Mortel ou comment vampiriser la culture guadeloupéenne
A chaque nouvelle série française, je me dis toujours “laisse-lui une chance, peut-être que…” Et puis je regarde et je soupire. Une fois. Deux fois. Trois fois…. J’arrête de compter. Vous avez compris l’idée. Mortel n’a pas été l’exception à la règle.
J’aurais voulu aimer cette série made in Netflix. J’étais prête. Et en toute honnêteté, je pense que c’est du divertissement correct. Pas exceptionnel mais correct. Pour rappel j'ai regardé toutes les séries jeunesse (ou en tout cas 90% d’entre elles) produites en France depuis les années 1950 donc je sais de quoi je parle quand je dis que Mortel n’a aucune originalité dans la représentation des Antillais, mais quand je dis aucune, c’est vraiment aucune. J’ai cru être dans les années 80 tellement Mortel faisait le bingo de la représentation cliché des Noirs dans les séries françaises pour ado avec la subtilité du t-shirt “Pa Ni Pwoblem Guadeloupe” que Luisa (Manon Bresch) prête à Victor (Nemo Schiffman).
Cliché sur la cuisine - check
Mortel nous a épargnés les références au boudin, mais on a eu droit à une scène sortie de nulle part où Luisa (Manon Bresch) se fait asperger de déodorant par Nora (Assa Sylla) sa “meilleure amie” qui trouve qu’elle sent trop les accras. J’ai dû poser mon téléphone tellement j’étais agacée de voir que la cuisine antillaise était utilisée comme ressort comique par deux jeunes personnages féminins noirs. C'était une remarque inutile et digne des années 80. #isaidwhatisaid
Cliché sur la religion - check
Je n’ai pas compris l’univers ésotérique de Mortel. Quel était le problème d’Obé (Corentin Fila) le dieu manipulateur ? Ou quel était son but ? En soi, ça n'empêche pas de suivre la série. Par contre, pourquoi avoir inventé un vaudou ramené à de rituels d’exorcisme et à une occasion d’arnaquer les plus crédules ? C’est la représentation simpliste à laquelle cette religion a droit depuis des années. Mortel ne fait pas mieux et renforce juste le cliché sur le rapport des Noirs à la religion sans creuser le pourquoi du comment. La série a voulu s’acheter une authenticité avec des incantations en créole prononçable par tout le monde, mais aucun effort n’est fait pour expliquer, à défaut de montrer, ce qu’est ce vaudou, ses dieux et mythes fondateurs… Luisa et sa mamie Élisabeth auraient pu être les personnages apportant les explications, mais elles n’arrivent pas à se libérer des clichés qui les définissent.
Cliché sur la femme noire - check
Commençons par les jeunes. Pour rappel, la fiction TV rejette tout concept d’une amitié sincère entre deux filles noires. Non seulement, Mortel valide ce concept mais la série se permet même de le faire verbaliser par un personnage blanc masculin qui décrit Nora comme jalouse de Luisa. Je vous passe la mise en scène coloriste parce que Nora est un personnage sans couleur à la base. Et le créateur savait très bien que le Black Twitter ferait cette lecture puisque le personnage de Nora n'est pas plus que la angry Black girl à partir du moment où elle est interprétée par une actrice noire. Bref. Non, je ne suis pas là pour ce genre de représentation en 2019.
Luisa avait tout pour être l’héroïne de la série. En vérité, l’intrigue a beau essayer de placer Sofiane le bad boy (Carl Malapa) au centre avec le sauvetage de son grand frère comme moteur, c’est en réalité Luisa qui est le personnage le plus complexe, le plus puissant et le plus intéressant. Au lien d’en rendre compte par des allusions au détour d’un dialogue pour créer du faux suspens, il aurait été original de lui donner le lead en la faisant exister en dehors de ses liens avec les garçons ou de l'exploitation de son corps. Son histoire avec Victor ne sert strictement à rien si ce n'est à représenter une fois de plus un couple mixte avec la fille noire belle gosse et le garçon blanc torturé qu’elle aide à soigner. Les 4 exemples de jeune fille noire qui me viennent en tête sont des séries françaises allant des années 60 aux années 2000 et elles suivent toutes ce schéma. So cliché.
Je vous passe l’analyse sur le fait que Luisa soit la seule noire du trio et qu’elle soit la seule à ne pas avoir de vie familiale avec papa, maman. Elle est élevée par sa grand-mère. Le personnage de Mamie est basé sur une personne réelle, ce qui illustre d'autant plus ce rôle déshumanisant de la mamy que la société impose aux femmes noires. Il n’y a pas d’interrogation sur les aspirations et ambitions personnelles de Luisa (la question de son orientation scolaire est rapidement évacuée) et encore moins sur celles d’Élisabeth… Être une femme noire, c'est performer une image où le soi n’existe que pour le bien des autres. Cliché, cliché et recliché.
Mortel a été renouvelé pour une saison 2. En toute franchise, mon problème n'est pas que les Guadeloupéens soient représentés par le vaudou. Mon problème est que ce ne soit que par un vaudou sans substance et sans creuser. Peut-être que la saison 2 rectifiera cet aspect. Si on pouvait aussi éviter toute référence culinaire, ce serait pas mal également.
Franchement, je passe mon temps à me demander si j'ai trop d'exigence de représentation et puis je me rappelle que je n'ai pas un seul exemple positif de représentation française donc mes exigences pour une représentation ordinaire sont de l’ordre du minimum syndical à ce stade.
PS: la personne qui a fait les sous-titres français pour l’épisode 2 est priée de redonner à Slaï la paternité de “Flamme”. Il n’a pas attendu 6 ans pour que son titre soit un tube dans l’hexagone et qu’on ne le crédite même pas. Voilà pourquoi le sous-titrage, c'est aussi de la recherche. La personne qui fait le sous-titrage ne s’est même pas rendu compte que ce n'était pas le bon “Flamme”. Respectez le zouk, s’il vous plaît.