ?
Une Martinique majoritairement blanche
Il y a 5 personnages policiers récurrents dont le médecin légiste. Les Noirs sont en minorité. Les médecins, les directeurs, les professeurs sont blancs. Les employés subalternes sont noirs. Pourq… (SOUPIR).
Les masculinité noires
La télévision perçoit l’homme noir comme une menace. Il faut alors le neutraliser soit en l’isolant, soit en le niaisant, soit en surjouant la virilité. Dans Tropiques Criminels, il n'y a que deux personnages noirs masculins récurrents : Lucas, le fils ado de Mélissa, et le lieutenant Aurélien Charlery.
Lucas est l’opposé de Jade, sa sœur jumelle. Il est en confrontation perpétuelle avec sa mère. Il fume, se fait arrêter, sort avec une quadragénaire alors qu’il a 17 ans… L’ado noir incontrôlable et hypersexualisé. Double check.
Quant à Aurélien, il est toujours prêt à être une oreille attentive, une épaule sur laquelle s’appuyer et le naïf qui veut faire plaisir sans même qu’on lui demande. L’homme noir infantilisé et inoffensif. Double check.
Dans les personnages liés à une enquête, pas un seul homme noir avec une représentation positive. Jeunes ou vieux, frêles ou baraqués, pères, fils ou époux, ils font ou ont fait preuve de violence, même quand ils ne sont pas coupables. L’homme noir violent. Triple check.
Un Black Love impossible
Les lois des séries françaises interdisent aux NoirEs de tomber amoureux et surtout d’être heureux en amour avec d’autres NoirEs. Dans Tropiques Criminels, sur 8 épisodes, il n’y a pas un seul couple noir heureux. Sauf celui de Lucas, 17 ans, en couple avec Clémentine 40 ans.
Que Mélissa reste dans un entourage blanc parce qu’elle ne connaît personne, pourquoi pas ? Mais la série s’efforce à ne mettre en scène que des couples mixtes sauf pour Gaëlle qui batifole avec les Noirs mais envisage un avenir avec un Blanc. Et là où Tropiques Criminels a été fort, c'est de n'avoir représenté que deux fois des relations mixtes sur le schéma H blanc/F noire et à chaque fois, la relation échoue, l’homme se remet avec une Blanche et la femme noire réagit avec une colère qu’elle exprime ouvertement. Par contre, le schéma H n/F B, c'est l’amour, le beau, le vrai. Pourquoi ?
J’ai l'impression de me répéter de review en review de séries françaises. Est-ce moi qui tourne en boucle ou les séries françaises qui tournent en rond ? En points “positifs”, il y a eu un personnage de père noir aimant (mais il est fauché, sans emploi), des personnages homosexuels noirs (mais victimes d’homophobie), un personnage de femme noire manager (mais elle est assassinée), des personnages d'adolescentes noires amies (mais ce sont des cambrioleuses)… Mélissa Sainte-Rose et Gaëlle Crivelli affichant une solidarité féministe pour faire front face à leur supérieur misogyne. Yay ?
Photo : Sylvie Castioni/BestImage