#streamcaribbean - "Everywhere I Go" de Kevni (février 2024)

Moins d'un an après “INEVITAB” (lire la chronique Karukerament), Kevni (Guadeloupe) a fait son retour avec “EVERYWHERE I GO”. Je reconnais que ce projet m’a laissé perplexe. Dans le bon sens c’est-à-dire que je reste intriguée parce que je ne suis toujours pas le public cible mais j’entends une versatilité artistique qui pourrait me faire entrer dans le public cible plus tard. 

 Je n’ai pas compris si c’était un EP ou un album studio… J’ai eu l’impression que c’était un EP conçu comme un album studio. Un EP dans le sens où, musicalement, Kevni a des mélodies efficaces avec la légèreté de la pop caribéenne qui reste dans la tête mais avec aussi l’assurance du hip-hop et le côté dansant de la dancehall. Il n’y a pas de fil conducteur en soi pour classer le projet dans une seule catégorie. Les titres s’enchaînent comme des exercices de style où Kevni excelle à chaque fois. Néanmoins, on peut effectivement considérer que c’est un album studio parce que la tracklist reste cohérente avec le va-et-vient constant entre ses deux thèmes de prédilection : la vie de la débrouillardise et l’amour romantique

Avec la piste “Stoïc” en ouverture, Kevni se lance dans un nouveau chapitre de son histoire musicale. L’intro en anglais rappelle le dilemme sur lequel on avait quitté son personnage à la fin de l’EP “INEVITAB”. Continuer à vivre à 100 à l’heure, à se mettre en danger ou se poser et prendre le temps d’aimer, d’être aimé ?  Son identité rap prend le pas dans les titres “2-2”, “BOSS MAN” ou encore “A Quoi Tu Sers?”. Pas de glorification de la débrouillardise, mais plutôt un regard critique sur la solitude, les trahisons et les déceptions qui accompagnent ce mode de vie. “Everywhere I Go”, placé milieu de l‘album, marque bien le caractère solitaire de cette introspection.

Pourtant, l’envie d’aimer est réelle. Si “PROFÉSÈ” reste encore en surface parce qu’il se positionne en sauveur, à partir de “BEL FLÈ” jusqu’à “SHEITAN”, en passant par “IF YOU KNOW ME” et “TCHÈ MWEN MALAD”, on glisse dans l’intimité d’une vraie relation. Et ce sont surtout les doutes et les peurs qui ressortent au final, comme si l’amour authentique reste un idéal inatteignable. Mention spéciale pour “SHEITAN”. Encore une fois, comme pour “JIMAN” dans l’EP “INEVITAB”, Kevni décrit une sexualité crue sans tomber dans la vulgarité. Je trouve fascinant qu’une femme qui assume ce qu’elle veut passe toujours pour un démon… ou en tout cas un être surnaturel face auquel les hommes se sentent sans défense au lieu de tout simplement apprécier l’intimité et la vulnérabilité partagées. En ce sens, si effectivement la relation met en danger la santé mentale, la rupture amoureuse chantée dans “CONTRARIETE” apparaît comme la fin logique de ce chapitre introspectif. 

Je fais la même conclusion que l’année dernière. Kevni continue de s’affirmer dans un style caribéen ouvert sur le monde. Il aborde le thème de l’amour avec une sensibilité qui ne peut que nous faire anticiper l’évolution de sa vision de la vie en général. Peut-être même aurons-nous droit à des chansons sur des rapports femme-homme apaisés. Rendez-vous au prochain chapitre. 

Mes pistes Karukerament

Everywhere I Go - le genre de titre qui peut plaire à l’international. Un thème universel mais des paroles chantées en créole avec des mots que le public non-créolophone peut reprendre, un arrangement épuré qui met en valeur la voix rappée et chantée de Kevni. 

Tchè Mwen Malad (feat. Dory) - depuis un an, on nous sort des samples de Zouk à toutes les sauces. J’ai déjà dit ce que j’en pense. Il n’y a pas besoin d’utiliser des samples pour faire un clin d’oeil au Zouk. Cette chanson est un exemple réussi de rester dans son couloir tout en rendant hommage à notre patrimoine Zouk.  

Sheitan - c’est un regard sur l’amour à travers une culture populaire globalisée mais la dominante reste la culture caribéenne. Je l’aurais préféré en titre promotionnel à la place de “Profésè” mais c’est le genre de titre ambitieux qu’il faut avoir les moyens de défendre parce qu’il y a un mélange de références culturelles qui méritent une représentation juste sans cliché.