#streamcaribbean avec KRYS [transcription]

[Emission enregistrée en janvier 2022]

Yé Moun La, vous écoutez #streamcaribbean, mon podcast sur les musiques caribéenes. Vous pouvez écouter chaque épisode directement sur le site karukerament.com ou sur les plateformes de streaming habituelles. Je m’appelle Maëlla. J’ai grandi en Guadeloupe en étant entourée de richesses culturelles qui ont façonné celle que je suis mais dont je n’avais pas conscience avant ma trentaine. Aujourd’hui, je vous invite à faire un voyage musical Karukerament pour découvrir ou redécouvrir une génération d’artistes guadeloupéens. Quand je dis Karukerament, je veux dire que ces artistes offrent leur lecture du monde en mettant en chanson notre passé, notre présent et notre avenir de notre point de vue guadeloupéen.  An nou ay mi la sa ka bay.

[intro]

J’espère que vous allez bien. Après la soul caribéenne de Meemee Nelzy, nous reprenons donc le voyage musical Karukerament avec le dancehall. Nous sommes avec KRYS. Dans cette première partie, il nous parle de son rapport à la musique guadeloupéenne et le regard qu’il porte sur sa carrière. Bonne écoute.


MAËLLA: Quel est ton premier souvenir de chanson guadeloupéenne ? 

KRYS: Wow. Premier souvenir de chanson guadeloupéenne, Patrick St-Eloi. Je me souviens d’une fête de fin d’année qu’on avait faite en famille avec tous les tontons, les taties, mamie etc où il y avait vraiment toute la famille. On avait même loué une maison pour fêter Noël.  Le répertoire de Patrick St-Eloi qui passe, les oncles et tantes qui chantent, qui dansent… Et voilà, PSE.

MAËLLA: Meemee Nelzy m’avait aussi pris Kassav’ comme premier souvenir de chanson guadeloupéenne donc ça prouve bien qu’ils sont vraiment fondateurs pour notre génération. Du coup je voulais savoir, vu que toi tu es vraiment dans le genre de la dancehall, même si j'ai vu dans les interviews que t'avais quand même commencé un peu par le rap avant de te tourner vers la dancehall.

KRYS: Ouais. 

MAËLLA: mais en même temps dans ton concert pour tes 10 ans qui est disponible en ligne sur youtube sur ta chaîne KRYSMUSICS, on voit que tu tu rends hommage au gwo ka, et tu as même invité Yves Thôle, un maître ka, donc je voudrais savoir quelle est la place du gwo ka dans ta façon d'aborder la musique ? Quel est ton rapport au gwo ka ?

KRYS : (rire) Je crois que avant tout c'est dans les gènes c'est à dire que consciemment ou inconsciemment un jeune qui grandit en Guadeloupe est forcément impacté par le zouk, par le gwo ka.  C'est notre environnement musical, culturel. Maintenant c'est vrai que pour moi c'est arrivé très tard, je dirais, dans ma conscience de professionnel de la musique parce qu'en fait moi j'ai intégré le monde de la musique vraiment par la rue entre guillemets c'est à dire par l’urbain. Une approche vraiment par les textes, par la culture que je voyais dans mon quartier en fait à Lauricisque. Les arts de rue : le graff le rap dans la danse hip hop. Du coup, quand on est jeune, quelquefois on ne s'intéresse pas si notre famille est là-dedans, on ne va pas s'intéresser directement à la musique traditionnelle donc moi je suis vraiment entré par le rap, par les textes, par la revendication, plutôt par la culture urbaine que par la culture traditionnelle donc cette conscience traditionnelle est arrivée bien après. Et j'ai pu l'exprimer d'ailleurs pour la première fois dans un concert, au concert de mes 10 ans.

MAËLLA : Je suis en train de me dire que moi c'est un peu similaire parce que j'ai grandi en Guadeloupe, mais effectivement je peux pas dire que je me suis vraiment posé de questions sur le gwo ka avant que je quitte la Guadeloupe. Effectivement, ça faisait toujours partie de mon environnement. Et dans les concerts que je fais d'artistes, on va dire depuis 2,3 ans maintenant ? 3 ans. Il y a toujours ce moment avec les tambours et c'est le moment en fait que j'attends maintenant parce que c'est là que je me sens vraiment à la maison. Même si ce sont des artistes que je n'écoute pas forcément dans ma vie de tous les jours, c'est vraiment le moment qui me permet de me connecter avec l'artiste. Quand tu dis t'as eu cette conscience, est-ce qu'il y a quelque chose en particulier qui t'a fait dire “bon bah là je vais m'y intéresser” ou c'est vraiment au détour des rencontres que t'as pu avoir ?

KRYS : En fait, ça, cette conscience de la musique traditionnelle vient avec le temps c'est-à-dire qu’en pratiquant mon métier d'artiste, en faisant des concerts, en faisant des séances studio, en répondant à certaines invitations puisque j'ai eu l'occasion de me produire sur scène avec notamment AKIYO, on étoffe son art et ses inspirations et ses compétences musicales. Je dirais c'est à ce moment-là qu'on se dit attends “OK moi je suis un grand grand fan de dancehall, j'ai toujours fait ça, je suis arrivé à la musique par ce style, mais je suis un Guadeloupéen et si je veux enrichir ma prestation, je dirais, lors de mon concert, il est naturel pour moi de me diriger, de faire ce qui appartient à notre culture et m'enrichir en allant chercher de ce côté-là.

MAËLLA : ça c'est la conclusion de mon Hors-série 1 : “le zouk du 21ème siècle peut-il être une pop music kréyol internationale ?”. Et en fait, je disais que la clé, c'est dans le fait d'utiliser les musiques traditionnelles mais après il faut savoir les présenter au public… Mais c'est autre chose. A quel moment considères-tu que ta passion est devenue ton métier ? Parce que tu dis souvent que tu fais ça par passion et que t'as toujours eu en tête de continuer tes études, d'être chef d'entreprise et tu faisais la musique à côté vraiment juste parce que tu aimais ça mais à quel moment tu dis bon là ça y est c'est mon métier, je fais ça à plein temps.

KRYS : Le moment où je me suis dit réellement que j'allais faire ça à plein temps, que c'était mon métier, c'est quand je finis mes études. (rires) J'ai terminé mes études et là où tous mes camarades étaient en mode recherche du 1er emploi à envoyer des CV à gauche à droite. Moi, ma route était toute tracée. J’étais signé chez UNIVERSAL. Et voilà c'était déjà mon métier en fait. Mais si tu veux c'est à ce moment-là où j'en ai vraiment pris conscience et, je parle de ça, j'ai été diplômé en 2007, mais là où c'est devenu mon métier c'était bien avant. La musique, je pense, est devenu mon métier quand j'ai sorti mon premier album. Quand “Limé Mic La” est sorti, là j'étais sur scène tous les week-ends. J'avais déjà fait pas mal de séance studio, j'avais déjà signé 2,3 contrats très sérieux dans la musique, donc c'était déjà mon métier mais simplement comme je poursuivais les études à côté, je n'avais pas à me poser la question de le faire à plein temps ou pas. Je vivais tout ça en fait sans me poser de questions c'est à dire je continuais à me développer dans ma musique mais toujours comme une passion. Même s'il y avait des contrats, même s'il y avait des salaires et cetera mais là où c'est devenu vraiment palpable, c'est quand je n'avais plus cours, je n'avais plus à retourner à l'école et que la musique prenait 100 pour 100 de mon temps à ce moment-là je me suis dit “ouais c'est vraiment ça en fait. Je suis un artiste professionnel”. 

MAËLLA : Dans ce cas-là donc 2004, “Limé Mic La”. Premier album. Un succès. Ensuite t’es signé chez UNIVERSAL en 2005/2006 ?

KRYS : Ouais, 2006.

MAËLLA : 2006. Tu sors “K-RYSMATIK”, 2e album. Encore un succès. Ensuite 2007 “Renaissance”, après on t’a arrêté dans ton envol par rapport à la polémique. Tout ça donc en 2007, Renaissance. Ensuite, on arrive à 2008, tu fondes Step Out Production. 2010 l'album “Step Out”.

KRYS : Qui a super bien marché. C'était un petit peu l’album du grand retour entre guillemets puisque c'est sur cet album qu’il y a le titre “Bootyshake” qui a quand même été un énorme tube et sur cet album, il y avait “Saucisson la” aussi qui a très très bien marché. Même artistiquement il n’y avait pas mal d'accomplissements puisque c'est sur cet album qu’il y a aussi mon featuring avec VYBZ KARTEL. C'est un album dont je suis super fier et qui a bien fonctionné.

MAËLLA : Comment décris-tu ta carrière entre le moment où tu sors “Limé Mic La” et “Oasis” ?

KRYS : Wow (rires) Comment je décrirais ma carrière ? Déjà c'est un parcours qui est fait de hauts, de bas, d'accidents, de relance, d'accélération, de succès aussi, bien sûr, et heureusement. Et voilà c'était vraiment une expérience… Exceptionnelle. A tous les niveaux que ce soit pour les bons comme les moins bons côtés je pense que j’ai eu une vie artistique et humaine bien remplie.

MAËLLA : Tu vois, t'as utilisé le mot exceptionnel et c'est exactement le mot que j'utiliserais aussi pour te décrire. Quand on a discuté, comme je t'ai dit, moi je suis pas du tout dans la dancehall. Enfin, les trucs commerciaux et tout ça pour aller danser, y a pas de souci. Mais je ne me suis jamais intéressée à la dancehall comme un genre musical de la même façon que je m'intéresse au R&B. Donc une fois que tu m'as dit oui pour l'interview, je me suis dit “bon là, on va faire un effort, on va aller écouter les albums mais vraiment du début à la fin”. J'écoute pas les chansons les plus les plus connues. Et les chansons qui me plaisent, c'est toujours les chansons qui ne sont pas des chansons promotionnelles. Et je me dis “le gars, il a fait tout ça et il était à peine dans sa vingtaine”. Et c'est pour ça que je me suis dit mais c'est exceptionnel.

KRYS : Quelquefois même aujourd'hui quand j'écoute ce que j'ai fait auparavant, je me dis “mais c'était quoi ma vie en fait ? Qu'est-ce qui a fait que j'ai toutes ces inspirations ?”. Tu sais, quand on est dedans on se rend pas compte. C'est vraiment avec le recul, même au niveau des textes, même au niveau des techniques, puisque quand je suis rentré dans la production, j'ai acquis beaucoup de recul par rapport à la création artistique. J’ai dû développer des outils pour jauger et évaluer en tout cas le contenu artistique d'une chanson, d'un artiste, ses capacités, son potentielet. C'est vrai que quand j'écoute le jeune KRYS, je suis plutôt content et je me pose même la question “est-ce qu’aujourd’hui je pourrais faire aussi bien ?” Mais après la réponse que je trouve, pour aller au bout de mon propos, c’est que je fais la musique  qui est à l’image de mon vécu. Peut-être qu'il y a des choses que je ne ferais pas aussi bien aujourd’hui qu’il y a 15 ans, mais il y a des choses que je fais aujourd’hui que je n’aurais pas été capable de faire il y a 15 ans. Tout est une question de vécu et d’inspiration et aussi beaucoup d'environnement. Je pense que je suis un peu une éponge. Mis à part le le travail que je peux mettre en termes de texte, en termes de tournures de phrases, en termes d'énergie, de flow etc, je pense que le contenu même de mes chansons est très très marqué par mon environnement et ma vie au moment où je crée le morceau.  

Dans cette deuxième partie, il discute du concept de l’album “Oasis” et de son intention de parler d’amour. #streamcaribbean. Bonne écoute.

KRYS :  En 2019, je pensais déjà à sortir un album. J’étais déjà parti dans une direction avec “Hangova”, “Tou Sa Ou Ka Fè”. J’avais déjà fait le choix de l’amour (rires) puisque, pour moi,... Alors ça va très loin. Quand j’ai eu ma fille en 2018, je me suis posé la question de mon héritage musical. J'avais déjà eu cette cette prise de conscience par rapport à la place que la musique a dans la vie des gens donc j'ai eu la chance de faire des morceaux très festifs. Donc il y a beaucoup de gens qui ont des souvenirs très très positif très très joyeux avec mes chansons, que ce soit “Big Tune du Carnaval”, “Programme de la Semaine”, “An Vlé An Gyal”, beaucoup de gens ont fait la fête sur ma musique donc c’est vrai que ça m’arrive assez souvent de rencontrer des gens qui me disent “oh la la je me suis trop amusé sur tes chansons” ou encore “j’ai serré plein de meufs”, j’ai ça aussi (rires), “avec ta musique” ou encore “ça me remontait le moral”. Franchement, c’est extrêmement valorisant pour les artistes de se rendre compte que notre musique accompagne aussi les gens dans leur vie, dans leur quotidien, et quand on a les retours positifs par rapport à ça, ça fait du bien et aussi ça nous responsabilise un petit peu par rapport à la musique qu’on fait. C'est vrai que quand on est dans dans l'intimité de la création parce que c'est quand même un acte très intime de cracher ses tripes sur une feuille ou sur une instru… C’est assez perso, en fait, au départ, quand on fait de la musique. Mais après une fois que cette musique est enregistrée, qu’elle est diffusée, chaque personne a le droit de se l’approprier et d’en faire ce qu’il veut pour lui, pour sa vie, pour son moral. Et du coup je me posais déjà cette question à me dire ok j'ai dépassé les 10 ans de carrière je vois un petit peu la place que que j'ai pu prendre aussi dans la vie des gens de par ma musique ou même par mon image donc en fait je me posais déjà la question ou en tout cas j'avais déjà cette réflexion de me dire “okay, maintenant que j'en suis conscient, avec le temps qu'il me reste en tant que chanteur, quelles traces j’ai envie de laisser ? Comment j’ai envie qu’on parle de KRYS dans dix ans, dans vingt ans, dans trente ans quand je ne chanterai plus ou quand je ne serai plus de ce monde ?”

Et là je me suis dit “déjà je vais m’axer sur la positivité.” Peu importe ce que je dis, il y a des gens qui sont très très fort dans la mélancolie, dans le Dark en fait mais moi je veux pas. Je veux la lumière, je veux la positivité. Mon héritage et ma marque se situent par là. Donc j’étais déjà dans ça. Ensuite, je me suis dit : “ok comment j’exprime ça ? Qu'est-ce que j'aime faire ? Qu'est-ce que j'ai envie de faire en ce moment ?” Et le côté love est arrivé très très vite, très très fort avec des titres comme “Hangova”, “Tou Sa Ou Ka Fè” et j'ai pris beaucoup de plaisir à faire ces titres, j’en suis très très fier. Et mon album prenait déjà cette direction et lorsque le COVID est arrivé avec le confinement, avec le temps passé à la maison et l’annulation de tournées… Parce que moi j'ai eu ça. Tu te retrouves à la maison, face à toi-même et forcément, la vibe change. Et puis tu es devant les infos, tu te rends compte de l’état du monde, de ce qui se passe. Et puis on reprend conscience. Ceux qui avaient embrassé l'individualisme se sont rendu compte au final qu'on est sur le même bateau, qu’ on partage une même terre et que quelque part, le COVID a mis tout le monde sur un pied d'égalité. D'ailleurs je le dis dans un freestyle. Je dis “gadé jan volè boujwa klocha tout moun an mèm bato la”. C’est le “Cho Mèm” numéro 2 des Freestyles “Cho Mèm”. Face à cette catastrophe que connaît encore le monde aujourd’hui, mon inspiration a pris un autre sens donc je n’ai pas fait une compilation de ce que je faisais avant et de ce que je faisais après. J’ai gardé certains titres effectivement, notamment ceux qui parlaient d’amour, mais mon album a pris un autre tournant il y a même eu un changement de nom. L’album ne devait pas s'appeler “Oasis”. J’avais choisi un autre nom. Et en fait cette inspiration qui est arrivée pendant les confinements successifs a fait que l'espoir la solidarité la combativité ont pris une place beaucoup plus importante dans ma création et dans l'album. Et l'album s'appelle “Oasis” justement parce que au milieu de cette période que moi-même j’ai vécu de façon très difficile, dans ce désert qu’on traversait un peu tous, la musique a été mon oasis. Donc mon objectif en fait dans cet album c’est qu’il soit un oasis pour tout ceux qui l’écoutent et qu’ils permettent de retrouver de la force, de la positivité, de l’amour, de la lumière. Voilà l’ADN de cet album “Oasis”.

MAËLLA : Alors je me permets, mon album préféré c'est “Renaissance”. Et je vais te dire pourquoi c'est Renaissance. Tu l'as fait à un moment où personnellement je vivais un moment très difficile parce que… Bon je suis arrivée en France en 2005, je crois 2005-2006 ? Et c'était violent pour moi. Mais sur la période on va dire 2006 jusqu'à 2008-2009, je n'arrivais pas à verbaliser vraiment ce que je ressentais. Et limite en fait je pense même que je portais des oeillères parce que je souffrais tellement que je ne voulais pas ressentir la souffrance donc je me disais “non mais en fait ça va il y a aucun problème”. Pendant toute ma vingtaine, j'ai passé mon temps à essayer de comprendre où était ma place dans la société française et je ne la trouvais pas. Et maintenant j'ai compris que c’est à moi de trouver ma place, que c'est à moi de faire ma place aussi. C’est pour ça que j’ai Karukerament parce que c’est mon espace à moi et ça me fait plaisir d’inviter des gens qui comprennent… Enfin les gens te donnent l’image d’être le gars qui fait la fête, mais  honnêtement moi les chansons qui m’ont touchée, c’est par rapport à mon vécu encore une fois, c’est ce que tu disais tout à l’heure. Moi les chansons qui m’ont touché, ce sont les chansons où tu parles de ça. Tu dis le mot “raciste” et tout dans tes chansons. Tu as ta “Lettre à Aimé Césaire”, “Français des DOM TOM”. Tu n’es pas le premier à écrire sur l’expérience en France, mais t’es le premier avec lequel je sens quand j’écoute les paroles, je me dis “c’est ça! c’est ça que j’ai ressenti” et je me dis “ah, ça va. J’étais pas folle, je suis pas toute seule” (rires) Mais c’est bon, ça va.

Juste par rapport au choix de l'équipe…

KRYS : J’ai rencontré de nouveaux producteurs. Y’en a qui sont là depuis long time mais avec qui je n’avais pas encore bossé, malgré le fait que j’appréciais depuis longtemps leur travail. Je pense notamment à DJ Gil qui a composé “Tou Sa Ou Ka Fé” et “Solid”. DJ Blue qui a composé “BCWN” et “Boug An Mwen”. Staniski qui a fait le remix de “Tou Sa ou Ka Fé” en konpa qui est vraiment un titre que j’affectionne particulièrement. J’ai travaillé également avec Benjay qui est un jeune compositeur qui a beaucoup beaucoup beaucoup de talents qui travaillent avec la scène hip-hop français que j’ai le plaisir d’avoir sur mon album. Par contre, il y a aussi des habituels comme Mister Francky. Même au niveau des artistes… En fait, sur cet album “Oasis”, je l’ai fait vraiment, alors je sais qu’il y a des gens qui vont dire ça comme ça, mais pour moi c’est vraiment vrai. Cet album, je l’ai fait avec mon coeur et avec mes tripes en fait. Tout est très très organique, très très naturel, très basé sur du ressenti, de l’humain. Que ce soit les collabs avec les beatmakers ou même avec les artistes qui sont sur l’album, tout est fait de façon très très naturelle.

MAËLLA : Alors on commence par la première. “Oasis” qui donne son nom à l’album. Dans tes albums, en général, à part “Limé Mic La” parce que je pense il n’a pas été créé avec un concept derrière, mais en tout cas dans les autres albums, la première chanson et la dernière chanson sont vraiment bien choisies. Avec “Oasis”, c’est une invitation à entrer dans ton univers et là je me suis rendue compte que les paroles sont plutôt guerrières donc le contraste, ça m’a plu. Est-ce que tu peux nous parler un peu plus du titre “Oasis”?

KRYS : Pour moi, dans cette chanson “Oasis”, il y a vraiment toutes les émotions qui sont présentes dans l’album et tout ce que peut exprimer mon mood à ce moment-là dans ma vie est présent sur ce titre c’est-à-dire qu’on est sur une rythmique bien dancehall, assez entraînante avec grosse basse etc mais le message, quand tu écoutes le refrain, il est plutôt…. il est entre deux. Comment je pourrais te dire ça ? Il est aigre doux puisque je dis “kon pirat sé kon sa mwen ka navigé di mwen ka soléy ka sanb tèlmen lontan lanmè movè” donc c’est quand même assez triste de dire “dites-moi à quoi ressemble le soleil, ça fait tellement longtemps que la mer est mauvaise et que j’ai choisi de vivre comme un pirate parce que le monde et la vie qu’on mène est parfois difficile mais on a choisi de rester debout et de vivre aussi par nos propres règles. C’est ça la piraterie (rires). En deuxième partie de refrain, je dis que je cherche mon oasis pour me reposer. Ca fait longtemps que je me bats et ensuite je dis que “dans ses yeux”, en parlant de… d’une femme

MAËLLA : de la personne qui…

KRYS : la personne qui pourrait me réconforter, je lui dis “dans tes yeux j’ai vu de l’espoir, dis-moi si j’ai rêvé” donc soit il y a un chemin pour l’espoir et le bonheur ou soit je continue à me battre en fait. C’est ça la chanson “Oasis”, et c’est ça aussi l’album. Donc c’est vrai que dedans il y a plusieurs lectures. Sans en avoir l’air, c’est peut-être l’un des sons les plus profonds de l’album.

MAËLLA : Non mais je pense aussi. Si, si. Donc c’est pour ça que c’est très bien qu’il soit en premier parce qu’on sent bien les différentes facettes de KRYS. Du coup, on arrive à la seconde piste, c’est “Koulè”. C’est une collaboration avec Tiwony. Encore une fois je pensais que c’était quelque chose de nouveau pour toi d’utiliser les tambours alors qu’en fait pas du tout parce que… C’est sûr l’album “K-Rysmatik”, je crois ? Il y a la chanson “Robey E Charlotte”. Donc c’est déjà un peu cet univers là mais c’est vrai que là c’est abouti. C’est plus sur des paroles d’espoir. Il y a ce côté de rester positif mais… on est positif attention quand même (KRYS rit). On est capable de prendre les armes et on va y aller, donc il faut faire attention. Moi, pour ce titre là, j’aimerais que tu nous parles du clip-vidéo.

KRYS : Le spot, c’est le site de Duval à Petit-Canal où il y a un énorme ka. Le premier lieu où le clip commence c’est dans une ancienne prison d’esclaves, donc c’est sur la marche des esclaves à Petit-Canal. Là on est sur un lieu chargé en énergie et en histoire qui pour nous était le lieu principal pour le clip qui disait qu’on vient de loin, qu’on en a vu de toutes les couleurs mais on est debout. Se mettre debout sur ce lieu et choisir des couleurs éclatantes le rouge, le jaune, rien n’était laissé au hasard. Même les tenues qu’on a choisies qui sont des tenues royales, ce sont des tenues de rois africains. Tout dans le message comme dans la chanson, dans le visuel, la présence du ka, tout était dirigé vers ce message de résilience, de force et d’espoir.

MAËLLA : La collaboration avec Tiwony ?

KRYS : C’est un grand frère, mais c’est vrai que c’est la première fois qu’on fait un titre ensemble. Mais Tiwony, c’est quelqu’un qui m’a vu commencer dans les sound system à 13/14 ans. Il faisait déjà partie des grands et il m’a vu arriver. C’est vrai qu’on se côtoyait, on avait de très très bons rapports depuis longtemps mais fallait peut-être qu’on attende le moment pour se rencontrer vraiment sur un morceau qui nous ressemble tous les deux et c’est chose faite sur “Koulè”. Je suis très très content. J’ai d’abord commencé le titre de mon côté et après je l’ai appelé en lui disant “tu sais quoi, grand frère ? Je crois que j’ai trouvé le titre qu’on pourra faire ensemble” et je lui ai envoyé. C’est comme ça que ça a commencé.


MAËLLA : Ensuite on arrive à la 3ème piste, “Tou Sa Ou Ka Fè”. Alors, c’est ma chanson (rires). Dès que les paroles parlent de danse, c'est pour moi. Et là, ce que j'ai beaucoup aimé au niveau des paroles, c’est qu’ on a un homme qui exprime clairement son désir pour une femme, mais c'est fait d'une façon tellement sensuelle. C’est le genre de chansons sur lesquelles j’aurais aimé danser quand j'avais 14-15 ans. Et nous à l'époque c'était le “I’m Still In Love With You” de Sean Paul et Sasha. Et donc cette chanson m'a fait penser à ça. Je me dis les petits jeunes de 14-15 ans, bon maintenant il y a le COVID donc distance sociale mais s’ils pouvaient danser sur ça, ça leur ferait de super beaux souvenirs pour dans 20 ans.

KRYS : Oh t’inquiète, je pense qu’ils ont trouvé les moyens de danser. (rires) Ben écoute, je suis très content. “Tou Sa Ou Ka Fè”, c’est la magie de l’inspiration. C’est DJ Gil qui m’envoie cette instru et je ressens  tout de suite cette sensualité, ce chaloupé, ce jeu de basse qui me donne envie de danser et d’accompagner les gens dans cette émotion. Je me souviens que quand j’ai fait ce titre, j’ai dit à DJ Gil qu’on allait repeupler les Antilles. (rires) Donc voilà, “Tou Sa Ou Ka Fè” bon.

MAËLLA : Il y a un clip-vidéo aussi. Les gens peuvent aller le regarder sur Youtube et tu nous as parlé tout à l’heure du remix konpa. C’est à ça que tu vois que c’est une bonne chanson. Tu peux la remixer dans un genre différent et ça sonne toujours bien. Et donc pourquoi l’avoir remixée avec Staniski ?

KRYS : Je voulais que les gens qui hésitaient à danser en couple puissent le faire encore plus facilement. Je trouvais aussi que la mélodie de la chanson se prêtait bien au konpa. Pour la petite histoire, j'étais de passage en Martinique et je chantais dans un événement où il y avait aussi Oswald donc on était dans le même hôtel, on discutait beaucoup. On a bien sympathisé. C’est la première fois ou la deuxième qu’on se voyait.  Je lui dis “ouais, tu sais, demain je vais en studio avec Staniski parce qu'on va faire le remix de “Tou Sa Ou Ka Fè”. Il me dit “je viens avec toi”, je lui dis “okay, cool, frère”. Donc Oswald et moi, on se retrouve au studio et c’est lui qui ambiance le titre en mode konpa, mais c’était pas prévu. Là encore, c’est la magie de la musique. C’est juste des gens qui aiment la musique et qui ont un moment de partage comme ça. Avec Oswald et même avec Stanis. Lui aussi a mis beaucoup de soin dans ce remix. Il a appelé un guitariste et un bassiste pour qu'ils viennent rejouer les instruments live. Et voilà on est super content du résultat. Il y a beaucoup de gens qui ont beaucoup aimé ce remix donc voilà, c’est tout bon. 

MAËLLA : Staniski, je ne comprends pas que les médias ne parlent pas de lui. Lui peut décider de ne pas faire d’interviews, mais je ne comprends pas  comment le gars aligne les tubes depuis des années et après on nous dit “oui la musique antillaise gnagna” alors qu’il y a des producteurs locaux qui font un travail génial et on ne les met pas en avant. Encore une fois, lui a le droit de dire qu’il ne parle pas aux médias, mais les médias doivent quand même parler de lui. 

KRYS : (rires) Non mais c’est vrai qu’il est discret, mais il n’est pas contre… Je pense…. En tout cas, en ce moment il aligne pas mal de tubes. D’ailleurs, il y en a un. Oswald et Saël que j’adore qui tourne pas mal en média en ce moment. En tout cas, Staniski, même si on ne l’entend pas lui directement en média, on entend sa musique et c’est l’essentiel. Je pense que pour lui aussi, c’est l’essentiel. 

MAËLLA : Ensuite on arrive… Là je vais dire tout le temps, c’est ma chanson. J’aime l’album, c’est normal. Donc c’est la piste “Lov’ La”. C’est le deuxième featuring de l’album. On a Shanel Hill, chanteuse martiniquaise. Pareil, quand j’ai écouté la chanson, je me suis revue à l’époque de “Bye Bye” de Ménélik. Le fait qu’il y ait le gars et la fille qui chantent, qui rappent. Quand j’ai entendu la chanson la première fois, je me suis vue. Et c’est le genre de chansons où tu te dis “j’ai envie d’avoir un gars pour aller lui dire ça”, d’être Shanel et de lui dire ça. Franchement, je ne parle pas créole, mais je connais le couplet de Shanel par coeur. Toi, je ne connais pas le tien, mais je connais le sien. J’adore. Le seul truc qui me manque, c’est dans le clip-vidéo, et je pense que c’est un choix au niveau du montage, c’est la partie où elle te parle. Elle te dit “ouais, hier encore j’ai essayé de t’en parler, j’comprends pas pourquoi tu fais l’étonné”, j’aurais voulu que vous soyez face à face pour le faire.

KRYS:  C’est fou que tu dises ça. On a tourné cette scène, mais il y avait un problème sur les images. Donc au montage, on n’a pas pu les mettre, mais on l’avait fait comme ça.

MAËLLA : c’est pas grave. Vous le ferez en concert.

KRYS: ouais en concert, on le fera.

MAËLLA: comment s’est passée la collaboration ? 

KRYS : Shanel est très particulière par sa voix déjà. Sa voix est reconnaissable parmi 1000, je crois. On l’entendait à la radio avec son hit “Pa Bizwen Palé”. Quand j’ai commencé à écrire ce titre de mon côté, en ayant l’instru, je me suis dit “non Lov’La, c’est un duo avec une chanteuse et je n’en vois qu’une. C’est Shanel Hill. Tout en sachant qu’un de mes meilleurs amis adore Shanel Hill, ill me disait “un jour, faut que tu fasses un feat avec elle”. C’était un peu une évidence. On est carrément parti en Martinique pour faire le feat avec elle et qu’on ait un contact parce qu’on ne se connaissait pas encore personnellement. On est parti en Martinique la rencontrer, son équipe, DJ Ken etc. Pour faire le truc en direct. Il y a eu vraiment un bel échange. On est très content de ce titre.

MAËLLA : Franchement ma chanson. (rires) Ensuite on passe à “Solid”. Alors “Solid”, pareil, je n'ai pas écouté les paroles. J'ai écouté plusieurs fois mais j’étais trop sur la mélodie pour vraiment faire attention aux paroles. C'est quand j'ai vraiment regardé la tracklist que j'ai vu que c'était en explicit. Je me dis “je comprends pas, qu’est-ce qu'il dit dans les paroles pour que ce soit en explicit”. Sur “Oasis”, il y a que deux chansons en explicit. “Solid” et “BCWN”. Je me dis, je retourne écouter. Et là, je me dis “non, j’ai pas compris ce qu’il est en train de dire quand même !”. (rires) En plus, j’avais regardé le clip, je me suis dit “ça n’a rien avoir avec ça”. Je me suis dit okay… Pour moi, c’est l’électron libre de l’album.

KRYS : C’est une bonne analyse. Pour nous, “Solid” faisait le trait d’union entre la série de freestyles et l’album qui allait sortir juste après. La série de freestyles Cho Mèm, il y en avait 4. Ils étaient là pour faire monter la sauce et le buzz avant que l’album sorte. Il y avait un public super content de ces freestyles. “Solid” venait faire la transition. En plus, c’est un style musical très particulier. On peut le qualifier de UK Dancehall. Du dancehall à l’anglaise avec une rythmique bien particulière, une façon de poser, de positionner sa voix qui est caractéristique de ce UK Dancehall. J’avais envie de faire un titre dans ce style. Oui, c’est un peu un électron libre et ça vient ramener un peu dans cette ambiance très caribéenne, très chaloupée, mid-tempo, ça a donné un peu plus de punch à l’album. Je pense qu’il avait sa place aussi et qu’il venait compléter le tableau. 

Dans cette troisième partie, il nous raconte son rapport à la transmission et son regard sur les femmes de sa génération. #streamcaribbean. Bonne écoute.

MAËLLA : En plus, là où il est positionné dans la tracklist, ça permet vraiment de faire une bonne introduction à la deuxième partie de l’album où on passe à “Boss Inna Real Life”, la collaboration avec Admiral T. Bien dancehall. Je me posais la question. Le fait que ce soit encore  une histoire de boss, est-ce que c’était déjà décidé ? Parce que tu as fait une collaboration sur son album à lui et la chanson s’appelle “Boss Lady”.

KRYS : Ouais. Honneur aux dames. On a d’abord parlé des femmes boss. Et après on a parlé des mecs boss… (rires) Non, c’est un hasard. Je ne sais pas pourquoi. Tu me fais remarquer ça, on n’avait pas fait attention. Mais Admiral et moi, on se retrouve, c’est assez drôle. On a quand même quelques années de carrière derrière nous. Quand on se retrouve lui et moi sur un morceau, on n’a qu’une idée en tête, c’est de s’amuser. C’est pour ça qu’on se retrouve beaucoup sur du gros dancehall parce que c’est ça qui nous éclate. On ne cherche pas nécessairementà faire le tube commercial qui va passer à la radio. Au contraire, on cherche plutôt à faire une musique sans concession. Vraiment la musique qu’on aime et qui nous fait plaisir, peu importe ce que ça va faire derrière. C’est comme ça qu’on a fait “Boss Inna Real Life” qui contient quand même un message. Le vrai boss c’est celui qui bosse (rires) pas nécessairement ce qu’on voit sur les réseaux, un peu fake. On était là pour dire soyons-le dans la vraie vie, travaillons pour être des boss dans la vraie vie et pas simplement en apparence.

MAËLLA : c’est un titre qui était déjà prévu sur la première version de l’album ? 

KRYS : celui-là, oui. C’était sur la 1ère version.

MAËLLA : ça se voit que la tracklist a été bien réfléchie. Juste après on a “Boug An Mwen”. On passe de ta collaboration avec Admiral T… Quand j’étais au lycée, c’était d’un côté Admiral T, de l’autre côté KRYS. Vous êtes les deux figures marquantes de mon adolescence. Ensuite quand on passe à “Boug An Mwen”, tu es avec Kevni et Pompis, c’est une autre génération, n’est-ce pas ?

KRYS : oui.

MAËLLA : “Boug An Mwen”, franchement, c’est pas la chanson au départ qui m’a le plus intéressée, mais symboliquement, c’est comme “Koulè”, ça fait vraiment le lien entre toute ta carrière parce qu’on te voit dans ton rôle de personne qui fait la transmission avec la génération qui vient après toi. Et après, j’ai vu qu’il y avait un remix. Dans le remix, il y a Matieu White, Drexi, Lion P, Dexterman, Daddy Yod. Quand j’ai vu qu’il y avait Daddy Yod, je me suis dit “ah ouais quand même !” Donc t’arrives vraiment à faire le lien avec les générations précédentes et celles qui arrivent. C’est pour ça ce titre franchement… Même le clip-vidéo.  Moi perso, dans tes clips, je préfère ceux où tu es avec les gens et on te voit dans des situations ordinaires. Par exemple, les clips Tou Sa Ou Ka Fè ou Hangova, ça fait rêver. C’est pas mon style à moi. Par contre, les clips où on te voit avec les gens en train de t’amuser, moi j’adore. On voit ça dans “Boug An Mwen”. Donc comment as-tu réussi à faire venir tout ces artistes sur ce morceau ?

KRYS : je pense que tu as tout dit. Le but, c’est de pouvoir mettre en image ce lien entre les générations. Je me trouve justement entre, disons, un peu au milieu du curseur, entre Daddy Yod et Matieu White qui vont être le plus ancien et le plus nouveau. Matieu White, Kevni, cette génération qui au moment où “Boug An Mwen” est sortie était un peu la génération émergente dans le style dancehall notamment. C’est important de montrrer qu’on est tous du même mouvement, qu’on peut se réunir autour de la musique. En plus, le titre “Boug An Mwen”, ça s’y prêtait. J’allais pas faire “Boug An Mwen” tout seul dans mon coin (rires).

MAËLLA : tu dis ça, mais en même temps, j’étais en train de me dire qu’en termes de représentation c’est fort aussi parce qu’on voit pas beaucoup des hommes noirs s’amuser ensemble. S’amuser de façon… c’est pas histoire de façon normale, mais juste être heureux ensemble. Quand on voit le clip, on voit que vous êtes contents d’être ensemble. Le clip remix, vous êtes surtout en studio et ça fait plaisir de vous voir ensemble. On vous voit échanger. Donc oui en termes de représentation, je trouve que c’est fort d’avoir gardé une trace visuelle de tout ça.

KRYS: Tant mieux.

MAËLLA : Ensuite on passe à “BCWN”. C’est une chanson encore sur la danse. C’est un single qui était déjà sorti et que tu as remis sur l’album. Alors déjà les deux premières phrases de la chanson, je me suis dit, ça c’est le truc en concert. Tu vas les dire “swaré la opérasyonel, swaré la bordélik”, PULL PULL PULL UP! Ensuite on va arrêter. Tout  le monde va crier, tu vas remettre, on va tous se mettre à crier. Je me suis vue en concert avec cette chanson-là. Par contre, je suis désolée de le dire, mais le clip, j’étais tellement à fond sur le concept science-fiction, mais je trouve qu’il n’a pas été exploité à fond.

KRYS : c’est ton avis qui se respecte (rires).

MAËLLA : (rires) Merci. “BCWN”, chanson sur la danse, pourquoi as-tu décidé de l’écrire ?

KRYS : “BCWN”, le but était de faire un gros dancehall pour que les gens s’amusent, pour qu’ils dansent. ça fait aussi partie de mon ADN. C’est le titre le plus ancien qu’on ait mis sur l’album. Il était sorti depuis 2018. Je me suis posé la question de savoir si j’allais le mettre ou pas. Même s’il était déjà prévu sur la première version de l’album. J’ai constaté que beaucoup de gens aimaient quand même cette chanson. J’avais notamment sur les réseaux sociaux beaucoup de vidéos de danse sur ce morceau. Je me suis dit “non, l’album sort. BCWN a déjà été clippé. Y’a des gens qui l’aiment donc il faut qu’ils puissent aussi le retrouver sur l’album.” C’est comme ça que j’ai mis “BCWN” sur “Oasis”. 

MAËLLA : Ensuite, on passe à “Chak Moun On Moun”. Ma chanson. C’est une collaboration avec Triple Kay. Ils viennent de la Dominique, si j’ai bien compris. En fait, c’est vraiment la chanson que tu as envie d’écouter au carnaval. C’est la chanson qui, pour moi, sur cet album symbolise ton ouverture sur la Caraïbe. Même si je sais bien que sur les albums précédents, tu as d’autres collaborations qui montrent ton ouverture sur la Caraïbe. Comment en es-tu venu à collaborer avec Triple Kay ?

KRYS : Justement parce que je voulais que cet album soit un album résolument tourné vers le créole et vers la Caraïbe. Triple Kay, c’est un groupe mythique de la musique bouyon. Je me suis dit quitte à faire mon premier son bouyon, autant le faire avec les numéros 1.

MAËLLA : Ensuite, on passe à “Kolabo”. C’est toujours une chanson du style carnaval, pour faire la fête. “Chak Moun On Moun”, “Kolabo” sont dans cet esprit de danser à deux. On n’est pas là pour danser tout seul. On danse à deux. Quand j’ai écouté l’album, c’est la première chanson qui m’a fait penser à toi, dans le sens où je ne t’écoutais pas quand j’étais plus jeune, la première chanson où je me suis dit que ça me rappelle une chanson de KRYS que j’écoutais quand j’étais plus jeune, ça m’a fait penser à “Big Tune du Carnaval”. Je sais pas, le fait de créer un lien comme ça… Je me suis dit “mine de rien, KRYS a quand même marqué ma vie”. Même si je ne pensais pas que c’était de cette façon. C’est vrai, c’est la première chanson où je me suis dit que je me sens connectée à ta musique, à l’univers que tu veux proposer. C’était avec celle-là quand j’ai écouté l’album la première fois. Là, maintenant, je suis à fond sur “Tou Sa Ou Ka Fè”, “Lov’ La”, mais la première fois, c’était vraiment “Kolabo” qui m’a évoqué quelque chose. Pour toi, “Kolabo”, qu’est-ce que ça représente ?

KRYS : Déjà, c’est un style de soca, de power, enfin de jab.C’est un style particulier dans la soca que j’avais envie d’explorer depuis longtemps. Cette instru très rapide, très énergique que tu as envie d’écouter derrière un char, qui va faire tout le monde sauter dans tous les sens et se frotter aussi, bien sûr. J’avais envie de toucher à ce style. L’instru m’a beaucoup inspiré. C’est un compositeur avec qui je n’avais pas encore travaillé. C’est un duo qui s’appelle The Legist. C’est la première fois que je collaborais avec eux. J’ai vraiment aimé cette instru, et l’énergie. Voilà, fallait simplement faire quelque chose qui accompagne les gens sur cette musique et c’est une inspi qui est venue toute seule et qui fait appel effectivement à l’énergie que j’avais dans mes jeunes années quand j’étais un grand adepte du bordel (rires). C’est un peu la même énergie, oui. Carrément.

MAËLLA : Ensuite, on est plus sur la fin de l’album. On va dire que l’énergie redescend mais l’intensité, je trouve, continue de monter. On passe à “Hangova”. Là aussi, c’est une chanson qui avait déjà été un single. Un clip-vidéo est disponible. Là, on retrouve le KRYS lover, dans la sensualité. Mais ce que j’apprécie, tu restes quand même assez direct. C’est dans cette chanson que tu dis “tu fais pas le lover à la Tyrese”. Après je me suis dit “oh les gars mais…” J’imagine que les plus jeunes ne connaissent pas, mais Tyrese, c’était le représentant du chanteur de R&B fin des années 90/début des années 2000. Toutes les filles étaient à fond sur Tyrese, donc quand tu dis que tu veux pas être un lover à la Tyrese, je dis “je comprends mais…. En même temps, on aime ça ?” (rires) C’est pas grave. J’apprécie le côté direct, franc, et pourtant tu restes sensuel. En terme d’écriture de paroles, est-ce que c’était facile à écrire au niveau des rimes, des métaphores ? 

KRYS : c’était moins facile que pour “Tou Sa Ou Ka Fè”... “Hangova”, c’est le son qui a un peu marqué la nouvelle intention, celle d’être dans le love, des rythmes un peu plus lents. Je sais pas si tu as fait attention mais c’est le seul titre en français dans l’album. Je suis très fier de “Hangova”, le clip, c’est une tuerie. Je suis dégoûté qu’il n’ait pas plus de vues. Je pense qu’on a péché dans la promo. Je n’achète pas de vues. Les chiffres qu’on voit, ce sont de vrais chiffres. “Hangova”, je pense que y’a pas eu assez de promo parce que j’ai même eu des gens qui l’ont découvert avec l’album en 2021 en me disant “j’adore, tu devrais le clipper”. Un mec me l’a dit et je lui ai dit que c’est déjà clippé et c’est sorti en 2019. Je pense qu’il y a pas eu assez de promo. C’est un titre qui est fort, l’instru, le gimmick, je pense que sur le flow, j’ai été assez créatif donc je suis très content de “Hangova”.

MAËLLA : Après, peut-être, je pense que les gens ont une image de toi du gars qui fait la fête et que tu proposes une chanson qui fait “Hangova”. Peut-être qu’ils pensent juste que ça sera le gros fêtard et non pas fait attention. Mais t’as raison, c’est une histoire de storytelling et comment présenter une chanson. Maintenant, on passe à l’avant-dernière chanson. C’est “On Pa”. C’est une collaboration avec Méthi’S. Déjà, l’intro au saxophone ? Excellente ! Le saxophone, c’est mon instrument préféré. Je dis toujours, dès que tu mets le saxophone, la chanson ne peut être que bien parce que pour moi c’est l’instrument qui fait sexy mais d’une façon sensuelle et solide en même temps. C’est pas gnangnan. Là encore dans les paroles, je me dis c’est ça qu’on veut, un homme qui te dit clairement ce qu’il veut en amour et il l’exprime. On comprend tout. Y’a pas de doute, y’a pas de flottement. De se dire “oh est-ce que c’est ce qu’il veut?”. J’aime beaucoup l’image de faire un pas. Le fait de dire on va avancer ensemble. Franchement, les paroles là, au top.

KRYS : Merci beaucoup. Là encore une fois, c’est une question de vibe. Tout commence avec une instru de Unik, un compositeur qui a fait aussi le bouyon “Chak Moun On Moun”. Je l’ai rencontré sur cet album. Il vient en studio avec moi pour que je lui fasse écouter le bouyon que je venais de terminer. Je lui dis “fais-moi écouter d’autres instru”. Il me fait écouter d’autres instrus, mais parmi celles qu’il me fait écouter, il y a celle de “On Pa”. Je pète un câble, je dis “ça, c’est magnifique, je veux”. Je vois qu’il est un peu… Il me fait “ouais mais en fait j’ai déjà commencé dessus avec Méthi’S”. Je lui dis “mais Méthi’S, c’est juste parfait. C’est ma soeur, Méthi’S”. En plus, il m’avait fredonné la mélodie qui avait l’air super belle de ce qu’il avait fait avec Méthi’S. Je l’appelle tout de suite. Du studio DEBS à Pointe-à-Pitre. J’appelle Méthi’S. Elle me dit “ah je suis de passage à Pointe-à-Pitre”. Je lui dis “viens”. Et elle vient direct au studio. Le jour même, elle pose le refrain et c’est comme ça le titre est né. C’est un truc vraiment à la vibe.

MAËLLA : Donc tu lui as piqué sa chanson ?

KRYS : Noooon, elle m’a offert la chanson (rires) et c’est devenu notre chanson. Elle m’a offert le refrain. J’ai écrit les couplets. On a plein de talents sur cette chanson. C’est après j’ai ajouté les sax par Alex Deaz, un saxophoniste.

MAËLLA : AH ! JE L’ADORE ! Je l’ai vu en concert le mois dernier. Bref, pardon, moment fangirl.

KRYS : C’est lui qui joue sur le son. Les choeurs sont fait par Krysstal qui est une artiste qui écrit ses propres chansons et qui a un énorme tube magnifique “Feyaj a Lanmou”. Krysstal qui fait les magnifiques choeurs. Cette chanson, c’est vraiment une grosse collab de plusieurs personnes passionnées et talentueuses.

MAËLLA : ça se sent dans le résultat, donc c’est normal. Donc on arrive à la dernière chanson. “Inspirasyon”. Ma chanson. Numéro 1 de mon top track depuis 6 mois, des 4 dernières semaines. C’est une chanson qui me donne du courage donc je ne vais pas en dire plus, je vais te laisser la présenter pour que les gens entendent ce que tu avais en tête quand tu l’as créée.

KRYS : ça me fait super plaisir que tu aies ce ressenti par rapport à cette chanson parce que pour moi, c’est une chanson hyper importante. Souvent, on dit dans les tracklisting des albums “choisis avec soin la première et la dernière chanson”. C’est pas pour rien qu’elle est là. Les femmes m’ont inspiré pendant toute ma carrière. De différentes façons, mais les femmes ont toujours été un sujet d’inspiration pour moi. Quand j’ai passé la trentaine, j’avais beaucoup de conversations avec des amies filles qui me faisaient part justement de la pression sociale une fois qu’on a atteint un certain âge pour se marier, pour faire des enfants. En même temps, la difficulté à trouver quelqu’un de bien… ça faisait longtemps que je voulais parler de ce thème, mais pour moi c’était important d’avoir le sentiment d’avoir les mots justes pour adresser ce thème. Sur cette chanson “Inspirasyon”, j’ai eu le sentiment profond que j’avais enfin trouvé les mots que je voulais dire à toutes ces jeunes femmes et voilà le résultat.

MAËLLA : Magnifique. Tu as vraiment réussi à condenser ce que ressentent les femmes… En fait, c’est mon cas, donc c’est pour ça que je le dis. C’est le fait que toi, en tant qu’homme, tu sois capable de l’exprimer sans être dans un côté… Comment on dit… J’ai oublié le mot, c’est le mot en anglais qui me vient. Mais tu vois, t’essayes pas de faire la leçon, d’être…

KRYS : Moralisateur. J’essaye pas d’être moralisateur. Je déteste ça d’ailleurs, en général. J’aime pas les musiques moralisatrices. Je déteste ça. (rires). J’ai vraiment cherché les mots justes. J’avais ce thème en tête depuis longtemps, mais pour moi c’était important d’être dans la justesse. J’ai eu un résultat qui me satisfaisait. Manifestement, j’ai beaucoup de très bons retours des jeunes femmes sur cette chanson.

MAËLLA : Faut que les hommes aillent l’écouter aussi pour qu’ils comprennent. Ils ont besoin de comprendre ce que ressentent les femmes ressentent. Et là ce genre de chanson qui explique… En plus comme c’est un homme qui leur parle, donc ils vont écouter. Ils vont faire plus attention que si c’était une femme.

Dans cette 4ème et ultime partie, il nous parle de ses objectifs pour Step Out Productions, son label indépendant, et des enjeux autour de l’industrie musicale guadeloupéenne. En toute franchise, j’ai été bavarde par rapport à une question qu’il m’a posée donc j’ai manqué de temps sur la fin pour qu’il devéloppe plus son point de vue sur l’industrie musicale guadeloupéenne. Ceci dit, on en avait déjà un peu discuté un peu en off, mais lui et moi avons des divergences sur la définition de l’industrie, mais on se rejoint sur la finalité à laquelle l’industrie musicale guadeloupéenne doit prétendre. Et c’est le plus important, n’est-ce pas ? #streamcaribbean. Bonne écoute.

MAËLLA : Le concept de #streamcaribbean, c’est d’encourager les gens à aller streamer des albums parce que quand on est sur les algorithmes des plateformes de streaming…. Et ça, c’est mon analyse à moi. Je ne sais pas si tu pourras me dire, si j’ai raison ou si j’ai tort, pour moi, nous, artistes de la Caraïbe, c’est plus facile de gagner en visibilité quand les gens vont streamer des albums que quand ils vont streamer des singles. Pourquoi je dis ça ? Parce que j’ai passé un an et demi à modifier mon algorithme Spotify. Il m’a fallu un an et demi pour que mon algorithme comprennen qu’il fallait me faire les suggestions de tout ce qui est soca, de tout ce qui est sorti d’artistes guadeloupéens, martiniquais. Un an et demi. Et il se trouve que l’un des premiers singles, et c’est là où je me suis dit que l’algorithme a compris, c’est quand t’as sorti “Koulè”, le single est apparu dans mes suggestions des dernières sorties. Je crois que c’est apparu le jour même de sa mise en ligne. Parfois, il y a un décalage de 2 ou 3 jours, mais là c’est apparu le premier jour. Et c’est à partir de là je me suis dit “l’algorithme a compris donc maintenant je vais pouvoir comprendre vraiment comment il fonctionne”.  En fait, ce sont les albums. Quand je streame un album, l’artiste remonte très rapidement dans mon algorithme. Je le vois sur mes stats sur les 4 semaines, sur les 6 mois. Même dans les débuts. Par exemple, toi, je t’ai streamé qu’entre fin octobre, tout novembre, décembre, tout janvier. Tu es déjà mon numéro 2 depuis que j’ai Spotify. Numéro 1, c’est Lorenz (rires).

KRYS : On est d’accord là-dessus. J’aime beaucoup Lorenz. Chaque fois, je le vois, je lui dis ça. “J’adore ta musique, mec”. (rires) Je le trouve très talentueux. J’aime beaucoup ce qu’il fait. Là-dessus, on va s’entendre, on est d’accord (rires).

MAËLLA : Moi, ma mission, c’est que tout le monde aime Lorenz. Je suis fatiguée parce que quand je parle aux gens, ils me sortent toujours ses chansons d’il y a dix ans. “Mais les gens quand même, faut se mettre à jour”.

KRYS : En plus, il a fait un feat avec un autre artiste que j’aime beaucoup, que je trouve aussi un peu “sous-côté”. Je n’aime pas ce terme mais… Sayz’s.

MAËLLA : Oui, pour “Sékélé”.

KRYS : Oui c’est ça.

MAËLLA : Ecoute-moi, j’ai le master en Lorenz, j’ai le doctorat en Gage. Je connais tout.

KRYS : Okay (rires).

MAËLLA : Bref, on va pas parler de Lorenz. C’est pas l’interview de Lorenz. Je te parlais de mon algorithme. Je disais que quand je streame des albums, les artistes guadeloupéens - j’écoute surtout des artistes guadeloupéens - remontent très facilement dans mon algorithme. Par contre, je prends l’exemple de Daly. Je ne streame pas Daly. Je streame qu’un seul single, celui sorti l’année dernière qui s’appelle “Djen Djen”. J’adore. Et j’ai beaucoup streamé, ce qui fait qu’il apparaît dans mon top track sur les 4 dernières semaines, sur les 6 derniers mois. Daly n’est nulle part dans mon top artiste.

KRYS : Ah oui, d’où ton orientation pour les albums. Okay, t’as sûrement raison. Ton expérience d’utilisateur est bien plus poussée que la mienne. Je pense que tu as raison.

MAËLLA : Merci.

KRYS : Si tu l’as expérimenté comme ça, oui.

MAËLLA : Quand je suis sur Twitter et que je fais mes stats Spotify et que je commente, c’est parce que je me dis que ça peut intéresser quelqu’un… C’est pas tout de dire aux gens d’aller streamer les albums ou aller streamer les son. Il faut ensuite collecter les data, pour ensuite analyser les datas et voir comment les utiliser à notre avantage. Moi, ce que je comprends pas, quand j’entends les artistes guadeloupéens, je parle des Guadeloupéens parce que c’est eux que je suis, mais je comprends pas quand je les entends parler, y’a jamais cet aspect-là. Alors je me dis “est-ce que c’est quelque chose dont on se dit il faut en discuter qu’entre artistes et faut pas en parler devant le public?” Ce que je trouve dommage, mais bon, après c’est un choix. Ou alors je me dis que c’est quelque chose dont personne n’en parle et…

KRYS : Personne n’en parle. T’as raison de mettre le doigt dessus, c’est très intéressant. 

MAËLLA : C’est pour ça que l’émission s’appelle #streamcaribbean. C’est pour que l’algorithme repère le hashtag et si les gens l’utilisent, à ce moment-là, ça donne de la visibilité aux artistes. Avec le recul, est-ce que tu as eu à disposition toutes les ressources dont tu avais besoin pour atteindre tes objectifs en tant que chanteur et/ou producteur ?

KRYS : Wow… Au début de ma carrière, j’étais juste un jeune qui était passionné de musique. Je ne savais pas que ça allait être mon métier. Je pense qu’à ce moment-là, tout ce qui s’est passé pour moi était juste magnifique. Premier album “Limé Mic La”. “K-Rysmatik” etc. Je pense que j’ai vraiment ressenti les difficultés, le manque de ressources et de cadre lorsque je suis devenu moi-même producteur, j’ai vu à quel point c’était compliqué, notamment pour la musique antillaise. Donc je dirais qu’à mon niveau, j’ai quand même eu des ressources. Je ne dirais pas toutes les ressources, mais je dirais que j’ai quand même pu faire carrière, mais elles sont difficiles à trouver ces ressources. Il y a beaucoup de gens qui mériteraient d’avoir autant ou plus de ressources pour pouvoir se développer mais qui ne vont pas les trouver parce qu’on a un gros manque de structure.

MAËLLA : Dans ce cas-là, ça veut dire que s’il y avait eu une structure en Guadeloupe, tu n’aurais pas signé chez Universal ?

KRYS : Déjà, en tant que label indépendant, Step Out Productions, moi si j’étais un artiste antillais aujourd’hui, j’aurais eu envie de travailler avec Step Out. C’est pas parce que c’est moi, c’est parce que c’est un label qui sait développer des artistes locaux avec succès. Je pense notamment à Misié Sadik. Et qui a su aussi gérer un succès commercial national, international avec Colonel Réyèl, donc ça voudrait dire qu’on a su développer ces compétences-là. Je pense que c’est de ça dont on a besoin. On a besoin en tant qu’artiste de se développer à la hauteur de notre potentiel. Si on est là pour être un artiste local qui chante en créole mais on veut aller le plus loin possible avec ce créole, trouver une structure professionnelle qui puisse nous accompagner dans cette démarche. Et si on a le moyensd’être le tube de l’été comme l’a été “Celui” de Colonel Réyèl ou encore “Aurélie”, qu’on ait des gens qui soient capables de manager une telle exposition. 

MAËLLA : Donc toi ta vision pour Step Out, ce serait d’avoir des artistes de chez nous qui réussissent…

KRYS : Au-delà des frontières. C’est pour ça que ça s’appelle Step Out.  Ce que je veux, c'est exactement ça. La musique de chez nous qui soit capable de s'exporter de par son excellence artistique et managériale. 

MAËLLA : Dans ce cas-là,  actuellement, où tu places le marché caribéen dans cette vision ? Est-ce que, pour toi, c’est une opportunité à laquelle il faut s’intéresser, et cans ce cas-là, quand on crée… Enfin, c’est plutôt en terme de stratégie marketing parce qu’après tu crées ton morceau, et c’est toi qui le vends, donc peu importe ce que t’as créé, comment tu le vends, c’est ce qui est important. Est-ce que s’intéresser au marché caribéen, c’est intéressant aujourd’hui ? Ou est-ce qu’il faudrait que les artistes mettent plus l’accent sur le marché national français ou carrément qu’ils essayent de viser au-delà de tout ça ?

KRYS : Pour moi, il y a deux étapes dans la musique. Et tu l’as dit au début de ta question. La première étape, c’est la création. La deuxième étape, c’est la vente, enfin la diffusion, la distribution. Je ne pense pas qu’un artiste doive faire sa musique en fonction d’un marché. C’est ma vision parce qu’au-delà d’être un producteur, je suis d’abord un artiste. Et je pense que les artistes doivent continuer à écrire avec leurs tripes, avec leur inspiration, avec leur âme. Et après le travail de marketing, de mise en marché, ça arrive après. Donc je ne peux pas dire qu’un artiste doit viser tel ou tel marché. Je pense qu’il doit faire sa musique et en fonction de la musique qu’il produit, il doit aller explorer quel marché peut être pertinent pour son style. Donc maintenant le marché caribéen, il existe. Simplement, il est moins bien structuré que le marché français, par exemple. En France, il y a des autoroutes. Il y a des médias. On sait que la musique urbaine, c’est tel ou tel média. On connaît par coeur les salles de concert où il faut aller. On connaît La Cigale, on connaît l’Olympia, on connaît le Bataclan. On connaît l’Elysée-Montmartre, on connaît le Zénith, on connaît Bercy. On connaît l’U Arena. On connaît tout ça par coeur. Pourquoi? Parce que y’a une plateforme qui existe. C’est cette plateforme qui n’existe pas encore sur le marché caribéen, mais ce n’est pas pour autant qu’on doit orienter notre création pour servir un marché commercialement. Je pense que ça arrive dans un deuxième temps et que la plateforme caribéenne est à créer.

MAËLLA : J’ai un avis sur ça mais on n’a pas le temps. C’est pas grave, mais en tout cas ta vision est très intéressante. Donc ma dernière question par rapport à ça, ce serait : pour toi, là actuellement en 2022, quelles sont les priorités pour développer l’industrie musicale guadeloupéenne ? 

KRYS : Faut se structurer dans le sens où pour l’instant on produit de la musique. La musique est là, on est sur les plateformes, il y a de la musique qui sort tout le temps. Mais je pense qu’il faut des entreprises, des vrais labels de productions qui aient une force de frappe commerciale, financière, marketing, médiatique qui permettent de développer des carrières et de créer de la valeur autour des artistes. Et que ça ne soit pas juste de la musique qui sorte, qui sorte. C’est la discussion qu’on avait en off. L’industrie est là, de fait. Il y a une production musicale. Tous les jours, il y a de la musique qui sort. Quelque part, il y a quelque chose qui se passe. Il y a une création de valeur. Simplement elle n’est pas valorisée, pas organisée, pas optimisée. Je pense que c’est ce qu’il faut. Et pour ça, c’est pas un hasard si, par exemple, pour donner une image que les gens comprennent bien, même les pays s’organisent en confédération. Par exemple, ils ont créé l’Europe. Pourquoi des pays indépendants comme la France, l’Allemagne, l’Espagne ou le Portugal vont se réunir dans un conglomérat ? C’est parce que plus on est gros, plus on est fort. Et je pense que c’est ce qui manque aux Antilles. Ils manquent des gros acteurs dans la chaîne, notamment dans la chaîne de production et de l’édition musicale. C’est l’ambition de Step Out. Malheureusement, pour plein de raisons, j’ai dû redéfinir, notamment parce que l’industrie musicale elle-même change. En ce moment, je suis en train de repenser le modèle de Step Out, mais à la base, c’est ça mon objectif.  C’est d’avoir une structure qui puisse faire jeu égal avec les structures nationales pour que notre musique soit correctement gérée, correctement marketée et qu’on puisse être un acteur qui soit respectable et qui soit respecté sur le marché de la musique française… et mondiale.

MAËLLA : (rires) T’as bien fait de rajouter “et mondiale” parce que moi j’allais arriver derrière en disant “et internationale”. 

KRYS : Bien sûr. 

MAËLLA : Bien sûr. Moi, je suis dans la team, on s’occupe que de l’international, et la France, c’est pas la peine parce que ça fait des années, des décennies que nos artistes essayent. Il y a eu plein d’occasions. Pour X raisons, ça n’a rien donné. Enfin, c’est pas que ça n’a rien donné. Mais en même temps, on n’arrive pas à un niveau où tu vois d’autres artistes ils vont beaucoup plus vite et beaucoup plus loin. Tu te dis “oui au bout d’un moment, tant qu’à faire, si tu fais des efforts…” Enfin bon, c’est mon avis. Bref. (rires) Une dernière chose, merci beaucoup pour cette discussion.

KRYS : Je te remercie. C’était avec plaisir. 

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