"Vanille" ou de la difficulté d’être dans l’air du temps
J’entends parler de Vanille depuis le début de l’année et je me disais que je le verrai probablement dans deux ans, avec beaucoup de chance. Vous imaginez donc avec quelle joie j’ai accueilli l’annonce de sa diffusion dans le cadre d’une semaine dédiée à l’Outre-mer sur les chaînes du groupe France Télévision. Réalisé par Guillaume Lorin, ce moyen-métrage d’une trentaine de minutes est un film d’animation en 2D destiné à tous les publics.
Vanille, petite fille parisienne fraîchement débarquée en Guadeloupe, va être plongée dans une aventure exotique et teintée de mystère, à la rencontre de personnages pittoresques et d'une fleur magique, le tout relevé d'un zeste de langue créole. Voilà des vacances qui promettent d'être riches en rebondissements !
Après avoir été conquise par Battledream Chronicle d’Alain Bidard (épisode 1 de mon podcast Karukerament), j’étais prédisposée à apprécier Vanille. Ce film avait tous les ingrédients pour me plaire : film d’animation, une histoire en Guadeloupe, un personnage principal féminin. Cependant, la séance de visionnage m’a laissé plus d’interrogations que d’enthousiasme. Des problèmes importants sont abordés mais je n’ai pas l’impression d’avoir saisi le message en réponse.
Un film d’animation
C’est probablement le seul élément sur lequel je n’émets aucune réserve. La qualité du dessin en rondeur qui n’est pas sans rappeler Steven Universe, le contraste entre les couleurs, les sons de la nature et les chansons, tout d’un point de vue technique est sublime. Le mélange avec des images réelles souligne la beauté de “la nature éclatante et tropicale de l’île papillon”. Même si j’ai trouvé qu’il y avait une atmosphère Ponyo sur la falaise surtout sur la fin, le style du dessin est reconnaissable. A l’heure où les grands médias découvrent à peine le monde de l’animation afrocentrée, il est important que nos créateur.trice.s développent un style visuel unique et identifiable.
Une histoire en Guadeloupe
La Guadeloupe carte postale avec la Soufrière se distingue de la représentation habituelle focalisée sur la plage et les cocotiers… Néanmoins, tout ce qu’on voit est une Guadeloupe rurale, hors du 21ème siècle. On entend parler d’un village alors qu’administrativement parlant la commune de Vieux-Habitants a suffisamment d’habitants pour être désignée comme une ville. Vu la persistance de l’utilisation du mot village pour décrire toute commune de Guadeloupe (prenez le synopsis de Siméon d’Euzhan Palcy, par exemple), je me demande toujours si ce n’est pas une façon de nier toute modernité à cette île. Je sais que l’environnement technologique n’est pas aussi développé que dans les mégalopoles comme Paris, Tokyo ou Séoul, mais il fait quand même partie du quotidien désormais.
J’apprécie le fait que les dialogues en créole n’aient pas été sous-titrés… Même si j’ai l’impression que c’était juste pour que le spectateur non-créolophone se mette à la place de Vanille qui est dans l’incompréhension des mots mais réussit à communiquer par le regard et par les sons. La maîtrise du créole faisant partie des éléments créant le fossé entre Guadeloupéens sur l’île et Guadeloupéens de l’Hexagone, que doit ressentir le spectateur créolophone face au personnage de Vanille ? Aucun personnage ne lui tient rigueur de ne pas parler ni même comprendre le créole, mais plus j’avançais dans le film, plus la question se précisait dans mon esprit : quelle place donne-t-on à Loïc le papa breton dans la construction identitaire de sa fille ?
Vanille est “un voyage initiatique à la rencontre de personnages hauts en couleurs, riches dans leur diversité. Ils nous bercent au rythme de la langue et des musiques créoles, et nous plongent dans la nature éclatante et tropicale de l’île papillon”, nous dit le dossier presse. La langue, la cuisine, la musique, les légendes… Ce sont des éléments importants de toute culture, mais j’ai l’impression que dès qu’on parle de la Guadeloupe, cela se transforme en exotisme et en performance pour le regard extérieur. Toujours dans le dossier presse, il est même écrit que “beaucoup de personnages ont la musique dans la peau” et que “la langue créole vient pimenter les dialogues”… C’est une histoire en Guadeloupe mais à qui est-elle destinée ? Vanille est effectivement en territoire “inconnu”, il y a une partie de son identité qu’elle ignore. En 2015, on aurait pu se contenter d’un simple constat, mais en 2020, on aimerait aussi une mise en scène du pourquoi Vanille n’a aucun lien avec son identité guadeloupéenne et pourquoi elle est dans un tel rejet. Parce qu’elle était jeune quand sa maman est morte ? Très bien, donc j’en reviens à ma question précédente : qu’a fait le papa pour que Vanille soit en accord avec sa part de guadeloupéanité ? Elle se doit d’être posée quand on gère un restaurant “A Ka Loïc” mais que sa fille ne semble avoir jamais mangé d’accras.
Un personnage principal féminin
Vanille est une “petite Parisienne”… Je suppose que si elle peut utiliser un fer à lisser sans surveillance, se permet de claquer la porte et de répondre avec insolence aux adultes, elle aurait entre 11 et 12 ans minimum. Il est important que les enfants puissent avoir aussi de jeunes héroïnes et héros à qui s’identifier…. Néanmoins, dans le dossier presse, elle est décrite comme une “jeune fille forte, poto mitan”. Je suis perplexe. Vanille me rappelle Chihiro (l’insolence en moins) dans Le voyage de Chihiro. C’est une enfant intelligente, qui n’hésite pas une seconde à se mettre en danger pour sauver sa tante et les autres femmes du “village”. Je ne comprends donc pas du tout le rapport au poto mitan… Est-ce qu’elle aide à la maison ? Apparemment, non. Est-ce qu’elle doit s’occuper d’un voire de plusieurs frères et/ou soeurs ? Non. Elle est enfant unique, adorée de sa famille… Et c’est ça qui est important. De voir une petite fille aimée et choyée par tout le monde. Pas qu’elle soit “forte” dans des situations qui ne l’exigent même pas d’ailleurs. C’est une enfant. Et en plus, c’est une enfant plutôt pénible sans qu’on établisse clairement pourquoi elle est dans une telle hostilité. Les Guadeloupéennes des générations précédentes protestaient déjà contre la glorification de la femme “poto mitan”, et la génération de la tante Frédérique dont je fais partie continue à s’opposer à ce mythe qui déshumanise les femmes en les forçant à se sacrifier pour tout le monde sans rien attendre en retour.
Commencer une histoire avec une scène où le personnage féminin principal combat ses cheveux est d’un cliché so 2015… Je comprends, je l’ai fait moi-même. Mais la différence ici est que Vanille est métisse : maman noire et papa blanc. En terme de représentation, je trouve intéressant que la question du cheveu naturel soit abordée avec un personnage dont la représentation stéréotypée est d’avoir "le bon” type de cheveux. Les filles métisses sont souvent associées à l’idée des cheveux longs et bouclés voire frisés mais certainement pas crépus. On s’attend à ce qu’elles n’aient pas le moindre complexe et qu’elles puissent se coiffer sans difficulté comme la version 2020 de Mary-Ann dans The Babysitter’s Club (voir mon fil Twitter à ce sujet). Ceci étant dit, ce qui m’interpelle ici est la représentation du cheveu féminin en Guadeloupe. J’ai trouvé le design des cheveux assez peu élaboré alors que c’est le cœur de l’intrigue. Les textures sont identiques. Pour le coup, où est cette diversité dans la représentation ? … Dans l’extrait ci-dessus, Vanille dit clairement qu’elle n’aime pas ses cheveux, qu’ils sont “trop moches” et sa tante lui dit qu’ils sont jolis et qu’il suffit “juste” de les mettre en valeur. Et les mettre en valeur apparemment, c’est les attacher. Quel message faut-il comprendre ? Et surtout quand va-t-on questionner pourquoi une petite fille à la texture non-lisse déteste ses cheveux ? A la fin, son père dit qu’il aime les cheveux de Vanille “comme ça” sous-entendu en afro… Donc faut-il comprendre qu’il n’était même pas au courant que sa fille détestait ses cheveux ? Encore une fois, en tant que parent blanc, comment perçoit-il son rôle dans la construction de l’estime de soi de son enfant ? Je sais que la réponse est complexe mais si le monde s’est attendri devant le papa de Zuri devant coiffer sa fille pour la première fois dans Hair Love (2019), je pense que le monde est prêt à voir un papa aimant qui, à défaut de pouvoir accompagner sa fille dans le cheminent dans la découverte de soi, a au moins conscience qu’elle a ce cheminement à faire.
Vanille est un beau film visuellement. N’importe qui peut l’apprécier. C’était intéressant de prendre le point de vue d’une fille venue de l’Hexagone, mais en tant que femme noire, afrocaribéenne, guadeloupéenne et française, je n’avais pas l’impression d’être le public visé. Ce qui n’est pas grave en soi. Néanmoins la représentation de la culture et de la population guadeloupéennes est ce qui peut prêter à débat… Discussion à prévoir pour un épisode de la saison 3 de Karukerament ?