“Mauvais Choix” ou se créer des opportunités
La saison 3 de Karukerament sera exclusivement avec des films racontant la Guadeloupe. Comme je comprends mieux la spectatrice que je suis et comment gérer mes attentes, je pense être prête à me confronter à la représentation guadeloupéenne. Et c'est ce que j'ai fait le 19 juin 2021. Je me suis rendue à la projection du film "Mauvais Choix" écrit et réalisé par Kichena de Prémices Art Studio. Je savais déjà que je n'étais pas le public cible, je ne suis pas une fan de “films de truands/films de banlieues”, mais je voulais quand même soutenir. Pour la culture. À moins qu'il ne réponde pas à mon principal critère pour apprécier un film : l'intention derrière la caméra.
Ce n’est pas une question d’argent…
"Mauvais Choix" est un long court-métrage. Kichena n'avait pas le budget pour en faire un long métrage, mais il avait assez de matière pour faire quelque chose de plus long qu'un court métrage, donc le film a été monté avec le format d'un épisode de série TV. Cela se voit dans l'interlude de vidéos musicales aléatoires. Cela se voit dans les 15 dernières minutes qui semblent précipitées pour atteindre la scène finale qui se termine sur un cliffhanger. C'est un projet ambitieux qui, malgré ses défauts, parvient à harmoniser les différents éléments de ce qu'a été la représentation générale de la Guadeloupe ces 20 dernières années : la débrouillardise, voire le trafic de drogue, avec de beaux paysages en toile de fond.
C’est une question d’histoire
À première vue, "Mauvais Choix" peut ressembler à un film de banlieue typique des années 90 et du début des années 2000.
Suite à la perte de son emploi, Vincent un jeune antillais se retrouve embourbé dans une sale histoire.
Si vous écoutez mon podcast, vous savez que je suis attirée par les histoires de gens ordinaires. J'aime le style "tranche de vie". J'ai bien un faible pour les histoires de truands, mais soyons honnêtes, je ne me soucie pas des gens qui ne vivent pas selon un code d'honneur. Neuf fois sur dix, ces histoires dépeignent la masculinité noire d'une manière toxique que je ne peux consciemment soutenir. Mais c'est ma vision à moi. "Mauvais Choix" aurait pu être l'histoire typique d'un film de truands s'il n'y avait pas eu l'intention de divertir avec une nouvelle perspective des stéréotypes habituels. Tout comme "Nèg Maron" de Jean-Claude Barny, ce film nous donne une représentation nuancée des jeunes hommes noirs. Ils ont des sentiments, ils montrent leur vulnérabilité. Et cela suffit à faire taire ma voix critique car ces personnages ont été humanisés d'une manière prévisible mais touchante.
c’est une question de personnes
J'ai des choses à dire sur les personnages féminins unidimensionnels, et vous devrez écouter mon podcast pour les entendre. Cependant, ce que l'on ressent à travers l'écran, c'est le désir de montrer les Guadeloupéens avec dignité. Même les moments de comédie n'avaient pas pour but de se moquer des personnages, mais de relâcher un peu de la tension du thriller. La plupart des acteurs sont des chanteurs guadeloupéens populaires. Outre les apparitions d’Admiral T, LaRose, Drexi ou le second rôle masculin interprété par Little Espion, le fait d'avoir la star montante Were Vana comme personnage principal et la légende en devenir Misié Sadik comme méchant était un choix intelligent pour donner envie au public guadeloupéen de voir le film. La présence de Yarma Videos (1, 2) et de Marka Films dans l’équipe technique était la garantie de visuels de qualité. Ainsi, le processus de réalisation du film reflète également l'énergie et la volonté de créer du bon contenu.
Comme nous l'avons évoqué lors de ma table ronde sur les films caribéens dans un contexte multilingue au 1er Conch Shell International Film Festival, l'authenticité n'est pas si facile à atteindre lorsque l'on est un réalisateur caribéen. Si vous tenez à donner une bonne représentation de la Caraïbe, vous devez constamment trouver le juste milieu entre les stéréotypes négatifs créés par les médias grand public et le désir d'être réaliste tout en étant divertissant. Oui, il y a de la pauvreté en Guadeloupe. Oui, les gens luttent. Mais au bout du compte, n'oublions pas qu'il s'agit de cinéma. Le cinéma est censé vous faire voyager. Le voyage dans un cadre familier dans lequel vous avez grandi n'est qu'un bonus. Et c'est ce qu'a fait "Mauvais Choix". C'est le genre de contenu dont Alain Bidard a parlé lors de notre première interview.
Un point à améliorer est la capacité de nos cinémas locaux à s’accaparer des genres cinématographiques qui génèrent le plus d’argent : l’horreur, l’épouvante, le thriller, le fantastique. Ces genres n’ont pas besoin de stars, sont peu onéreux à tourner et se vendent très bien à l’international. Mais nos cinémas restent emmurés dans le film historique, le film dramatique, la comédie et le docu. Des genres difficiles à exporter, même s’ils paraissent plus « nobles » que le cinéma de genre. Faire des films de genre permettrait de multiplier les productions car cela provoquerait une demande. Car pour l’instant, les films caribéens sont des initiatives, des propositions mais la demande de films caribéens n’est pas encore là pour impulser l’industrie.
Avec quelques ajustements ici et là, "Mauvais Choix" a sans aucun doute le potentiel pour devenir un film grand public au niveau international, car il s'agit d'une histoire simple mais convaincante racontée avec sincérité. Espérons que d'autres histoires de ce genre verront le jour.