Karukera, regards populaires sur une violence quotidienne
Entre mouchoirs, quintes de toux et voix cassée, j’ai quand même réussi à sortir du lit pour assister à la projection de Karukera le 17 mars 2017 au centre Paris anim’ des Lilas. J’avais entendu parlé du film l’été dernier. Je n’ai donc pas manqué l’occasion cette fois-ci. J’avais prévu d’y aller seule, mais heureusement que @Emeutes_ameres et @Serenblackity étaient là parce que je ne sais pas comment j’aurais fait pour rentrer après. Tout ça pour dire que mon esprit n’était peut-être pas à 100% de ses capacités, mais le coeur y était.
Produit par MARKAFILMS et Irina Productions et réalisé par MarkA, Karukera est un film documentaire sur la société guadeloupéenne post-2009. Si la violence chez les jeunes est le point de départ, la grille de lecture s’élargit en intégrant le thème de la famille. Pendant soixante minutes, MarkA donne la parole à des artistes, à des jeunes, à des observateurs du quotidien (psychologue, sociologue, prêtre, médiateurs sociaux). En créant ce dialogue indirect entre les protagonistes, le film permet de faire un constat de la situation du point de vue des premiers concernés. L’impuissance exprimée par les policiers, les syndicalistes, les parents, les éducateurs est contre-balancée par des exemples d’initiatives de jeunes pour faire changer les choses. Ainsi, au lieu de l’habituel coup de projecteur type Zone interdite sur “la violence en Guadeloupe” ou “la drogue en Guadeloupe”, le discours est davantage axé sur le “comment en est-on arrivé là ?” et “malgré tout ça, comment continuer à avancer ?”.
Je salue les efforts pour proposer une représentation diversifiée de la population. Néanmoins, deux choses m’ont laissé sur ma faim. Tout d’abord, quelle est la place/le rôle des femmes dans cette violence ? Ces femmes qui grandissent dans ces milieux, ces jeunes femmes qui peuvent avoir un rôle actif ou passif dans ces violences, ce sont des femmes qui sont devenues ou deviendront mères à leur tour, que pensent-elles de la situation ? Ont-elles l’impression d’avoir un rôle à jouer pour changer les choses ? Peut-être qu’elles ont été interrogées et que leur discours n’était pas pertinent… Mais en tout cas, je pense que cette voix aurait pu donner une nuance de plus au débat. Différents intervenants ont décrit le dysfonctionnement de la famille en utilisant tous le même angle d’analyse. “Il y a la mère potomitan qui s’occupe de la maison et les garçons ne voient plus les pères partir travailler et ramener l’argent au foyer.” Ce n’est pas parce que papa travaille et ramène l’argent à la maison qu’il sera présent dans la vie de ses enfants, qu’il fera des efforts pour construire un lien avec eux et les aimer. Ce n’est pas parce que maman travaille et ramène l’argent à la maison que ses efforts seront considérés comme l’exemple à suivre. Il semble y avoir un consensus sur la nécessité de repenser la famille, de responsabiliser davantage les géniteurs, mais je n’ai pas compris si les intervenants parlaient du schéma “mère au foyer-père-employé” d’un point de vue historique (c’est-à-dire factuel) ou s’ils en parlaient comme le schéma qu’il faudrait retrouver. Je pense qu’ils en parlaient plus d’un point de vue historique, mais l’absence d’alternative dans leur propos m’a fait réfléchir.
L’autre aspect qui n’est pas abordé en profondeur dans le film est l’éducation ou plutôt l’instruction. Personnellement, quand on parle jeunesse, il me paraît difficile de laisser de côté l’école puisque c’est l’endroit où les enfants passent la plupart de leur temps. Normalement. On entend toujours parler du taux de 60% de chômage chez les jeunes, mais qui sont les 40% qui travaillent ? Quelles sont les perspectives de formation post-bac ? Que se passent-ils pour ceux qui vont à l’université ? Où et dans quelles conditions travaillent-ils ? Et qu’en est-il de ceux qui partent faire leurs études mais ne reviennent pas ? Que ce soit du point de vue de l’institution ou des élèves, quel rôle joue l’école dans la situation actuelle ? Ce n’était pas le propos du film, j’entends bien. MarkA a dit lui-même que cela pourrait faire l’objet d’un autre documentaire. Mais mon interrogation m’est venue quand un jeune a raconté son expérience de la prison. Il a évoqué sa prise de conscience et le fait de pouvoir utiliser ce temps pour s’instruire, apprendre une langue… En résumé faire des choses qu’on est supposés faire à l’école.
D’un point de vue technique, Karukera est construit avec intelligence. Le rythme, les transitions, tout s’enchaîne sans effort. C’est vraiment un documentaire agréable à regarder. Malgré le constat dramatique et sans avoir la prétention de proposer des solutions, il a le mérite de valoriser une analyse lokal. Le pari était de créer du contenu audiovisuel pour encourager le débat sur ces thématiques. Pari réussi.