D. Gisele Isaac : " "The Sweetest Mango" avait pour but de montrer la culture, les valeurs, les personnalités et la beauté physique d'Antigua & Barbuda."

Voici la deuxième interview réalisée pour Karukerament. D. Gisele Isaac est la scénariste de “The Sweetest Mango”, le premier film d’Antigua and Barbuda. Ex- Executive Secretary of the Board of Education (= secrétaire exécutive de notre ministère de l’éducation nationale), elle est avant tout une autrice portant haut les couleurs de son île. Ne la connaissant pas et limité par le format écrit, j’ai axé mes questions principalement sur les enjeux culturels que représente ce film. Même évoqué brièvement, il est toujours intéressant de connaître le processus d’écriture des autres. En la lisant, je me suis moi-même interrogée sur ma façon d’écrire. Je suis encore loin de pouvoir expliquer mon processus de façon aussi claire et concise, mais je me retrouve dans sa volonté de montrer la beauté authentique de son île… Voici la version traduite de cette interview. Je publierai la version originale après la mise en ligne du dernier épisode consacré à The Sweetest Mango. Bonne lecture !

Je sais que l'histoire d'amour de Mitzi et Howard Allen est à l'origine de l'intrigue du film. Quelle est la part de réalité reflétée dans la version finale du scénario ?

L'ossature du film est construite sur l'histoire des Allen, mais le corps même du film vient de mon imagination. La mangue offerte en cadeau devait être “le grand moment” du couple à l'écran, mais autrement, l'histoire avait pour but de montrer la culture, les valeurs, les personnalités et la beauté physique d'Antigua & Barbuda. Créer les dialogues faisait partie de mes prérogatives, il n' y avait pas de “diktat” de la part des producteurs.

Pendant le processus d'écriture, connaissiez-vous déjà les lieux en extérieur où seraient tournées les scènes ? Comment et pourquoi avoir choisi ces lieux pour refléter la vie à Antigua?

Les lieux en extérieur ont été choisis par les producteurs. Mais c'était un désir collectif de capturer les lieux pour affirmer aux Antiguayens et Barbudiens que nous étions à la maison mais aussi pour que ces lieux parlent à ceux de la diaspora. Obtenir leur reconnaissance et leur validation, c'est ce qui a guidé nos choix. Nous voulions “frimer” avec notre île. Pas avec l'idée du lieu de vacances vendu aux touristes, mais avec l'idée de “voici où et comment nous vivons”.

Luv revient s'installer à Antigua après avoir vécu la majorité de sa vie au Canada. Richard a passé toute sa vie sur l'île. Quel était le parcours de vie le plus commun pour les jeunes Antiguayens à l'époque ? Et qu'en est-il aujourd'hui ? Je pose la question parce que c'est un véritable problème en Guadeloupe.

Beaucoup de jeunes étudiants, de jeunes ambitieux quittent notre pays principalement pour l'Amérique du Nord après leurs études secondaires. La majorité d'entre eux ne reviennent jamais. Donc la décision de Lovelianne n'était pas si habituelle que ça. Le fait que Richard reste ici, se trouve un emploi fixe qui lui permet de faire carrière est un scénario habituel. Cela arrive souvent parce que les familles n'ont pas les moyens pour envoyer leurs enfants à l'étranger pour leurs études supérieures. Donc ces enfants restent et entrent sur le marché de l'emploi et partir en vacances à l'étranger leur convient.

On entend parler des parents de Luv et du père de Richard. Nous voyons sa marraine et la fille de cette dernière. Était-ce intentionnel de ne montrer aucun parent ou grands-parents à l'écran?

C'était intentionnel, je dirais : une décision pour ne pas avoir une distribution avec un grand effectif.

Le film a-t-il changé votre processus d'écriture ?

Le film n'a pas changé mon processus d'écriture. Il a été la confirmation que je ne peux pas écrire de la fiction de façon linéaire ou de façon séquencée. J'écris d'abord ce qui me vient en tête – je capture la scène ou la personnalité qui me parle dans l'instant – et ensuite j'assemble les pièces pour recréer le puzzle. Une fois cette étape est terminée, je fais la relecture critique et je fais les réductions nécessaires. Je ne fais quasiment jamais d'ajouts.

J'ai l'impression que The Sweetest Mango est intemporel. Mais qu'auriez-vous changé si vous l'aviez écrit en 2020 ?

Je suis contente que l'histoire ait été écrite il y a 20 ans. Antigua & Barbuda, comme le reste du monde, est devenu un lieu où la vie est plus difficile, plus rude, où il y a moins d'innocence, moins de gentillesse, j'ajouterais même qu'il y a moins de fierté nationale. L'aspect nostalgie aurait été absent. The Sweetest Mango est intemporel précisément à cause de l'époque où il a été écrit.

Quels autres types d'histoires souhaitez-vous raconter avec votre île ?

Par chance, j'ai eu l'opportunité de raconter d'autres types d'histoires. Pour HaMa Films, j'ai écrit No Seed, qui est un drame politique ( se déroulant sur l'île fictive de St. Mark) qui reflète la réalité politique d'Antigua & Barbuda. Il montre le côté sombre du “paradis”, où l'argent, l'avidité, la manipulation, les intérêts personnels et même les meurtres se jouent.

J'ai aussi écrit Considering Venus, qui raconte la relation entre deux femmes – l'une est gay, l'autre est hétéro. Le film se déroule à New York et à Antigua. Il s'intéresse à ce qui était tabou (en 1998) : non seulement il s'agissait d'amour entre deux personnes du même sexe, mais c’était un amour entre deux personnes caribéennes du même sexe. Le film parle de la façon dont cette relation affecte les familles de ces femmes et ce que les gens sont prêts à sacrifier – ou à accepter – pour s'épanouir émotionnellement. C'est absolument la meilleure oeuvre que j'ai écrite !


Je remercie une nouvelle fois D. Gisele Isaac pour sa disponibilité.