Mes cinq lectures caribéennes favorites de 2020

Cet article aurait dû être un épisode spécial de podcast… Malheureusement, la logistique n’a pas été de mon côté, mais je tenais quand même à partager avec vous mes cinq lectures caribéennes favorites de 2020.

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En 2020, j’ai lu 91 livres, ce qui inclut les romans, les nouvelles, les recueils de nouvelles et les écrits académiques. J’ai lu 84 fictions. Sur ces 84 fictions, un seul auteur blanc mais c’est un homme trans donc ce n’est pas l’archétype de l’homme blanc cis hétéro. Je dois avoir lu 4 ou 5 auteurs noirs dans le sens homme noir. J’ai lu 1 autrice Indoaméricaine. Tous les autres romans sont écrits par des femmes Noires, de la Caraïbe ou pas. Pour mon top 10 de mes romances favorites vous pouvez aller checker mon blog pour la version en français et mon Instagram pour la version en anglais. Aujourd’hui, je vous présente mes cinq fictions caribéennes préférées parmi les 34 que j’ai lues en 2020. Je les ai classés par ordre chronologique de lecture et pas par ordre de préférence.

Mention honorable - Tea by The Sea de Donna Hemans

Plum a 17 ans et vient à peine d’accoucher quand Lenworth, le père du bébé, disparaît avec leur fille. Elle passe le reste de sa vie à les chercher tout en essayant elle-même de se construire en tant qu’adulte. 

Je l’ai lu avant sa sortie et j’ai eu le plaisir d’interviewer l’autrice. L’interview est à lire en français et en anglais sur karukerament.com. Les critiques et interviews que j’ai pu lire ou écouter analysent surtout le thème de l’agency c’est-à-dire la capacité d’action et comment faire pour la retrouver quand on vous la retire. Tea by The Sea n’est pas dans mon top 5 à cause de la fin un peu abrupte mais je tiens à en parler parce qu’il m’a fait réfléchir sur un thème qui me tient à coeur : la représentation de la parentalité caribéenne. En général, on écrit du point de vue de l’enfant ou de la mère mais rarement du père. Tea by The Sea croise les trois regards et les met sur un pied d’égalité. Je trouve que c’est important à souligner.

Janvier - Là où les chiens aboient par la queue d’Estelle-Sarah Bulle.

D’origine guadeloupéenne, Estelle-Sarah Bulle a fait partie des noms qui ont marqué la saison littéraire 2018/2019. J’avais acheté le livre en 2019, je l’ai commencé à plusieurs reprises et puis j’ai laissé de côté. Pourquoi ? Le réalisme des dynamiques familiales, sociales, raciales en Guadeloupe me touchait trop. Là où les chiens aboient par la queue est un récit à 4 voix pour démêler l’histoire de la famille Ezéquiel sur une bonne partie du 20ème siècle. Au-delà même de l’histoire, j’ai aimé le style d’écriture clair, précis et poétique. En plus, en terme de schéma narratif, trouver l’équilibre entre plusieurs voix sans créer de confusion est difficile. A titre exemple, L’isolé Soleil de Daniel Maximin ou Texaco de Patrick Chamoiseau. Je sais que ce sont des chefs-d’oeuvre, mais je me suis perdue à plusieurs reprises en les lisant. D’ailleurs, je compte les relire en 2021. Pour revenir à Là où les chiens aboient par la queue, je le mets dans mes lectures favorites parce qu’il m’a fait m’interroger sur comment raconter la Guadeloupe et quel point de vue adopter. Voici ma chronique à ce sujet.



Juin - Brand New de Rilzy Adams

Cette novella est dans mes 10 romances préférées de 2020. Autrice d’Antigua and Barbuda, Rilzy Adams écrit des romances mais aussi des fictions érotiques. Elle a créé l’univers Love on the rock dans lequel se déroule Brand New, un spin-off qui met en scène Regina et Quentin. Regina, c’est la prof cool et sexy. Quentin, c’est un prof cool et sexy et locksé. Ils ne se supportent pas. Vous devinez donc que c’est le stéréotype d’ennemies à amants. Ce qui m’a plu c’est le fait que ce soit dans une ambiance soirée caribéenne et il y avait une vibe très années 90/début des années 2000. Je signale que c’est en anglais… Et que nous finissons sur un cliffhanger. J’espère qu’elle écrira une suite.

Juin - The Girl with the Hazel Eyes de Callie Browning

Après avoir écrit des nouvelles récompensées dans des concours d’écriture, Callie Browning a placé haut la barre du réalisme et de l’authenticité avec son premier roman. Le Bookstagram caribéen a buzzé sur ce livre tout au long de l’année 2020 et avec raison. The Girl With the Hazel Eyes, la fille aux yeux noisette, raconte l’enfance et l’adolescence de Susan dans la Barbade des années 50/60 pendant la lutte pour l’indépendance. J’ai tellement aimé le livre que je ne l’ai pas relu mais j’y pense encore régulièrement.  Encore une fois, c’est le genre de littérature qui me fait réfléchir sur ma propre écriture, sur comment se raconter. L’intrigue est tellement bien ficelée qu’on est persuadé que les personnages sont réels, que les événements, à part les événements historiques, se sont vraiment produits. En plus, on y trouve une représentation positive d’un adolescent noir. Kenneth, c’est mon chouchou. Vous pouvez (re)lire l’interview de Callie Browning disponible en français et en anglais. Son second roman sort dans quelques semaines. The Vanishing Girls sera sur l’histoire d’un tueur en série dans la Barbade des années 80. J’ai hâte.

Août - The Black God’s Drums de P. Djèlí Clark

Les amateurs de science fiction, de steam punk, c’est pour vous. Et puis même si ce n’est pas votre genre, ce sera pour vous aussi. Pour faire simple, le steam punk c’est la littérature de science-fiction à l’époque industrielle du style ce que faisait Jules Verne. Historien d’origine trinidadienne, P. Djèlí Clark a le souci de la précision dans la création de ce monde alternatif où la Nouvelle-Orléans est une ville neutre dans la guerre civile américaine encore en cours en 1884. Creeper, une orpheline de 13 ans veut quitter la Nouvelle-Orléans à bord d’un ballon dirigeable et de partir explorer le monde. Quand elle découvre un complot imminent lié à la disparition d’un scientifique haïtien, elle y voit une opportunité pour concrétiser son rêve en aidant Ann-Marie, la capitaine du ballon dirigeable Le voleur de Minuit . L’authenticité de P. Djèlí Clark dans la description de cette Histoire alternative m’a laissée admirative. En terme de représentation, The Black God’s Drums a tout ce que je demande. Une jeune héroïne courageuse et intelligente, la mythologie afrocaribéenne, des scènes d’action, une Haïti célébrée, une culture caribéenne valorisée… jusqu’à l’utilisation du créole à plusieurs reprises. Dans les critiques faites par des personnes non-concernées, c’est un point négatif. Pour moi, c’est un point positif. Quand on n’est pas concerné par une culture, il faut apprendre à décentrer son discours et rester concentré sur ce sur quoi on arrive à s’identifier en tant qu’être humain. P. Djèlí Clark est pour moi l’auteur caribéen à suivre. Son dernier roman “Ring Shout” a fait le buzz dans le Bookstagram caribéen tout au long de l’automne et de l’hiver. Une série TV adaptée de ce roman a déjà été confirmée… A suivre de près donc.


Novembre - Force Ripe de Cindy MacKenzie

Ce roman m’a brisé le coeur. Je crois bien que c’est la première fois en mes 30 et quelques années de lecture. Je l’ai dit dans ma flash review sur mon Instagram. Je ne compte pas le relire parce qu’il est trop dur. On suit le destin de Lee entre l’âge de 6/7 ans et 17/18 ans à Grenada dans les années 1970-1980. A travers son parcours qui n’est fait que de longues souffrances et quelques instants de bonheur, on découvre les dynamiques raciales, sociales, économiques, politiques des sociétés caribéennes de la moitié du XXe siècle. La force de ce roman est l’écriture. Si vous lisez une critique négative disant que le style est répétitif, que le vocabulaire est pauvre, c’est que la personne est passée à côté du roman. Et là je ne veux pas nuancer mon propos. C’est le premier roman de Cindy McKenzie mais elle a réalisé un chef-d’oeuvre. Nous entendons la voix d’une petite fille victime de violence quotidienne sous toutes ses formes et venant de toute part. Personne ne la protège, personne ne l’écoute. Une petite fille ne peut pas avoir le vocabulaire d’une adulte pour décrire le colorisme, le racisme ou un viol. Justement, c’est parce que Cindy Mackenzie utilise ce point de vue de l’enfant que la lecture reste supportable. Sinon, c’est insoutenable dans le sens où on se dit que 90% de ce qui arrive à Lee est “ordinaire”. C’est horrible même à le dire. Lee serait une femme quinquagénaire en 2020. Je pense à toutes ces femmes caribéennes de cet âge, les mères de ma génération  dont les vécus d’enfance et d’adolescence sont encore laissés de côté, passés sous silence alors que leur personnalité austère est souvent décriée… Ou alors c’est peut-être parce que je n’ai pas encore lu les romans qui en parlent. L’exploration continue…

Et vous, quelles sont vos lectures caribéennes marquantes de 2020 ?