Misié Sadik raconte le clip-vidéo de "On Sèl Kou"
J’entends parler de Misié Sadik depuis quelques années. En 2018, “O Swè La” était partout. Mais quand je dis partout, c’est partout. Je trouvais la chanson bien mais je ne comprenais pas l’engouement. Et puis je l’ai vu sur scène à La Cigale en avril 2019 et j’ai compris. Dans ma review disponible dans le hors-série 2 de mon podcast, j’évoque le plus beau moment de cette soirée : le duo avec Dominik Coco sur “On Sèl Kou”. Sorti en 2009, ce titre a fait entrer Misié Sadik dans le coeur des Guadeloupéens en le propulsant de la scène underground à la scène grand public. Stevy Mahy apprécie le clip-vidéo comme représentation des multiples facettes de la Guadeloupe. Dans ce nouveau Focus Vidéo-Clip, Misié Sadik nous raconte l’histoire de cette capsule temporelle de la Guadeloupe de la fin des années 2000.
Avant de parler du clip-vidéo, j’aimerais en savoir un peu plus sur la création de cette chanson. Je suis loin d’être une experte en dancehall, mais j’ai l’impression qu’il est plutôt rare d’entendre des titres avec un simple arrangement guitare voix. Surtout en abordant le sujet difficile des problèmes socio-économiques de la Guadeloupe.
Je me rappelle bien de l'état d'esprit dans lequel j'étais quand j'ai écrit le morceau « On Sèl Kou ». Je m’étais mis dans la peau d'un jeune Guadeloupéen concerné par la réalité socio-économique de son pays. C'est une chanson qui n'a pas toujours existé en version acoustique. Je l'ai enregistrée en 2007 sur un support rap, mais c'est un concours de circonstances qui m'a amené à proposer le texte dans une version acoustique. J'ai des cousins qui sont guitaristes. Ils sont passés à la maison un jour. Ils m'ont fait écouter quelques mélodies qu'ils avaient. J'ai adapté le texte à la guitare et j'ai trouvé que c'était génial, donc j'ai enregistré la chanson comme ça et elle est restée telle quelle. Je l'ai intégrée ensuite à mon album Pli Lwen Ki Zyé qui est sorti en 2009. Elle n'était pas destinée à en être le premier single ou quoique ce soit. Cela s'est fait vraiment spontanément. Lorsque j'ai écouté l'album, pour moi, c'est apparu comme une évidence.
Le fait que cela soit une version acoustique a-t-il joué sur le concept du clip-vidéo ?
En vérité, je ne me suis jamais réellement posé la question lors du tournage du clip. Ce qui est important pour moi, c'est de pouvoir réaliser un visuel. C'est vrai qu'à l'époque c'était déjà une aubaine de pouvoir réaliser un clip. Donc les exigences n'étaient pas très importantes, mais je voulais quand même qu'on puisse proposer un visuel qui soit suffisamment authentique.
Authentique dans quel sens ?
Dans le sens où je ne dirais pas que le clip-vidéo est hyper conceptuel, mais le visuel est authentique parce qu’ on voit un peu la réalité des quartiers, certaines difficultés auxquelles les jeunes peuvent faire face. On voit aussi des jeunes qui cherchent à s'en sortir, comme le fabricant de maillots qui est sur le boulevard, celui qui tresse des chapeaux avec des feuilles de cocotiers etc. Il ne s'agissait pas non plus de ne montrer que des choses négatives. Il s'agissait, avec les petits moyens que nous avions à l'époque, de donner un peu d'espoir à celui qui regardait le clip. Mon implication dans la réalisation du clip était totale, mais je n'étais pas fermé aux différentes suggestions des gens qui m'accompagnaient à l'époque.
Justement. J’ai été surprise par l’alternance des séquences en couleurs et celles en noir et blanc quand j’ai regardé le clip-vidéo pour la première fois. Le contraste crée cette ambiance entre l’intime et le collectif.
Je me rappelle que le réalisateur du clip m'avait fait la proposition d'un clip en noir et blanc, chose pour laquelle je n'avais pas forcément optée. On a donc gardé des plans en noir et blanc parce qu'ils rendaient mieux et faisaient passer une certaine mélancolie. Les plans en couleur sont généralement les plans les plus joyeux, les plus positifs.
Et c’est surtout dans les séquences joyeuses qu’on vous voit bien entouré. Comment avez-vous recruté ces figurants ?
Comme je l'ai dit, les moyens à l'époque étaient différents de ce qu'ils sont aujourd'hui. Le clip est tourné en extérieur parce qu'on n'avait pas les moyens d'aller en studio. On ne voulait pas faire un clip carte postale. Même si peu importe où on va filmer en Guadeloupe, on se retrouve avec de belles images. On a tourné principalement dans ma ville de résidence à Sainte-Anne, d'où le fait que la plupart des gens qui y figurent soient des Sainte-Annais. Ce sont des amis, des gens de ma famille, des gens que je connais personnellement. Ce qui apparaît comme des visages anonymes à la personne qui visionne le clip, ce sont des visages que je connais et que je côtoie quotidiennement pour la plupart. C'était nécessaire pour moi d'avoir cet aspect réel et vrai. On voit beaucoup d'images de mon quartier, celui où j'ai grandi : Dupré. D’ailleurs, la fresque qu'on peut voir dans le clip s'est faite en direct pendant qu'on tournait.
Et cette fresque existe toujours ?
Oui, elle est toujours visible dans le quartier de Dupré.
Il y a un autre élément qui m’a interpelée dans votre visuel : c’est votre t-shirt avec la bande madras.
Ce n'était pas le clip où on allait changer de tenue plusieurs fois. Le jeune qui a réalisé la fresque est celui qui a réalisé le t-shirt. Il a ajouté cette bande madras à ma demande en rappel à la pochette de l'album Pli Lwen Ki Zyé. Cette bande madras faisait référence au côté créole, caribéen. Au dos du t-shirt, il est écrit le nom de celui qui l'a réalisé : KéOz.
Pouvez-vous raconter une anecdote du tournage ?
C'est vrai qu'on s'est pas mal amusé sur le tournage du clip. A un moment, on aperçoit des gendarmes, mais c'est parce qu'on les a filmés discrètement. Je crois que c'était une brigade à pied. Ils passaient là et ça tombait bien parce qu'on voulait des images de la gendarmerie. Avec le réalisateur, on a dû ruser un peu pour choper quelques images à la volée, ce qui serait un peu plus difficile à faire aujourd'hui.
Si vous deviez retourner le clip-vidéo aujourd'hui, changeriez-vous quelque chose ?
Je ne sais pas si je changerais quelque chose. C'est sa simplicité et son côté authentique qui en font ce qu'il est aujourd'hui. C'est ainsi qu'il a pu faire la différence à l'époque. Quand on voyait ce clip, on voyait quelque chose de différent déjà.
Imaginez un.e enfant de 10 ans qui regarde ce clip en 2100. Quels commentaires espérez-vous entendre ?
Vu que c'est un enfant de 10 ans, j’espère qu’il se rendra compte qu'il n’était pas né quand le clip a été tourné. Il n'y a aucun commentaire que j'espère entendre en particulier parce qu'il s'agit d'un visuel. Le clip, c'est une partie de mon travail, mais moi je suis surtout un auteur et un interprète. J'aurais aimé qu'il écoute les paroles et qu'il se rende compte que, même si les images ont l'air un peu anciennes et que le clip est tourné en 4:3, c'était notre actualité à une époque où il n'était pas né.
“On Sèl Kou” a plus de dix ans maintenant et est incontestablement l’un des titres préférés de votre public. A votre avis, quel est le secret de cette longévité ?
J'étais agréablement surpris de voir que le morceau parlait autant aux puristes, les gens qui me suivaient depuis pas mal de temps, qu’à un nouveau public que j'ai pu acquérir avec la sortie de ce titre. Les jeunes et les moins jeunes ont adhéré au morceau. C'est une chanson qui, à mon sens, est toujours d'actualité. Et j'ai l'occasion de le vérifier à chacune de mes représentations et à chacun de mes concerts, vu qu’elle suscite encore de vives réactions auprès du public. En écoutant la chanson aussi, on peut se rendre compte que les choses dont je parle sont encore plus valables en 2020 qu'en 2009. Malheureusement.
Malheureusement, mais nous avons la chance d’avoir nos artistes pour raconter nos réalités et nous accompagner dans les moments difficiles. Merci beaucoup d’avoir répondu à ces questions. Avant de se quitter, pouvez-vous nous en dire plus sur vos futurs projets ?
Le confinement et la maladie du COVID-19 ont un peu bouleversé les choses. Je serai normalement en tournée en province en 2021. Une tournée qui doit passer par Bordeaux, Lyon, Toulouse, Montpellier, peut-être Marseille. Et elle prendra fin à Paris, mais je n'ai pas de date précise. Sinon mes trois albums sont toujours à disposition sur les plates-formes de streaming. Je suis aussi sur les réseaux sociaux.
Karukerament remercie Misié Sadik. Vous pouvez le suivre sur Twitter (@MisieSadik) et Instagram (@misie_sadik_officiel). Rendez-vous la semaine prochaine pour découvrir mon analyse du clip-vidéo de “On Sèl Kou”.