"Colonization is Extinction", un combat pour l'indépendance de Puerto Rico

En tant que Guadeloupéenne, j'ai entrepris un voyage pour me définir au cours des 6 dernières années. Lors de ma discussion avec Kerry-Ann Brown-Reid sur son podcast Carry On Friends en septembre 2020, j'ai dit une chose à laquelle je pense encore de temps en temps : "Je ne pense pas m'être sentie complètement libre une seule fois”. 

C'est un sentiment étrange. Quel est le concept de liberté quand on est un.e Noir.e d'une île des Caraïbes qui n'est pas indépendante ? Et quand on vit à l'étranger ? Bien que des luttes pour l'indépendance aient eu lieu dans les années 60-70, comme partout où le mouvement de décolonisation s'est étendu, la Guadeloupe est restée un territoire français d'outre-mer, pour le meilleur et pour le pire. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours un sens aigu de mon identité caribéenne et je perçois les autres territoires caribéens à travers ce prisme. C'est pourquoi j'oublie facilement qu'il existe d'autres îles des Caraïbes qui ne sont pas encore indépendantes. En 2017, la chanson à succès "Despacito" de Luis Fonsi et l'ouragan dévastateur Maria ont remis en lumière la situation paradoxale de Porto Rico. Cette île peut avoir un grand impact sur la culture pop mondiale, mais elle est une colonie américaine incapable de mener son propre destin politique. 

Sorti en 2017, le documentaire "Colonization is Extinction" de Walter et Jessica Alomar explique l'histoire de Porto Rico en 40 minutes. Invasion, répression, génocide, contamination, corruption... Experts et militants politiques nous font un rapide tour d'horizon des raisons qui ont conduit à la lutte actuelle pour l'indépendance. En regardant, je n'ai pu m'empêcher de penser à la ressemblance entre Porto Rico et les territoires français d'outre-mer. La stérilisation forcée à la Réunion, les essais nucléaires en Polynésie française, l'empoisonnement des terres en Guadeloupe et en Martinique, l'immigration massive organisée parce que la vie n'est plus viable, la gentrification en cours... Et la question demeure toujours : comment des êtres humains peuvent-ils traiter d'autres êtres humains de cette façon ? Sincèrement, je pense que la réponse à cette question spécifique n'a plus beaucoup d'importance. Il s'agit plutôt d'amener une prise de conscience, afin que les gens puissent avoir la liberté et la capacité d’action dans la façon dont ils mènent leur vie.

En tant que femme noire originaire de la Guadeloupe et vivant en France depuis 15 ans maintenant, les moments les plus intéressants ont été les interviews de rue avec des Portoricains d'origines diverses. Certains sont nés sur l'île mais ont immigré très tôt aux États-Unis. D'autres sont des descendants de première ou deuxième génération qui ne sont jamais allés à Porto Rico ou qui n'y sont allés que quelques fois... Toutes les expériences sont valables, mais aucune de ces personnes n'avait jamais ou à peine entendu parler des projets de loi et des actions mises en place par le gouvernement américain pour bloquer l'autonomie de Porto Rico. L'ignorance tue toute chance de se battre pour la justice quand on vous fait du tort et qu'on vous vole votre propre avenir. Elle tue toute chance de savoir qui vous êtes. Et pour moi, c'est de cela dont il est question dans "La colonisation, c'est l'extinction". Il ne s'agit pas seulement de la lutte pour l'indépendance ou de l'explication de la crise économique. Il s'agit de préserver l'identité, l'histoire et la culture d'une nation par tous les moyens nécessaires.

Walter Alomar est le président de l'Organisation pour la culture d'origine hispanique (OCHO). Le 20 juin 2022, il participera aux audiences des Nations Unies sur la décolonisation de Porto Rico, des Samoa américaines et de 17 autres colonies dans le monde. Il est l'un de ceux qui ont des connaissances et qui sont prêts à les partager pour créer un changement.

Quel est le concept de liberté quand on est originaire d'une île des Caraïbes qui n'est pas indépendante ? Et quand on vit à l'étranger ? C'est savoir qui on est, d'où on vient, et se soucier que les autres le sachent aussi.