[Focus Karayib] Gage, la passion résiliente
Gage est dans mon top 3 des vocalistes francophones. Si vous me suivez depuis l’ouverture de mon blog personnel myinsaeng.com, vous savez à quel point j’apprécie Gage (cessez de sourire, je vous prie). Si vous le découvrez avec cet article, je vous fais un bref récapitulatif.
Précédemment dans Focus Karayib. Gage est un artiste qui fait partie de la bande-originale de ma vie. Depuis une quinzaine d’années, sa musique joue en arrière-fond dans ces moments d’introspection où je m’interroge sur le sens à donner à ma vie. Non pas que ses chansons décrivent ce que je vis à ce moment-là… mais d’une façon ou d’une autre, je me retrouve à l’écouter. Parfois juste le temps d’une chanson promotionnelle, parfois je passe plusieurs mois avec ses premiers tubes. Mon premier Focus Karayib en avril 2016 était sur sa collaboration avec Stony qui m’a fait le redécouvrir. Mon second Focus Karayib en novembre 2017 était sur mon premier concert de lui (une soirée épique où j’ai pu faire un selfie avec lui ! mais la photo est perdue à jamais parce qu’on m’a volé mon téléphone). Mon troisième Focus Karayib en novembre 2018 était un portrait de l’artiste que je voyais en lui.
Je sais que ça étonne toujours ou les gens ne comprennent pas quand je dis que je ne suis pas fan de sa musique en général. Je sépare vraiment l’artiste de sa discographie. Ce n’est pas sa musique en elle-même qui me parle, c’est la passion qu’il exprime à chaque fois qu’il chante que je trouve fascinante. Je me suis lancée dans le #mercrediavec parce que j’étais surprise du nombre de personnes qui m’ont contactée avec un “t’as vu que Gage fait The Voice 8 ?”. Whatsapp, Twitter, DM Instagram, j’ai reçu la question sur tous les réseaux sociaux que j’utilise. Et parfois cela venait même de personnes à qui je n’avais pas parlé depuis six mois. Personne dans mon entourage n’a de l’intérêt pour Gage, donc je leur épargne les analyses que je fais dans ma tête sur la trajectoire de sa carrière atypique. Mais vous, vous allez me lire jusqu’au bout, n’est-ce pas ? Et je suis gentille, je vous fais la version courte.
#mercrediavec vs. The Voice
Je suis très précise sur mes goûts musicaux. Si je n’entends pas la synergie entre les paroles, la mélodie et l’arrangement, je débats avec moi-même pour décider si j’aime la chanson. Pendant que Gage faisait “The Voice” où on lui demandait de faire des covers, je me suis dit qu’il était plus que temps d’établir clairement la liste de ses chansons qui me plaisent. J’ai donc écouté chaque album, chaque single, chaque collaboration sortis entre 2005 et 2017. Sur mon instagram perso, vous pouvez lire mon avis détaillé sur dix titres répartis entre ses trois opus. Vous ne trouverez ni “Trop Fresh”, ni “Pense à Moi” qui restent, me semble-t-il ses titres les plus connus dans la mémoire collective. J’ai longtemps (4 ans) réfléchi à pourquoi je n’accroche pas à ces deux titres qui sont plébiscités et qui, objectivement parlant, ont tous les ingrédients pour me plaire. Après avoir écouté l’intensité du Gage de “L’Homme d’une femme” ou “Je T’aime Quand Même”, j’ai du mal à redescendre pour un “Trop Fresh” ou un “Pense à Moi”. Encore plus après l’avoir entendu en live sur ses chansons à lui et sur des covers. Je ne me suis toujours pas remise de son interprétation de “Love is Stronger Than Pride” de Sade et de “Any time, Any place” de Janet Jackson, même trois ans après les avoir entendus qu’une seule fois. Je n’ai pas regardé “The Voice” parce que je n’adhère pas au concept de base qui n’a pas pour but de mettre en avant l'univers des candidats. Ce que l’industrie et les médias, et par conséquent le grand public, peinent à comprendre et à accepter, c’est justement son univers où il s’exprime en ses propres termes et où il brille le plus.
Logique artistique vs. Logique industrielle
En plus de revisiter mes souvenirs, ce voyage discographique du #mercrediavec m’a permis d’apprécier sa volonté de ne pas se cantonner à un style musical. Ses titres promotionnels ne correspondent pas à la versatilité dont il fait preuve sur les autres pistes de chaque album. Avec “Soul Rebel” (2005), il se présente en étant à l’aise aussi bien dans le reggae que dans un R&B pop avec une touche soul. “Changer Le Monde” (2008) lui permet justement de rendre hommage à la Motown avant de se tourner vers des sonorités rock, afrobeat, zouk voire dancehall dans “Soul R.Evolution Vol.1” (2014). Mes chansons préférées sont sur “Soul Rebel” mais c’est bien “Soul.R” qui brise la tension entre cette image de l’homme toujours en chagrin d’amour que le public voit/veut et de l’homme charmeur plein d'espoir qu’il peut être. Le grand public l’a connu comme un jeune homme dans la vingtaine qui flirte avec maladresse et pleure auprès de celle qui l’a trompé. En 2005, il détonne dans un paysage où la France hurle “Ma philosophie” d’Amel Bent (Nouvelle Star), s’évade dans le “Monde Parfait” d’Ilona Mitrecey et s’amuse avec Crazy Frog. Il se démarque face à la variété portée par la Star Academy et Raphaël. Il offre un groove différent de la pop rock de Calogero et Mylène Farmer. Il incarne une authenticité que le R&B Bling Bling de M. Pokora, K-Maro, Tragédie (est-ce que tu m’entends hey oh) ne peut revendiquer que si comparé avec la fièvre Raï&B. Six ans plus tard, il s’embarque dans une Soul R.évolution. Entre deux titres où il se fait séducteur assumé, il raconte ses années de galère qui n’ont pas altéré sa passion pour la musique. C’est l’album où il équilibre le mieux la démonstration artistique et l’expression de qui il est en tant qu’individu. Sauf qu’en 2014, la France s’ambiance sur “Happy” de Pharell Williams, “Racine Carrée” de Stromae et “Kendji” de Kendji Girac (The Voice). Entre Maître Gims, Black M, Florent Pagny, Johnny Halliday, le duo Alain Souchon-Laurent Voulzy, Indila est la seule chanteuse dans le top 10 des albums les plus vendus cette année-là. L’industrie mise difficilement sur la proposition musicale d’un Gage trentenaire au charisme discret. Désormais les réseaux sociaux font partie intégrante des stratégies marketing, les célébrités font parler d’elles à coup de buzz parfois orchestrées… Et Gage n’a pas la machine financière pour attirer la lumière sur lui. Mais il continue de se produire sur scène face à des fans qui lui sont fidèles. Il essaye de développer son univers. Ses singles “Rien n’arrive sans rien” et “Le ciel est la limite” (2017) sont annoncés comme les préludes à un EP qui n’est toujours pas sorti. Même après son passage à “The Voice”.
Gage vs. Gage
Gage a expliqué en interview le comment du pourquoi il s’est retrouvé dans ce télé-crochet. Je ne ferai pas de commentaire sur le sujet. Le portrait de l’introduction permet de comprendre ses motivations mais pas de cacher les doutes et les insécurités d’un artiste désormais quadragénaire (même s’il a l’air bloqué à 36 ans). Oui, j’ai dit que je n’ai pas regardé “The Voice”, mais je n’ai pas dit que je n'ai pas tenté… Les ellipses sur ses activités musicales pendant les années où il n’était pas sous le feu des projecteurs témoignent du manque de considération pour l’artiste qu’il est. #isaidwhatisaid J’ai tenu pendant la première minute de son audition sur “All Night Long” avant de cliquer sur la croix rouge du direct de TF1 dans le calme et le respect. Ce n’est pas moi qui avais besoin d’être convaincue que Gage a une voix exceptionnelle et je voulais garder mes souvenirs de concert intacts. A chacune de ses prestations, j’ai eu droit à un debrief non sollicité de la part de mon entourage. À chaque comparaison avec le Gage de l’ère “Soul Rebel”, mon cerveau traduisait en “il est dans sa zone de confort”. Dans le cas de Gage, cette zone de confort est large parce qu’il peut chanter littéralement tous les styles - même de la variété française à la Cabrel. Mais le paradoxe est qu’il devient compliqué de définir son identité artistique. Sa signature vocale a beau être forte, sa démarche musicale reste floue. Peut-être qu’on ne lui a pas laissé l'occasion de l’expliquer, peut-être qu’il n’a pas eu les chansons pour le faire… Et peut-être qu'il y a eu d'autres événements qui l’ont empêché d'avoir la carrière qu’il mérite. Ces questionnements n’ont de l'importance que s’il renonce à sa passion, s’il renonce à l'artiste qu’il veut être… Il n’y a que Gage qui peut savoir ce que Gage fera. “The Voice” était quand même l’occasion de voir qu’il y a un public qui a envie de le voir et surtout de l’écouter.
J’écris cet article parce que j'ai eu un gros coup de blues en octobre et j'ai donc réécouté ma playlist #mercrediavec ces dernières semaines. Certes, mes problèmes sont toujours là, mais je me dis que ça finira bien par passer et que je dois rester concentrée sur mes objectifs. J'ai dit que je vous ferai la version courte alors je m’arrête ici. La carrière de Gage a été soumise à plusieurs changements de paradigmes en l’espace de 15 ans. S’il reste passionné malgré la disparition des albums et la disparition des médias pour se promouvoir, pourquoi la disparition des concerts en présentiel aurait-elle raison de sa résilience ? Allez, rendez-vous en novembre 2022 ?