#streamcaribbean "INEVITAB" de Kevni

On continue la série des chroniques #streamcaribbean de 2023. Après Lorenz et son EP “Lunatiq” sorti en janvier, il est temps de parler de Kevni et de son EP “INEVITAB” disponible depuis février.

Je fais du yaourt avec les paroles des classiques de dancehall des années 90. J'aime winer en solo ou avec le bon partenaire, mais j'écoute beaucoup trop occasionnellement ce genre musical pour me déclarer fan. Mais il se trouve que le dancehall de ces 5 dernières années s'est zoukifié donc il arrive à mon algorithme Spotify de me suggérer des nouveautés dancehall. Kevni en faisait partie en début d'année avec un EP inédit. Pour 18 minutes et des poussières, j'étais prête à mettre de côté mon désintérêt pour le genre musical. Et je ne regrette pas. "INEVITAB" associe le concept expérimental d’une mixtape à l’ancienne et le format album adapté pour le streaming. 

A part le featuring sur “Boug An Mwen” que j’avais évoqué dans le podcast avec KRYS, je n’avais jamais vraiment écouté Kevni. Après mon coup de coeur pour “INEVITAB”, je suis donc allée écouter son premier album “TOP BOY”... Et je confirme que je n’ai pas d’affinité avec ses propositions artistiques précédentes. Je ne suis pas le public cible donc mon avis vaut ce qu’il vaut.  

Du dancehall au bouyon en passant par le shatta ou le reggaeton, “INEVITAB” reflète les explorations musicales de Kevni sur ces quinze dernières années. Peu importe le tempo, peu importe les modulations de sa voix dans les graves ou dans les aigus, son flow s’adapte aux mélodies au point où j’avais ignoré les paroles lors de mes premières écoutes. Je préférais rester dans cet univers caribéen sans lever les yeux au ciel ou souffler aux propos trop misogynes et/ou toxiques que j’aurais pu entendre. Mais pour l’intégrer dans cette série de chroniques musicales, je me devais d’écouter réellement. Et là…

La versatilité dans les instrumentales se retrouve dans l’approche des thèmes traditionnels sublimée par une plume porteuse d’une identité caribéenne contemporaine. Accordant créole, français et anglais, Kevni enchaîne les rimes, les jeux de mots et les métaphores avec une fluidité qui prouve notre richesse culturelle aux influences multiples.

Dans la lignée d’une introduction en egotrip avec “ROCKSTA”, il met en lumière la culture de la débrouillardise avec “MILLION CASH” et “MONEY MO” où l’argent représente une obsession dans un contexte de précarité. Le sexe est aussi bien présent sur cet EP. Entre “JIMAN” et “DONDADA BOSS” (avec Matieu White), Kevni propose une vision de la femme qui assume pleinement sa sexualité. Point bonus pour prôner le plaisir entre adultes consentants avec un langage cru sans dégrader la femme pour autant. Point compte triple pour le fait de prôner des rapports sexuels protégés en toute circonstance. Bonus pour le clip-vidéo de “JIMAN” qui réussit à reprendre les codes du porno sans tomber dans la vulgarité.

C’est pour cette raison que le titre “IMAJINÉ” (avec LaRose) a retenu d’autant plus mon attention. Derrière l’écran des “et si?” où se projettent les fantasmes, se devine le thème de l’amour romantique mais voué à l‘échec. A écouter “DI MWEN SA”, la dernière piste de l’EP, la relation amoureuse est donc une science difficile à maîtriser. Temps, patience et volonté, tels sont les trois ingrédients que Kevni nous recommande pour nouer une intimité émotionnelle de qualité… Entre rêve et cauchemar, entre la nuit et la journée, le calme après la tempête ne revient que si on fait les bons choix. Mais, comme il le chante si bien, comprendre une situation ne signifie pas savoir la gérer. Cette approche de la vulnérabilité masculine sans la nommer et sans la décrédibiliser nous permet de finir ce voyage musical sur une réflexion qui donne espoir sur le changementINEVITAB” des mentalités dans les rapports femme-homme.   

En résumé, “INEVITAB” est une excellente carte de visite pour Kevni. Autant l’album “Top Boy” s’inscrivait dans ce qui est attendu chez un artiste “urbain” français, cet EP laisse libre cours à sa maturité dans une dimension caribéenne assumée. La diversité musicale donne envie de winer et de s’amuser en solo, en voiture ou en soirée. Le style d’écriture mériterait d’être étudié plus en profondeur pour apprécier l’évolution du créole francophone du 21ème siècle. Les paroles poussent à réfléchir sur notre rapport à l’argent, au sexe et à l’amour d’une façon directe et saine. Quel est votre titre préféré de cet EP ?

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