The Epicentrum 2023, comment penser culture et technologie dans la Caraïbe ?

Les 22 et 23 mars 2023, se tenait la conférence The Epicentrum. Organisée par Kimberley Damagny, la créatrice du média Caribeart, cet événement 100% en ligne a offert un panorama complet des enjeux autour de la technologie et de la production culturelle dans la Caraïbe. Plus d’une trentaine d’intervenants ont fait part de leur expertise dans des domaines variés tels que le storytelling, l’identité culturelle ou encore les NFT, le réseautage. 

C’était la première fois que j’assistais à ce type d’événement ciblé sur la culture et la technologie dans la Caraïbe. La technologie a été au rendez-vous car sur une vingtaine d’heures de direct, il n’y a eu que deux problèmes : un webinaire inaccessible et une intervenante qui avait des problèmes de connexion. Le rythme soutenu des interventions a mis en ébullition ma capacité de réflexion. C’est pour cette raison que j’ai préféré attendre pour avoir un certain recul sur ce que je retiens de cette expérience. Sans surprise, mes souvenirs concernent les thématiques qui touchent Karukerament : se raconter et l’engagement de la communauté. 

Que l’on parle économie virtuelle ou d’expérience immersive, c’était un plaisir d’être dans un espace de passionnés où il n’y avait pas besoin de définir ces deux éléments. Ils étaient acceptés comme allant de soi donc au lieu de parler du “pourquoi ils étaient importants”, les démonstrations portaient surtout sur comment les mettre en pratique.

Symboliquement, le fait d’ouvrir l’événement avec une discussion en français (sous-titrée en anglais) rappelait les multiples facettes de l’identité caribéenne s’exprimant à travers différentes cultures et langues. Voici les réflexions que m’ont inspiré les conférences qui m’ont le plus marquée :

Cinéma, industrie et représentation

Le critique d’art Chris Cyrille et le cinéaste Damien Jélaine ont discuté autour de la question : comment l'effervescence émancipatrice de la Caraïbe peut-elle donner naissance à sa plus grande vague cinématographique ? (How can the Caribbean emancipating turmoil birth its greatest cinematic wave?)

Je m’attendais plus à une discussion sur les représentations plutôt que sur les obstacles économiques au développement d’une industrie cinématographique en Guadeloupe et en Martinique. Sans les subventions du CNC, il est difficile de créer des films en France. Je pense que c’était important d’expliquer cet aspect à des non-Guadeloupéens/Martiniquais. 

Ceci étant dit, en les écoutant, je me suis rendue compte de la difficulté des Guadeloupéens à se penser comme Caribéens. Même si dans les faits, dans leurs actions et dans leur processus créatifs, ils peuvent lister toutes les raisons pour lesquelles ils sont en rupture avec une pensée européocentrée… Cela ne veut pas dire qu’ils inscrivent leur production culturelle dans un cadre caribéen commun aux autres pays de la région puisqu’ils ne définissent jamais ce cadre caribéen au-delà de l’aspect géographique. Qu’en est-il des thématiques et des stratégies de production dans le reste de la Caraïbe ? En quoi les productions de Guadeloupe et de Martinique se démarquent-elles des autres productions caribéennes ? Mais surtout en quoi se conforment-elles à ce cadre, malgré les différences culturelles ? Cet aspect n’a pas été évoqué. Pourquoi parler de “cinéma antillais guadeloupéen caribéen” au lieu juste de cinéma guadeloupéen ? Même un mois plus tard, je n’ai toujours pas compris cette gymnastique de vocabulaire. De plus, peu de cinéastes guadeloupéens ont été cités en terme de référence sur l’évolution de nos représentations. Au final, je trouve que la discussion mettait bien en avant les manques mais il y avait beaucoup plus à dire sur nos atouts et ce qui existe déjà au niveau caribéen. 

s’approprier les espaces culturels

Pour Kaci Merrywether-Hawkins, la créatrice de Black Girls in Artspaces, et Rachel Motley, il s’agissait de “Changer le récit : Médiation culturelle et conversation avec les femmes noires dans les espaces artistiques” (Change the narrative: Cultural mediation and conversation with Black Girls in Artspaces). Quant à Ed Rodley de The Experience Alchimists, il nous a proposé sa façon de”Concevoir l'engagement en 2023” (Designing for engagement in 2023).

Comment encourager les gens à s’approprier les espaces culturels dits “élitistes” ? En les guidant dans une expérience où ils se retrouvent connectés à des personnes avec le même centre d’intérêt. Kaci Merrywether-Hawkins n’a eu de cesse de répéter que sa motivation première était de servir un public spécifique, en l’occurence les femmes noires, et de s’y tenir. Bien entendu, il existe toujours la possibilité de décliner l’offre en s’ouvrant à d’autres publics, mais il faut toujours garder en tête le besoin des gens de se retrouver dans un espace où ils pourront être eux-mêmes sans peur d’être jugés. La notion de groupe est primordiale ici car elle décuple l’intensité des souvenirs individuels et la stratégie peut s’appliquer dans n’importe quelle zone géographique.

Ed Rodley a plus insisté sur comment concevoir une expérience mémorable pour le public. Le storytelling, c’est bien, rendre le public acteur reste la meilleure façon de graver l’expérience dans les mémoires. Pas besoin de grands moyens financiers. Il faut juste s’assurer que le public passe un bon moment en se connectant à ses émotions. Je crois que c’est là que j’ai évoqué le Centre des Arts et de la Culture - Maryse Condé comme exemple d’expérience immersive locale. 

L’art du récit authentique

La stratégiste en storytelling et consultante Soo Mahabir nous a expliqué “comment la narration immersive peut nous aider à faire évoluer nos cultures” (How Immersive Storytelling can help us continue to grow our cultures?). Dans son intervention, elle a évoqué l’importance de prendre le contrôle de nos récits afin de les transmettre aux prochaines générations. En ce sens, la technologie aide à la conservation et à la transmission, mais il faut faire attention à rester dans l’authenticité. La recherche de l’expérience immersive peut pousser à laisser de côté certains éléments clés dans la construction de l’identité. De plus, il est impératif de remettre notre culture au centre afin de la valoriser avant de célébrer les cultures des autres. 

Je tiens à mentionner le webinaire sur la santé mentale présenté par Maria Divina Obrien, activiste digitale et ambassadrice de Google Women Techmakers à Trinidad & Tobago. C’était un rappel important sur le fait de garder sa santé mentale en priorité numéro 1 quand on est un créatif. J’ai aussi apprécié la discussion autour des NFT et des musées avec Chris Cummings (fondateur et CEO de Iconic Moments) et Ed Young (CEO de Universal Health Screener/Propriétaire de HipHop.NFT (The Decentralized On-Ramp for Hip Hop To Web3). Ils ont notamment évoqué la création du musée universel du hip-hop et les enjeux autour de l’espace virtuel. Tout ce qu’ils ont dit correspond à la situation de la Guadeloupe sur comment donner de la visibilité à nos industries culturelles comme le Carnaval, la musique, les léwoz, les contes oraux etc. La médiathèque LAMECA fait déjà un travail considérable d’archivage, mais il serait intéressant de développer aussi des espaces virtuels pour faire l’expérience de ces aspects culturels en alliant divertissement et connaissance.

J’aurais aimé vous donner plus de détails sur l’aspect économie et cryptomonnaie, mais je n’ai que des connaissances superficielles à ce sujet. La seule chose que j’ai retenue est que la cryptomonnaie permet de contourner les barrières dans les transferts d’argent traditionnels et que les NFT sont un moyen de valoriser l’art caribéen car ils circulent plus facilement et peuvent toucher un public avec une capacité d’achat supérieure à ce qu’on trouve dans la classe moyenne régionale. 

En conclusion…

The Epicentrum a prouvé que la diversité des expériences au sein de la Caraïbe constitue notre richesse. La technologie ouvre le champ des possibles de façon exponentielle pour valoriser nos cultures, mais l’humain reste la base de tout. Une dynamique entrepreneuriale au niveau régional existe déjà et la Guadeloupe a un rôle à jouer pour soutenir ce mouvement prêt à passer à la vitesse supérieure. 

Photo de Milad Fakurian sur Unsplash