Le Festival Karukera One Love ou un Karibbean rendez-vous orageux


Retour sur la première journée du Karibbean Rendezvous / festival Karukera One Love.

Je comptais en parler uniquement dans mon bilan podcast #streamcaribbean de fin d'année, mais je me suis dit que ce serait intéressant d’en parler au-delà de l’aspect musical. Parlons business parce que c’est ce qui m’a laissé un goût amer. C'est d'ailleurs pour cette raison que je n'ai pas fait de recap Twitter comme je fais d'habitude. Je veux rester dans la positivité en toute subjectivité*. 

Avant de commencer, je fais une précision importante. Je suis convaincue que les artistes de Guadeloupe et Martinique peuvent avoir un rayonnement international. Oui, il y a des problèmes structurels dans l'industrie (contournables selon moi), mais ce n’est pas mon propos ici. Pour moi, le relationnel avec le public est le levier le plus important et le plus "facile" à utiliser pour que la Caraïbe ait enfin les retombées financières qu'elle mérite alors que nos cultures font tourner l'industrie culturelle internationale depuis plus d'un siècle. Le pourquoi du comment de ce levier, j'y reviendrai dans ma série d'articles Karukerament sur le marketing culturel parce que le relationnel avec le public, je ne vois jamais personne en parler à part pour dire “le public antillais est le plus difficile au monde”, “le public antillais ne soutient pas” ou “le public critique pour rien”. La dernière affirmation peut peut-être se justifier dans certains cas, mais pour l’événement du 10 septembre, il y a des choses à dire. Cette négligence sur la stratégie de communication me laisse d’autant plus perplexe que ce festival a (avait ?) une réputation solide. En plus, il a été annoncé comme LE festival de clôture des grandes vacances 2022 après les loupés de la All Day In en Guadeloupe et de la Baccha en Martinique il y a quelques semaines… Vraiment, je ne comprends pas.

Une bonne volonté mais… 

Il y a eu une volonté de créer un cadre agréable pour les festivaliers. Les équipes de sécurité, de nettoyage, des toilettes en quantité suffisante, une food court diversifiée, des espaces de jeux… Tout a été pensé pour que les gens passent un bon moment. Je suis restée sur la colline donnant sur la scène dans l'eau pour garder une vue d'ensemble. De mon côté, il n'y a pas eu de débordement, pas d'agressivité. Une ambiance chill. Je ne me suis pas du tout sentie oppressée et les gens étaient dans le respect de l'espace de chacun. A part un gars qui, en début d'après midi, courait partout sur la colline et a dû se faire rembarrer pour arrêter de winer sur les femmes sans leur consentement, je n'ai vraiment aucun incident à signaler. 

Malgré la foule et la pluie qui a rendu le sol boueux, la circulation était fluide. Et les gens sur la partie plage ou dans l'eau vivaient leur meilleure vie. Néanmoins, je ne suis pas convaincue par le choix d'un lieu aussi difficile d'accès en transports en commun en Île-de-France pour tenir un festival de cette ampleur… Quand on a à cœur la satisfaction du service après vente en tout cas… 

… Un problème de communication avec le public

J'ai pris mes billets + la navette pour Patrice Roberts, Elephant Man, KRYS et Triple Kay… Les horaires de lineup ont été annoncés plus tôt dans la semaine. Le show des artistes devait finir à 23 heures… Je reviendrai sur la prestation de KRYS dans le podcast bilan (si vous avez écouté notre discussion, vous avez déjà une idée de ce que j'ai pensé). Je salue aussi Original H et Hoodcelebrityy que je connaissais seulement de nom mais qui ont fait aussi le show. 

Dès le début de l'après-midi, j’ai senti qu'il y avait un problème quand DJ Dankers a commencé à assurer des transitions entre DJs voire à faire de la présentation d'artistes… J’étais d'autant plus dans la confusion quand les deux présentateurs ont salué le public vers le milieu de l'après-midi, mais ils ne sont venus sur la scène que genre deux fois après. Et tout ce qu’ils ont fait était de nous demander d'agiter nos drapeaux alors que… le rôle du MC dans un festival, c'est bien de présenter tous les artistes, non ? Histoire de faire découvrir et qu'on sache quel est le calibre de l'artiste ? En tout cas, ça aurait été nécessaire ici**. KRYS est le seul qui a eu une introduction digne de ce nom, mais c'est celui qui n'en avait littéralement pas besoin. Ceci étant dit, les artistes pouvaient toujours se présenter eux-mêmes… Et c'est là où l’absence de scénographie s’est faite sentir. VJ Ben a eu le set le plus riche et le plus diversifié mais aussi le plus mal présenté. Peut-être pas du point de vue de la plage. Mais avec la vue d'ensemble, le rendu manquait de fluidité. Bref, discussion pour un autre jour. 

Malgré la pluie jusqu'à 18h, j’étais motivée pour les trois autres artistes que je voulais voir. Sauf que l'heure tournait. On passait de DJ en DJ. Aussi exceptionnelles qu’étaient les prestations de DJ Osocity et DJ Dankers  (nulle part c'était écrit qu'il mixerait en soirée), où étaient les artistes pour qui j'avais fait le déplacement ?? A 22h, soit à 1h de la fin prévue, on nous a annoncé qu'Elephant Man ne serait pas là…  Sa vidéo message n'avait même pas de son. Au passage, sur son IG story, on l’a vu en concert devant une foule en délire ailleurs… Aucune annonce pour Patrice Roberts et Ricardo Drue (ils ont été reportés au jour 2). Bref, le lineup bouyon a commencé à 22h30 et on nous a dit au micro juste avant que les navettes  étaient là… Donc je suis partie sans avoir vu Triple Kay. J'aurais pu me dire "si j'étais venue en voiture, j'aurais pu rester". Certaines personnes ont mis plus d'une heure à quitter le parking…  Je suis sans regret. Je n'aurais pas eu la patience.

Conclusion 

Je ne suis pas allée au jour 2. Pour raisons personnelles. Mais je n'ai pas revendu ma place par principe. Je ne cautionne pas la façon dont le public a été traité. Et apparemment, même avec le climat au beau fixe, le jour 2 a aussi été chaotique, notamment sur la prestation de Shenseea qui était la headlineuse mais dont le set a été écourté à cause de problèmes techniques. Apparemment. Si au moins les organisateurs avaient géré la communication, il n’y aurait pas ces questionnements justifiés sur leur capacité de gestion. A l’heure où je rédige cet article, il n’y a toujours aucun communiqué.

Je répète que je n'écris pas pour faire de la critique gratuite. Les conditions climatiques ne se contrôlent pas. Que le lineup change, ce sont les aléas. Que ça se produise au dernier moment, ça aussi, le public peut comprendre. D'autant plus que les DJs ont vraiment bien compensé. Par contre, la façon dont le public a été laissé dans l'ignorance ? La façon dont la complicité avec le public n'a pas été entretenue tout au long de l'après-midi pendant les transitions entre les sets ? C'est normal qu'il a hué quand on lui a demandé d'envoyer du love à Elephant Man… Et la façon dont un groupe légendaire comme Triple Kay perd une partie du public parce que les horaires n'ont pas été respectés alors qu'il y avait clairement moyen de les faire passer à l'heure ? Après, on peut me répondre que c’était impossible, mais justement il fallait au moins le dire. Kassav' et son grand Méchant Zouk des 40 ans ont proposé un show à l'investissement financier similaire voire supérieur (je parle en terme de matériel de scène et surtout les assurances). Pourtant, tout s’est bien passé et Kassav' nous a dit bonne nuit à 23h30 après un rappel comme c'était prévu. 

Est-ce que j'ai passé un bon moment ? Oui parce que je suis bon public. Les artistes sur scène nous ont respectés. Les DJs nous ont ambiancés même avec leurs playlists similaires (on reviendra aussi sur le rôle des DJs dans la diffusion culturelle un autre jour). C'est vraiment la communication directe avec le public qui a manqué. Je ne parlerai même pas du suivi Instagram au compte-goutte pour le public virtuel… A croire que 2020 n'a servi à rien pour prouver l'impact du virtuel sur le présentiel et que le virtuel est un atout majeur pour la Caraïbe…

On pourrait juste dire “dommage, ils feront mieux la prochaine fois. Bisous". Mais après avoir eu toutes ces discussions avec des artistes pour le podcast #streamcaribbean, je vois aussi l’aspect business. L’identité caribéenne n’est pas juste un slogan, elle devrait s’incarner aussi bien culturellement qu’économiquement et businessment parlant. Ce festival est juste un nouvel exemple de ce que j'ai dit dans mon passage dans le Starjee Show, il faut remettre de l'humain dans chaque domaine de notre industrie et surtout du respect. Respect du public et respect des artistes. Comment prétendre être un Karibbean rendezvous quand on ne maîtrise même pas sa communication ? Quelle image donnons-nous auprès des autres artistes de la Caraïbe anglophone ? Auprès du public caribéen qui manifeste de l’intérêt envers nous ? Auprès d’un public non-caribéen qui a aussi un rôle à jouer pour donner de la visibilité à nos artistes ? Après ce festival, je ne sais pas. Mais c’était clairement une opportunité ratée pour entretenir ou en tout cas créer un espace où se développe cet esprit de communauté qui fait les gens (artistes ET public) investir leur temps, leur énergie et surtout leur argent dans l’industrie.

Tout n’est qu’une question de cycle, je sais. Nous arrivons sur la fin d’un cycle pour ma génération. Si rien ne se fait maintenant, il faudra attendre encore à nouveau une quinzaine d’années avant d’avoir des opportunités sur l’international. Je parle pour les Guadeloupéens. La Martinique a son propre couloir, et on peut se rejoindre sur certains points, mais je parle de mon point de vue Karukerament.

Après, on peut me dire que ce n’est pas si grave que ça, que le public se contente de ce qu’on lui donne… D’abord, on mérite mieux, mais encore une fois l’enjeu va bien au-delà. Quand on organise un Karibbean rendezvous en Europe, on se positionne pour participer à la construction d’une industrie culturelle caribéenne à succès. D’autant plus si on ne le fait que pour l’aspect économique sans entrer dans les considérations de fierté culturelle. Déplacer les prestations d’un jour à l’autre sans avertir le public, l’annulation de la performance de clôture sans avertir le public, des artistes qui entrent sur scène sans qu’ils soient présentés au public, des artistes qui finissent leur set sans avertir le public… Le public est le coeur de l’industrie culturelle. Oui, il peut se contenter de peu, mais il peut aussi donner beaucoup quand on le respecte comme il se doit pour porter des genres musicaux, des cultures au plus haut. A condition de communiquer de façon adéquate pour lui donner envie de le faire. Mais ce n’est que mon avis.


NB 1: c'est mon expérience de festivalière, pas de média ou de quelque autre statut “privilégié”. Chaque expérience est légitime.

NB 2 : J’ai cru comprendre qu’ils étaient occupés à mener des interviews tout l’après-midi, mais pourquoi n’ y avait-il pas un maître de cérémonie fixe ?

Photo by Noiseporn on Unsplash