Musique caribéenne, K-pop et la stratégie des shows live

Il y a quelques semaines, j'ai fait la connaissance de Bwamélé/Blended Roots. Avec sa plateforme, elle veut aider à créer l'écosystème légitime que l'industrie musicale de la Caraïbe (francophone) doit devenir pour que nos artistes prospèrent. Alors que je parlais de mon point de vue sur la croissance internationale de la K-pop, elle a mentionné le livre de Lisa Gordon : "International Trade and the music industry : Live music services from the Caribbean" (Commerce international et industrie musicale : les services de musique live de la Caraïbe).

Cet essai basé sur la thèse de doctorat de Lisa Gordon dresse une liste des différents défis que les artistes caribéens doivent relever pour exporter leur musique. Le fait qu'elle ait utilisé la stratégie K-pop comme modèle m'a convaincue d'acheter l'ebook. J'ai été impressionnée par la portée de son analyse, car elle donne aux chercheurs et aux experts en art de nombreux sujets à creuser dans le contexte caribéen : les politiques culturelles divergentes, l’impact économique des activités musicales, l’exportation de spectacles, le développement d'un marché intra-Caraïbe efficace entre les territoires souverains et non souverains. C’était très intéressant de lire la situation de son point de vue trinidadien. En tant que Guadeloupéenne, j’étais d'accord sur de nombreux points, mais mon point de vue totalement partial de Karukerament adoptera une position plus radicale sur les changements nécessaires, d'une manière qu'un travail académique ne peut faire sans être qualifié de subjectif. On le fait pour la culture.

Pourquoi vouloir exporter notre musique ?

Chacun a sa manière unique d’être caribéen. La culture nous rassemble, mais nous ne la vivons pas de la même manière et nous ne la définirons certainement pas de la même façon. Cet essai retrace brièvement l'histoire (l'absence) d'efforts politiques caribéens pour construire un front uni cohérent et exporter notre culture. Nous comprenons comment et pourquoi certaines organisations caribéennes sont inefficaces dans la mise en œuvre de lois visant à développer le commerce culturel avec l'Union européenne. En négociant des partenariats avec le "Nord", les organisations caribéennes ne sont pas convaincues que la culture caribéenne puisse rapporter de l’argent.

En toute honnêteté, avant la démocratisation d’Internet, je comprends que nous n'avions que peu de preuves de l'impact culturel de la Caraïbe à l'échelle mondiale, ce qui ne nous donnait pas la fermeté nécessaire pour mener des négociations avec le "Nord". Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La diaspora joue un rôle de premier plan dans les industries culturelles. Internet est notre centre d'archives numériques. Nous n'oublierons PAS comment Ed Sheeran (“Shape of You”), Justin Bieber (“Sorry”) ou Major Lazer (“Watch Out For This”) ont reconditionné la musique dancehall entre 2014 et 2016/2017 et ont gagné des millions. À l'époque, l'industrie de la K-pop a joué le jeu en optant pour une "tendance tropicale" et, pour être tout à fait honnête, cette situation a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase et m'a fait quitter le fandom de la K-pop. J'avais passé près d'une décennie à observer toutes les stratégies utilisées par l'industrie de la K-pop pour se développer avec des genres musicaux qu'elle n'avait même pas créés. S'ils peuvent le faire, nous pouvons faire encore mieux. Alors, qu'avons-nous et de quoi avons-nous besoin ? C'est ce que j'avais en tête lorsque j'ai lancé mon blog myinsaeng.com avant de passer à karukerament.com. Non pas que je sois très intéressée par la recherche de données sur des sujets spécifiques. L'impact culturel de Kassav' était une donnée empirique suffisante pour moi. C'est pourquoi mon approche consistait davantage à comprendre l'image de marque et le récit que nous créions autour de la culture caribéenne.

Comme le souligne Lisa Gordon, sa thèse était un étude de cas sur la Guadeloupe et Trinidad et j'aurais aimé qu'elle nous donne plus de contexte sur la raison pour laquelle elle a décidé d'utiliser la Guadeloupe comme exemple. Surtout quand la plupart des artistes guadeloupéens ont refusé de revendiquer le Zouk dans les années 2010. En 2016/2017, c'est aussi le moment où l'industrie musicale française a commencé à remarquer Aya Nakamura. Elle n'était pas rappeuse, mais elle était trop noire pour être dans la catégorie pop. Elle n'était pas afroantillaise, et bien que sa musique soit fortement influencée par le zouk, l'industrie musicale française l'a retenue pour faire avancer un genre appelé "pop urbaine". Six ou sept ans plus tard, la plupart des artistes guadeloupéens et martiniquais ne font pas la promotion du zouk. Certains d'entre eux osent même s'appeler "artistes de pop urbaine" maintenant... Et le fait qu'Aya Nakamura soit mentionnée dans un livre sur l'industrie caribéenne, mais qu'il n'y ait aucune mention spécifique d’artistes de Zouk ou de dancehall de ma génération est révélateur de leur invisibilisation dans l'industrie française.

Ceci dit, Haïti a l'un des genres musicaux les plus influents à travers la diaspora, il y a beaucoup à apprendre sur la façon dont des groupes comme Tabou Combo, Carimi peuvent encore organiser de grands concerts à Paris au début des années 2020 sans passer par le circuit traditionnel des médias grand public OU sur la façon dont les artistes de la nouvelle génération démarrent leur carrière en France ou aux États-Unis. Si on veut réfléchir à la manière dont l'industrie musicale caribéenne peut se développer, les artistes haïtiens qui s'accrochent à leur identité constituent un cas d'étude plus intéressant que les artistes guadeloupéens qui cachent encore leur identité culturelle. Pour le moment, en tout cas…

C'est pourquoi je me demande comment les Caribéens non-francophones considéreront le cas de la Guadeloupe comme pertinent pour les autres pays souverains de la Caraïbe... Surtout en l'absence d'éléments approfondis de comparaison sur la façon dont Trinidad a opéré sur le marché nord-américain au cours de la dernière décennie. Cependant, je pense que cet essai ouvrira les yeux à ceux qui pensent que les artistes guadeloupéens ont la vie facile parce qu'ils ont un passeport français.

C’était rafraîchissant et presque rassurant de voir une analyse prenant en compte le racisme systémique auquel les artistes de la Caraïbe francophone ont toujours dû faire face. J'ai mené quelques interviews, j'ai écouté et regardé des dizaines de discussions entre artistes caribéens français au cours des cinq dernières années... Je ne pense pas avoir jamais entendu le mot "racisme" prononcé. On le contourne, on le décrit en long et en large, mais on ne l'appelle jamais par son vrai nom. Dans son essai, Lisa Gordon explique clairement que le fait d'avoir la nationalité française ne signifie pas que les artistes de Guadeloupe et de Martinique bénéficient d'un traitement équitable en Europe. 

La question reste donc : pourquoi les artistes caribéens veulent-ils exporter leur musique en Europe ou aux États-Unis alors que ces territoires leur montrent aussi peu de considération ? Si la réponse est l'argent, la question est d’autant plus valable si l'on considère l'industrie de la K-Pop comme un modèle viable.

Comment lire la stratégie K-Pop

Il y a dix ans, le monde universitaire n'aurait pas pu fournir une analyse aussi précise que celle proposée par Lisa Gordon sur la façon dont la K-pop a gagné une telle visibilité dans le monde entier. Cependant, mon approche Karukerament oserait dire que la Caraïbe a toujours été le modèle d’origine. Comme le rappelle Lisa Gordon, l'industrie de la K-pop a démarré dans les années 90 exactement comme l'industrie caribéenne, avec trois labels indépendants qui tentaient de révolutionner le divertissement dans leur pays. En raison de notre configuration géographique et politique composée de plusieurs pays souverains et non souverains, nos gouvernements n'ont pas soutenu les initiatives individuelles qui construisaient déjà des ponts culturels dans la région dans les années 70 et 80.

Pendant que la Corée du Sud s'est efforcée de créer un écosystème local, nous avons tous fini par focaliser nos efforts pour percer sur les marchés étrangers auxquels nous estimions avoir droit en raison de liens coloniaux passés ou actuels... Zouk et Cadence-lypso en France dans les années 80/90 ; dancehall aux États-Unis dans les années 90/2000. Je sais que Bob Marley est une icône de la musique au-delà du genre reggae, mais un autre artiste jamaïcain a-t-il pu reproduire ce niveau de succès en terme de changement de culture ? Dites-moi si vous en connaissez d’autres, car c'est ce que nous devons essayer de comprendre. Ce que je veux dire, c’est que les artistes caribéens ont dépensé beaucoup d’énergie pour percer sur des marchés étrangers, mais à quel point se sont-ils investis pour entretenir leur fanbase locale sur ces 25 dernières années ?

Lorsque la Corée du Sud s'est attaquée au marché japonais, son objectif était l'argent. Sa stratégie était uniquement basée sur la connexion avec le public. Comme je l'ai dit dans mon épisode spécial “le Zouk du 21ème siècle peut-il être une pop music Kréyol internationale ?”, Kassav' avait déjà cette stratégie. La différence ici, c'est que les agences sud-coréennes ont commencé par montrer leur identité et ont toujours développé une fanbase locale avant de s'attaquer au Japon et au reste du marché asiatique. Les artistes qui ont suivi Kassav', en particulier ceux qui sont nés et ont grandi en France dans les années 80/90, ont voulu se fondre dans l'industrie française et se sont dissociés de leurs racines caribéennes. Nous voici donc 30 ans plus tard. Le zouk rapporte encore beaucoup d’argent à l'industrie française, mais les artistes caribéens français sont laissés dans l’ombre. Aux États-Unis, les artistes jamaïcains de dancehall sont considérés comme des tendances qui reviennent tous les dix ans, lorsque les artistes noirs américains veulent la Caribbean touch.

Ce que je veux dire, c'est qu'il s'agit de musique. La musique, c'est la culture. La K-pop est le seul médium qui ne reflète pas la culture sud-coréenne. L'industrie de la K-pop doit encore trouver le moyen de créer son propre genre musical et d'en faire un succès mondial. Pendant ce temps, la Caraïbe n'a plus à prouver son impact mondial sur la musique, mais sa contribution est constamment éclipsée. 

L'industrie de la K-pop s'articule autour d'un système de production "tout-en-un" similaire à celui mis en place par la Motown. Elle a standardisé et industrialisé l'art tout en déshumanisant les artistes. Il ne suffit pas de dire qu'il faut être prudent si l'on veut un jour mettre en place un tel système. Chaque exemple d'industrie prospère que nous voyons aux États-Unis ou en Europe est un environnement toxique. Au contraire, toutes les autres industries témoignent du côté sale que peut facilement prendre le monde du divertissement lorsque les gens renoncent à leurs valeurs et à leurs principes.

La question reste : pourquoi devrions-nous nous inspirer de systèmes corrompus pour construire le nôtre ? Si la réponse est l'argent, alors la question est encore plus valable à l'ère du streaming, car le système de rémunération est si mauvais que même les plus grands artistes vendent leur catalogue. La musique génère de l'argent, mais ce ne sont pas les artistes qui en profitent. C'est pourquoi je suis totalement contre l'idée d'avoir de grands labels. Je pense que nous devrions perfectionner le système actuel des labels indépendants, qui est plus humain et plus souple dans notre mode de vie dominé par la technologie. Le problème, c'est que la plupart des artistes caribéens refusent d'adopter un état d'esprit d'entrepreneur, mais c'est une autre discussion pour un autre jour.

Par ailleurs, j'oserais dire que le succès actuel de BTS cache le fait que la Corée du Sud ne dispose pas d'un système efficace pour exporter des groupes internationaux ayant une discographie solide. Au cours des 25 dernières années, combien d'agences de K-pop ont réussi à élargir leur catalogue avec des groupes à succès sans interruption ? Pour l'instant, il n'y a que SM Entertainment. Et c'est parce que Lee Soo Man a toujours eu deux longueurs d'avance sur le marché, avec une vision très claire de la manière dont la musique sud-coréenne allait conquérir le monde. Il a trouvé les bonnes personnes pour mettre en œuvre sa vision et continuer à avancer dans cette direction une fois qu'il a quitté son poste de PDG. 

C'est pourquoi je ne pense pas que le système de production de la K-pop soit une chose à laquelle on puisse aspirer. Je pense qu'il s'agit simplement d'une possibilité d'exister en dehors du système occidental et de l'ampleur que cela peut prendre. Alors oui, la façon dont la K-Pop a exporté ses concerts peut être étudiée, mais il n'y a pas de concert sans l'intention de s'adresser d'abord à un public.

Les données dont nous avons réellement besoin

Traverser les frontières et les cultures, nous l'avons fait bien avant l'industrie de la K-pop. Les événements caribéens organisés dans le monde entier sont toujours un succès. Mais qu'en est-il de l'expérience transculturelle dans la région ? Je veux dire pourquoi moi, une femme afroguadeloupéenne, je peux chanter les plus grands succès de Machel Montano ou de Kes The Band, mais pourquoi une femme afrotrinidadienne ne peut-elle pas chanter les succès guadeloupéens actuels ? Pourquoi mon amie panaméenne vivant aux États-Unis est-elle fan de Tabou Combo alors que mon amie jamaïcaine n'a jamais entendu aucune de leurs chansons ? Dans l'épisode de "See You Yesterday" (Stefon  Bristol, 2019), j'ai expliqué que la musique est essentielle pour maintenir la culture caribéenne en vie dans la diaspora. Alors, malgré la barrière de la langue, malgré le manque d'exposition médiatique, comment les artistes caribéens connus dans toute la région ont-ils pu développer cette base de fans régionaux ? 

Oui, la radio est un facteur important, mais c'était au XXe siècle. À l'ère du streaming, le bouyon et la trap ont conquis la jeunesse guadeloupéenne sans être diffusés à la radio... Il en va de même pour le shatta en Martinique. Comment les artistes caribéens vingtenaires peuvent-ils faire connaître ce qu'ils font et construire leur propre héritage ? Que se passera-t-il si nous subissons une autre pandémie au cours de cette vie et que les artistes ne peuvent pas faire de tournées ? C'est pourquoi le seul paramètre fiable est le public. Les médias peuvent vous ignorer (comme le vivent les artistes caribéens français), les promoteurs peuvent refuser d'organiser vos concerts (comme le racontent les artistes caribéens anglophones qui veulent tourner dans l'UE), mais tant que vous entretenez un lien authentique avec votre public, l’argent sera au rendez-vous.

Même si je reconnais qu'il est important de parler des droits d'auteur, des frais de concert, de l'entretien des spectacles et de tout ce qui peut permettre aux artistes de gagner de l'argent, mon approche de Karukerament est axée sur l'expérience des fans. C'est là que réside le véritable argent. 

C'est le sujet qui revient le plus souvent dans tous les podcasts musicaux ces temps-ci : comment servir les super fans ? Ils ont toujours cette approche occidentale et pensent que la Beyhive d'aujourd'hui ou les fans de 1D aux premiers jours de Twitter sont un phénomène qui ne peut être ni reproduit ni fabriqué... mais la Corée du Sud et le Japon ont écrit le manuel des super fans depuis les années 90. Lorsque le monde occidental a laissé de côté les boy band et les girl band, le Japon et la Corée du Sud ont fait de cette tendance un élément essentiel de leurs industries musicales et l'ont réinjectée dans le monde occidental. Il ne s'agit pas ici de créer une fanbase juste pour gagner de l'argent, mais de créer une véritable communauté. Il s'agit de faire vivre une expérience au public, de construire et de partager des souvenirs ensemble. C'est pour cela que les super fans sont prêts à dépenser de l'argent. Et cela ne peut fonctionner que si les artistes comprennent bien la culture qu'ils représentent et devant qui ils se produisent.

Il y a deux mois, j'ai assisté au concert de Yoan à Paris. Il a une quarantaine d'années, nous sommes donc de la même génération. Pendant le préshow, le DJ a joué des tubes dancehall du début des années 2000 qui m'ont ramené à mes années de boîte de nuit en Guadeloupe... Le public a hoché la tête mais n'a PAS pon de river, pon de bank. Ils n'ont même pas signal da plane. Et je ne pense pas qu'ils étaient timides. Ils étaient soit trop jeunes, soit trop blancs pour savoir quoi faire. Pourtant, ils ont chanté toutes les paroles des chansons de Yoan. Et avant que vous ne pensiez que c’était une histoire de musique caribéenne pas assez connue… J'étais au concert d'Usher à Paris en septembre dernier. Pendant l'échauffement, le DJ nous a donné tous les tubes du Dirty South du début des années 2000. La foule chantait en chœur, mais lorsqu'il s'agissait de lean with it, rock with it ou de snap your fingers, seules les femmes noires de mon âge faisaient ce qu'elles étaient censées faire, tandis que les autres se contentaient de faire des bodywaves tout au long de la chanson. Et lorsque le DJ a mis "Swag Surfin", devinez qui savait vraiment comment swag surfer ? 

Ce que je veux dire, c'est qu'il y aura toujours un fossé culturel, où que vous soyez, quel que soit le genre de musique ou le degré de popularité grand public de l'artiste. Ce qui compte vraiment, c'est l'authenticité de l'artiste. La musique vend une culture. Il est inutile de trop réfléchir aux paroles ou aux thèmes des chansons, ni de changer de son pour satisfaire un public étranger. Les artistes caribéens devraient se contenter de donner le meilleur d'eux-mêmes à leur public local et le reste du monde suivra, comme il l'a toujours fait.

Tant que nous ne définirons pas et n'entretiendrons pas notre propre culture fan, nous aurons du mal à construire un marché caribéen fort et à obtenir le respect que nous méritons sur la scène mondiale. Ce que je veux dire, c'est que la musique caribéenne a toujours circulé dans la région, dans la diaspora et en Afrique, mais la plupart du temps, c'est à sens unique et l'expérience des fans se limite au strict minimum : écouter la radio et, si l'on a de la chance, assister à un concert dans sa vie. Ce qui me ramène au sujet principal : "l'exportation des spectacles live".

La technologie efface la plupart des problèmes géographiques. Les artistes peuvent collaborer sans avoir à prendre l'avion. Ils peuvent même organiser des concerts sans avoir à prendre l'avion. La performance Verzus de Beenie Man et Bounty Killer pendant la pandémie serait plus facile à reproduire localement que de les faire partir en tournée. Si les festivals de cinéma peuvent bloquer les streams en provenance de l'extérieur de la Caraïbe, je ne vois pas pourquoi les artistes ne pourraient pas proposer des concerts que leur public pourrait regarder en streaming exclusif dans toute la région... En d'autres termes, nous avons développé une culture des festivals de musique, alors serait-il si difficile de développer une culture des concerts (en ligne) ? Faites sentir au public local qu'il est important, offrez-lui une expérience haut de gamme pour une fois. 

Il ne s'agit donc pas seulement d'exporter des spectacles, mais aussi de développer une expertise locale dans ce domaine. Nous pouvons recueillir toutes les données que nous voulons, mais si nous ne sommes pas résolument caribéens dans notre lecture de ces data, rien ne changera. Je veux dire que les données ne changeront pas le fait de voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. L'état d'esprit est primordial. Lisa Gordon le mentionne brièvement dans son introduction parce qu'elle a rencontré une certaine résistance au début de ses recherches. Grâce à cet essai, toutes les discussions sur le commerce de la musique centrées sur l'UE ou les États-Unis et sur le fait que les artistes caribéens ont besoin de l'UE ou des États-Unis peuvent désormais cesser. Lisa Gordon a prouvé les limites du partenariat commercial UE-CARIFORUM avec des preuves concrètes en ce qui concerne les services de musique. Les chercheurs caribéens peuvent désormais se concentrer sur la manière d'améliorer le commerce de la musique dans la région. Si les pays anglophones, hispanophones et néerlandophones de la Caraïbe assurent leur propre commerce de la musique et si la Guadeloupe et la Martinique font de même, il sera toujours possible de combiner ces quatre types d'expertise à un moment ou à un autre. Ce n'est qu'à ce moment-là que l'exportation de live shows en dehors de la région sera rentable pour tout le monde.

Au cours des sept dernières années, j'ai entendu de longs discours sur ce que nous faisons de mal, mais je n'ai pas encore entendu la même passion pour parler de ce que nous faisons de bien. Et nous faisons forcément quelque chose de bien si "Despacito" de Luis Fonsi et Daddy Yankee est devenu l'un des plus grands succès de la planète (et le remix konpa “Ralanti” Oswald & Vayb est perfection). Nous faisons forcément quelque chose de bien si le DJ haïtien Michaël Brun nous a fait voyager dans la Caraïbe lors de sa date parisienne de la tournée Bayo, et si la foule, composée essentiellement de Haïtiens d'une vingtaine d'années, a chanté des classiques dancehall, soca, zouk et reggaeton. Nous faisons forcément quelque chose de bien si des hits Zouk du 20ème siècle se font encore samplés partout dans le monde. Nous faisons forcément quelque chose de bien si les artistes américains continuent à faire appel à des artistes jamaïcains pour leurs tubes de l'été... 

En conclusion…

"International Trade and the music industry : Live music services from the Caribbean" a pour but d'ouvrir des discussions indispensables sur les obstacles auxquels sont confrontés les artistes caribéens pour construire une industrie musicale durable dans la Caraïbe. Il donne un aperçu du racisme systémique français. Le manque de contextualisation sur la pertinence du cas de Trinidad et de la Guadeloupe pour l'ensemble de la région empêche de mettre en lumière les points forts spécifiques de chaque pays que nous pouvons utiliser pour établir notre industrie musicale avec les règles et les valeurs qui nous conviennent. Une fois que vous aurez lu cet essai, vous devriez être convaincu que la clé de l'avenir de la musique caribéenne se trouve dans la Caraïbe et nulle part ailleurs. Nous n'avons besoin de personne d'autre que de nous-mêmes pour réaliser notre rêve. Nous sommes le prototype, le modèle à suivre et nous devons nous comporter en tant que tel.

Photo de Samuel Regan-Asante sur Unsplash

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