"Le gang des Antillais" ou un regard sur la génération Bumidom
Je fais partie des gens qui sont allés voir Le Gang des Antillais lors de sa sortie le 30 novembre… Cela fait une dizaine d’années que je suis rarement entourée d’Antillais de mon âge, donc j’avoue avoir eu un pincement au cœur en retrouvant cette ambiance pré-film que je n’avais pas ressentie depuis l’adolescence. Ce sentiment d’être sur le point de partager une expérience avec tout un groupe de personnes sans avoir à expliquer voire justifier qui on est… Je m’égare. Revenons au Gang des Antillais.
Autant le dire tout de suite, je n’ai pas du tout accroché (et je vais expliquer pourquoi) MAIS j’ai payé pour aller le voir, j’ai embarqué une amie avec moi et je conseille à tout le monde d’aller le voir pour trois raisons :
1) pour se faire sa propre opinion
2) pour soutenir la production caribéenne
3) pour soutenir la production afro-française dans son ensemble
Nous ne sommes pas encore au stade où on peut se permettre de faire la fine bouche. Peut-être que l’émulation actuelle portera ses fruits dans 10 ans et qu’il y aura régulièrement des films avec des Noirs à l’affiche pour qu’on puisse se permettre de ne pas aller tous les voir. Pour l’instant, ce n’est pas le cas, donc je soutiens les prods’ comme je peux.
Je n’écris pas cette review à chaud parce que je voulais me donner le temps de réfléchir aux raisons pour lesquelles le film n’a pas été un coup de coeur. Il m’a fallu du temps pour verbaliser, mais j’ai enfin trouvé. Que ce soit pour Nég’ Maron, Tropiques Amers ou Rose et le soldat, je reste hermétique au style de Jean-Claude Barny. Ses œuvres pour moi ont le paradoxe d’avoir un style direct, simple à comprendre, mais l’histoire à l’écran ne reste que dans la suggestion d’une histoire plus profonde et plus passionnante. En fait, ce que je trouve frustrant est d’avoir l’impression que le plus intéressant dans ses films sont dans les scènes qui ne sont pas gardées au montage… Son cinéma ne me parle pas. Je ne suis pas le public cible à qui s’adresse l’aspect divertissement de son art, mais cela ne signifie pas que je ne peux pas apprécier d’autres aspects.
Un thriller sans le thrill
90 minutes de film, c’est court quand on est à fond. C’est long quand on n’accroche pas. Le film est classé dans la catégorie thriller, mais je n’ai rien trouvé de particulièrement thrilling. A partir du moment où on connaît déjà la fin de l’intrigue, tout repose sur le déroulement pour atteindre le grand final. Le Gang des Antillais n’est pas un heist movie (film de braquages), certes, mais je n’ai pas ressenti de sentiment d’urgence ni de compte-à-rebours. On ne sait même pas combien il y a eu de braquages, quelle somme a “réellement” été volée, pendant combien de temps a duré leur équipée (1 semaine ? 1 mois ? six mois ?). C’était probablement un parti pris de rester sur un niveau égal de tension du début à la fin ou alors j’ai réellement loupé les moments de passage à un niveau supérieur. Encore une fois, c’est peut-être une question de montage mais les dialogues me donnaient l’impression que les personnages nous expliquaient longuement des actions déjà claires. A l’inverse, certaines scènes auraient mérité d’être plus explicitées. Par exemple, la présence des indépendantistes ou ne seraient-ce que lectures de Jimmy en prison, ces scènes n’ont pas de sens pour qui n’a pas un minimum de bagage intellectuel sur le sujet.
Ce n’est donc pas l’histoire de braquages mais bien l’histoire de braqueurs. Et chaque braqueur a une histoire personnelle forte mais peu mise en valeur… Parfois expédiée en une voix-off et une réplique. C’est peut-être mon cœur de fangirl pour Vincent Vermignon qui parle, mais le personnage de Liko avait de quoi prendre plus d’ampleur à l’écran. Je tenais à le dire. #iaintsorry. A l’inverse, Molokoy (Adama Niane) et Politik (Eriq Ebouaney ♥♥) avaient une telle intensité que j’étais complètement captivée, même si on ne sait quasiment rien de leurs parcours pré-gang. Jimmy (Djedje Apali) est le héros parfait et ne dévie jamais de ce qu’on attend du héros parfait.
Femmes, je vous aime, mais…
Je l’avais déjà dit pour Nég Maron. Les personnages féminins de J-C Barny sont unidimensionnels et existent uniquement comme faire-valoir des personnages masculins. Déjà, je laisse de côté le débat sur le standard de beauté des femmes noires que véhicule le cinéma, que ce soit pour les petites filles, les adolescentes ou les seniors. C’est dur, mais je le laisse de côté.
Si on ne s’intéresse qu’à la caractérisation des personnages féminins, la figure de la potomitan qui se sacrifie pour tout le monde et dont la vie n’a de sens qu’à travers les hommes, d’accord. Mais il n’y a rien de mal à montrer aussi un personnage féminin noir qui s’épanouit autrement que par un homme et/ou ses enfants. Regardez ne serait-ce que l’affiche, elle résume tout à fait la place des femmes dans ce film. Vous pouvez essayer de me démontrer que les personnages féminins du Gang des Antillais ne servent pas de faire-valoir, mais let’s agree to disagree (1) tout de suite.
Couleur lokal
Il y a bien une chose qu’on ne peut pas reprocher au cinéma de J-C Barny pour l’instant : c’est la localisation. Il sait porter à l’écran l’identité visuelle et artistique de la Caraïbe (francophone) en sublimant les clichés. Bien sûr, il y a la solution de facilité avec le générique d’ouverture (bien agencé, soit dit en passant) en images d’archives. Il y a aussi l’originalité de proposer des scènes uniquement en créole (même si on peut débattre sur le fait que le créole sert toujours à parler de lutte et jamais à parler d’amour). Le point d’orgue de la localisation est la musique. J’ai peut-être été moins convaincue par le choix des chansons contemporaines, mais la bande-originale est vraiment bien. Pour moi, la meilleure marque de localisation est le long flash du combat de coqs comme métaphore filée pour représenter la lutte de Jimmy. On ne peut pas faire plus couleur locale que ça.
Un peu de Politik
Concrètement, le seul intérêt que je vois dans le Gang des Antillais est sa raison d’être. Sa sortie dans le contexte actuel est d’autant plus symbolique. Ceci étant dit, il est vrai que le message politique est assez complexe. Pour le coup, il y a un effort de contextualisation (contrairement à Rose et le Soldat, #justsaying), mais les références historiques restent quand même déconnectées de la réalité que le film semble vouloir montrer. Je veux dire, à part les images d’archives du début, le film dit beaucoup ce qui ne va pas ou ce qui n’allait pas dans la vie des Bumidomiens mais ne le montre pas. Ce sont les scénaristes qui ont créé le lien entre les indépendantistes et l’action du gang des Antillais. Était-il nécessaire de faire ce lien ? Honnêtement, je ne le pense pas, mais je comprends pourquoi ils ont voulu faire ce rapprochement. Les occasions d’en parler sont tellement rares. Aucun spectateur ne peut ressortir de la salle sans savoir que le gouvernement français a orchestré la présence des Caribéens sur le territoire hexagonal. Aucun spectateur ne peut ressortir de la salle sans savoir qu’ il y a eu une lutte pour l’indépendance dans les Antilles françaises il y à peine une génération. Saura-t-il comment cette première génération vivait dans la France des années 60 et 70 ? Saura-t-il pourquoi il y a (eu) une lutte ? C’est moins sûr, mais ce n’était pas le but du film…
Objectif : réhabiliter l’homme noir ?
Le Monde Afrique (#icwyd) utilise cette phrase pour promouvoir l’interview de J-C Barny et Sébastien Onomo mise en ligne le 30 novembre même. Je laisse de côté mes remarques féministes (1). En tout cas, pour ce qui est de l’image de l’homme noir, le Gang des Antillais lui donne une voix qu’il utilise pour crier sa déception et son désespoir. Le film offrait plusieurs possibilités d’approche : la naissance du gang, la période grand braquage, la période post-braquage. Personnellement, j’étais plus intéressée par la rencontre entre les membres du gang et sur le cheminement pour se faire confiance, sur la création de ce sens de brotherhood (ça sonne plus cool que “sentiment de fraternité). Tout cet aspect est résumé en quelques phrases en voix-off au début du film pour plonger dans le vif d’un sujet dont on connaît déjà les tenants et les aboutissants. En fait, c’est ça. Le film est sans surprise, dit beaucoup de choses sur plusieurs thèmes importants sans jamais vraiment se poser pour montrer cette vie dont les personnages ne veulent plus.
Honnêtement, nous espérons tous que le film sera un précurseur pour raconter d’autres histoires, dans d’autres genres sur ces thèmes complètement inexplorés. Vu le frisson qui électrisait l’atmosphère lors des trente premières minutes du film ou lors des envolées lyriques de Politik, il est indéniable que le public est réceptif et a envie qu’on lui parle de lui, de ce que ses parents ont vécu et de ce qu’il pourra montrer à ses enfants. Chaque histoire peut être porteuse de valeurs universelles auxquelles tout le monde peut s’identifier. Si, si, essayez et vous verrez.