[Focus Karayib] Arnaud Dolmen et son album “Tonbé Lévé”

Si vous me suivez sur Twitter (@ladyinsaeng), vous savez que j’ai déjà vu Arnaud Dolmen deux fois en concert en l’espace de trois mois. Je vais essayer de vous épargner un trop long http://www.mylife.com, mais je ne garantis rien. Contrairement à l’amour-rejet que j’ai longtemps eu pour la musique de Gage, j’ai adhéré immédiatement à la musique d’Arnaud Dolmen. Prêt.e pour un nouveau voyage dans le temps ?

Automne/hiver 2017. Je vois des tweets sur son premier album apparaître sporadiquement sur ma TL Twitter. Ma réflexion ne va pas au-delà de “c’est quoi cette coupe Bobby Brown ? le gars porte des mikas. DES MIKAS? Next!”. Et puis je finis par écouter l’interview accordée au webzine Girlykréyol. J’ai eu l’occasion de publier sur ce site donc j’ai écouté plus par solidarité que par que curiosité. En toute franchise, je manque de cliquer sur la croix rouge à plusieurs reprises, mais comme la citation d’accroche m’a quand même interpellée, je veux en savoir plus. Son explication sur le pourquoi du comment il a appelé son album “Tonbé Lévé” fait écho à cette philosophie de vie antillaise que je ne comprends que depuis deux ans… Mais c’est quand il décrit sa caisse claire/ka que je suis vraiment intriguée. A quoi ressemble ce son ?

Mars 2018. Je commande enfin l’album qui traîne dans mon panier Amazone depuis deux mois. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?

Réponse en toute objectivité : le budget est serré et je n’étais pas encore sûre de vouloir miser sur un artiste que je ne connaissais absolument PAS mais qui semblait faire l’unanimité. Vous-même vous savez que j’ai beau revendiqué la légitimité de la culture mainstream, je suis généralement dans les goûts minoritaires.

Réponse en toute subjectivité : parce que cela faisait des années que je m’en voulais d’avoir laissé tomber le piano mais je ne me l’étais jamais avoué. La batterie étant l’instrument dont j’avais toujours rêvé de jouer après le piano, les points de la liste “pour l’achat de l’album” ont fini par vaincre les points de la liste “contre”. J’écoute la version mp3 tranquillement un dimanche après-midi, mon moment détente musicale hebdomadaire. Au fur et à mesure des pistes, je suis de plus en plus bouleversée.


Trop de sentiments. L’album en repeat ce jour-là, je laisse libre cours aux regrets que je réprime depuis une quinzaine d’années, notamment celui d’avoir arrêté le piano. Je m’étais convaincue que cela ne me faisait pas de la peine, mais en écoutant de l’album, je me suis rendue compte que j’avais tort.

2006/2007 à 2015 : je fais mes études supérieures à Paris. J’ai du mal à m’imposer dans cette société aux codes matérialistes que je ne comprends pas. Je ne peux pas me vanter d’avoir visité tel ou tel pays (le concept français de vacances me laisse encore perplexe), ni d’aller à la montagne tous les ans, mais glisser dans une conversation que j’ai dix ans de pratique intensive du piano à mon actif est une de mes rares armes pour qu’on me donne 1% du respect que je souhaite. Sérieusement, la surprise et l’incrédulité à chaque fois que je le dis au détour d’une conversation… On aurait dit que je gifle mon interlocuteur.


Retour à cet après-midi de mars 2018 où j’écoute “Tonbé Lévé”. J’aime toutes les pistes, mais j’ai une préférence pour les pistes non-chantées qui permettent de ressentir les mélodies sans l’avantage du filtre vocal. Mes trois coups de coeur sont :

♥ “Tét Kolé”. J’avoue que mon amour du saxophone, aka instrument le plus sexy à mes yeux, influence PEUT-ÊTRE mon jugement, mais il y a tellement de tendresse et de douceur dans cette mélodie. Je veux juste m’enrouler dans ma couette et me laisser bercer quand je l’écoute. Je ne sais pas quand ni comment mais ce son devra apparaître dans la bande-originale d’une de mes fictions. Même si c’est dans trente ans.

♥ “Tou sèl mè…”, je trouve que c’est le son qui reflète le mieux l’équilibre entre les énergies des différents genres musicaux qui influencent la musique d’Arnaud Dolmen. Il y a beaucoup de changements de mélodies, de rythme mais le tout reste harmonieux.

♥ “Karubé”, c’est le son qui sonne le plus caribéennement jazzy contemporain mainstream. Il y a tellement d’élégance et de fierté dans la mélodie. Si je devais choisir un titre pour faire découvrir Arnaud Dolmen à des gens qui n’ont aucune sensibilité caribéenne, je proposerais celui-là.

Je mets ces trois pistes en coup de coeur parce qu’elles m’ont fait voir des souvenirs heureux que j’avais complètement oubliés. S’asseoir à l’ombre d’un flamboyant sur une souche d’arbre banc et savourer les alizés. Ou le crissement des sandales sur le chemin de pierre qui relie les maisons dispersées sur le terrain familial. Les discussions animées des tontons pendant une partie de domino à la lueur du soleil couchant. Le cric-crac de la manivelle de la sorbetière qu’un grand cousin fait tourner pendant que les petits attendent impatiemment, le gobelet à la main. La radio qui joue des boléros pendant que tout le monde fait la sieste après le déjeuner du dimanche. Être assise sur le carrelage frais de la véranda et déguster des quénettes/mangues/pommes malaka/de la chair de coco (au choix).

Quand j’ai arrêté le piano, cela faisait deux/trois ans que je jouais exclusivement du jazz après avoir fait du classique depuis l’âge de 8 ans. L’ultime morceau que j’ai étudié est “Take 5”. Ma mémoire me fait un peu défaut, mais il me semble que mon prof m’avait dit qu’après avoir maîtrisé ce morceau, je serais prête pour commencer à apprendre l’arrangement et à jouer avec des sonorités caribéennes. Peut-être que j’aurais enfin trouver ce grain de folie, cette insouciance qu’on m’a toujours reproché ne pas avoir ? C’est quelque chose qui m’a marqué quand j’ai vu Arnaud Dolmen jouer en live la première fois. Certains musiciens ont l’air d’être en souffrance quand ils vivent leur musique, mais lui a l’air juste heureux. Le bonheur dans son expression la plus simple et la plus pure. Franchement, j’ai admiré et limite envié son assurance dans l’affirmation de qui il est.


Ma lutte pour me connecter à mon antillanité aurait été peut-être moins violente si j’avais continué le piano… Quinze ans plus tard, ma quête d’identité se poursuit. “Tonbé Lévé” est arrivé dans ma vie avec un timing parfait. Depuis que j’écoute cet album, je ne culpabilise plus d’avoir arrêté la musique. J’ai fait la paix avec cette partie de mon adolescence. Ce qui est fait est fait. Par contre, si l’envie de reprendre un jour se fait sentir, je l’accueillerai à bras ouverts.


Ndlr: cet article a été publié pour la première fois le 10 juin 2018 sur myinsaeng.com.