Callie Browning: "Le monde est de plus en plus ouvert à l'idée que les romans de la Caraïbe sont aussi de la littérature de qualité."

Elle est originaire de la Barbade, mais il ne s’agit pas de la chanteuse Rihanna. Callie Browning est l’autrice de “The Girl With The Hazel Eyes”, un de mes romans préférés de 2020. Le livre fait la joie du Bookstagram caribéen depuis un moment et ces compliments sont vraiment mérités. Il fait même partie des 16 lectures caribéennes recommandées par Oprah Magazine. Callie Browning a déjà gagné quelques récompenses pour ses écrits notamment les médailles d’argent et de bronze au festival NIFCA (  National Independence Festival of Creative Arts) en 2016 et en 2019. Elle était également en compétition pour une récompense au Brooklyn Caribbean Lit Festival en 2019 dans la catégorie “Nouvelle”. Je suis vraiment heureuse d’avoir pu discuter avec elle de ce que signifie être une autrice caribéenne autopubliée aujourd’hui, sa technique d’écriture et #streamcaribbean.


“The Girl with the Hazel Eyes” est votre premier roman, mais il est loin d'être votre première tentative d'écriture. Vous êtes une autrice primée. Quand et comment avez-vous commencé à écrire ?

J'écrivais des poèmes quand j'étais enfant (ils n'étaient pas très bons), donc j’écris depuis aussi longtemps que je me souvienne, principalement parce que je suis capable de mieux m'exprimer par l'écrit. Mes nouvelles et mes romans ont toujours été le reflet des pensées et des problèmes qui se présentent à moi. Ils reflètent profondément la société et la condition humaine, sauf qu’en vieillissant, je suis devenue capable de les aborder par la fiction. Je me souviens que lorsque l’email et la messagerie instantanée sont entrés dans nos habitudes, j'écrivais de longs messages/e-mails sur toutes sortes de sujets à mes amis. Bénis soient-ils/elles de ne pas m'avoir dit à quel point j’avais l’air folle. (rires)

Il y a actuellement un débat sur la représentation en littérature et ce débat prend de l’ampleur. Quel genre de livres avez-vous lu en grandissant et vous êtes-vous senti représentée ? 

La fiction a toujours été mon truc. En tant que lectrice, surtout en tant que lectrice qui n’avait pas les moyens financiers d’acheter des livres en grandissant, je comptais beaucoup sur la bibliothèque municipale. J’ai lu beaucoup de classiques (parce que c'est ce que les bibliothèques ont tendance à avoir), ce qui peut expliquer pourquoi j'ai toujours trouvé la fiction historique incroyablement réconfortante et c'est ce que je recherche le plus. J’ai lu des romans sur des familles qui établissent la frontière dans l’Ouest américain et qui se déplacent dans les campagnes anglaises. L'ironie est que ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai réalisé que je n'étais pas représentée, tout simplement parce que tout - la télévision, les films, les livres, les magazines - renforçait ces idées et qu'il était difficile d'imaginer un monde en dehors de la réalité présentée dans ces romans. Même les romans caribéens présentaient une réalité qui me semblait un peu différente - la Barbade n'a pas de montagnes comme la Jamaïque ou de rivières comme la Dominique ou Trinidad, donc les scénarios présentés dans ces romans (principalement écrits par des hommes) semblaient toujours aussi peu représentatifs. 

Je vois. C’est un peu différent pour moi parce que la Guadeloupe a beaucoup de diversité dans ses paysages, donc je n’ai pas encore lu de descriptions d’un décor naturel qui ne me parlent pas. Parlons de votre technique d’écriture. Avez-vous une routine avant, pendant ou après une session d’écriture ?

Je suis ce qu’on appelle une autrice par la découverte et j’imagine que je suis également très désorganisée. J’ai tendance à avoir une idée, une scène en tête et je ne sais comment je réussis à écrire toute une histoire autour. Beaucoup de ces pensées me viennent le soir après le dîner. Quand le monde est silencieux et que mon cerveau peut vagabonder autant qu’il veut, alors ces scènes et ces dialogues me viennent sans effort. Le point de départ de The Girl With the Hazel Eyes était l’idée d’une femme en exil qui rencontre une jeune femme envers laquelle elle se comporte très mal. Et là, une vision sur son enfance m’est venue de nulle part. Par miracle, j’ai réussi à connecter ces deux éléments et à en faire tout un roman. J’ai beaucoup écrit pendant la pandémie, ce qui est génial. J’ai réussi à finir la première version de mon prochain roman pendant la quarantaine. Je suis en train de le corriger et j’essaye de préparer la sortie pour l’année prochaine.

En parlant de “The Girl With The Hazel Eyes”, roman que j’adore au passage, l’histoire se déroule principalement à la Barbade pendant l’époque de la lutte pour l’indépendance. Vous n’étiez même pas née à l’époque donc vous n’avez pas pu écrire à partir de votre expérience personnelle. Comment avez-vous créé une intrigue aussi détaillée ?

Il m’a fallu 3 ans pour écrire “TGWTHE” dont 6 mois consacrés à mes recherches. C’est une époque dont ma mère et ma marraine m’ont beaucoup parlé, donc certains aspects sont basés sur ces conversations que j’entends depuis des années. J’ai regardé des vidéos Youtube, je suis allée à la bibliothèque et j’ai aussi fait des recherches en ligne et j’ai fait des visites guidées dans des lieux historiques pour obtenir ces informations.

Vous avez auto-édité et publié ce roman. Pouvez-nous en dire un peu plus sur le procédé en tant que personne vivant dans la Caraïbe ?

Editer n’est pas pour les faibles. Il faut changer de personnalité et passer d’autrice à éditrice pour ne pas trop s’attacher aux personnages et à certains aspects de l’intrigue afin de se montrer juste envers le roman. En tant que personne vivant dans la Caraïbe, les services d’éditions professionnels proposés en ligne peuvent paraître un peu prohibitifs à cause du taux de change. Par exemple, à la Barbade, un dollar US représente deux dollars Barbadiens donc le prix est littéralement le double. Je ne dis pas que les gens devraient se passer de la phase édition à cause du coût vu comment cette correction est tellement importante pour le produit final, mais cela a un véritable impact sur la façon dont la version finale du livre sera bouclée. Sans parler du fait que l’éditeur.trice doit aussi être sensibilisée à la façon de vivre dans la Caraïbe pour que l’histoire ne perde pas en authenticité. La triste réalité est que nous n’avons pas vraiment d’exemples d’auteurs à succès qui soient accessibles et qui peuvent aider à nous guider dans ce procédé. Heureusement, certains auteurs et autrices indépendants de la Caraïbe font preuve de résilience, continuent de persévérer pour créer un art génial et seront des exemples à succès à suivre. Les romans caribéens commencent à être reconnus parce que les bloggeurs et les chroniqueurs sont en train de prendre conscience de la valeur incroyable des histoires diverses “own voices”. Ce serait génial d’avoir plus de conseil en ce qui concerne la façon de vendre et formater nos romans de façon effective. Le monde du livre est vraiment opaque en terme de ce qui est nécessaire pour réussir et il n’y a pas de modèle ou de solution miracle. En ce qui concerne le marketing, il y a une chose crucial pour un bon livre : le bouche-à-oreille qui tend à devenir l’outil marketing le plus effectif. Et avoir une belle couverture ne peut pas faire de mal. A part cela, il faut vraiment trouver des gens qui veulent lire le roman et qui l’apprécieront.

Parlons de l’intrigue et des personnages à présent. La version jeune de Susan et la version senior sont des dures à cuire mais chacune à leur façon et je pense que cela reflète leurs expériences. Son personnage était-il aussi clairement défini dès le début ?

Ha ha. Oui, elles sont des dures à cuire. La version senior de Susan était la seule à être clairement définie dans ma tête. Mais au fur et à mesure de l’écriture, je me suis rendue compte que la sensibilité et de la jeunesse de la Susan ado m’ont vraiment touchée aussi. Enfant/ado, elle était le genre de personnage qui avait peur de faire certaines choses à cause de son inexpérience mais cela n’empêchait pas à sa lumière de briller. En tant qu’autrice par la découverte, je n’avais pas une vision précise de son personnage mais je dois reconnaître que je suis amoureuse de ce que le personnage est devenu. Elle est forte mais douce, parfois timide mais ambitieuse. Et plus que tout, j’adore le fait qu’elle n’a pas peur de se regarder dans le miroir et admettre ses erreurs.

Je demande quelques secondes pour rendre hommage à Kenneth. Vous savez, dans le monde des K-dramas, il y a le syndrome du héros secondaire parce qu’il y a généralement un triangle amoureux et l’héroïne tombe toujours amoureuse du héros qui est beau mais la maltraite. Et on a le héros secondaire qui est exactement le gars parfait. J’ai l’impression que Kenneth est le héros principal avec les qualités du héros secondaire. Est-ce que c’est moi ou la littérature caribéenne ne nous donne pas facilement des personnages masculins étant des êtres humains ordinaires avec un comportement correct ? Comment avez-vous développé le personnage de Kenneth ?

La littérature caribéenne, et la littérature en général, est vraiment fixée sur les stéréotypes. Le personnage de Kenneth s’est développé de façon organique et j’étais heureuse qu’il devienne ce qu’il est. Beaucoup de lectrices m’ont écrit pour me dire que l’amour entre Susan et Kenneth est le genre d’amour qu’elles auraient aimé avoir. Même des hommes me l’ont dit ! Je voulais des personnages avec un comportement correct au lieu de personnages stéréotypés comme gentils ou méchants sans une véritable nuance. Kenneth est un homme bien, qui possède à la fois de la vulnérabilité et de la fierté et je voulais vraiment ficeler et présenter les belles caractéristiques de personnes de la Caraïbe que j’ai rencontrées dans ma vie.

Vous savez déjà qu’il dit ma réplique préféré du livre. Quelle scène ou réplique avez-vous préféré écrire ? Il n’est pas nécessaire de donner des détails afin de ne pas gâcher le plaisir, mais qu’avez-vous écrit qui vous a fait dire “yaaas” ? Et à l’inverse, y a-t-il un élément dont vous n’êtes pas satisfaite ?

OUI ! Je sais que vous êtes une grande fan de Kenneth. Ignatious Grimes est le personnage qui m’a fait dire “yassss !” pendant l’écriture. J’adore le fait qu’il soit à cheval entre le bien et le mal dans toutes les actions qu’il entreprend. Pour ce qui est de l’aspect de l’intrigue dont je suis la plus fière, je dirais que c’est la relation de Susan avec sa mère. J’ai crié pendant la scène des pommes de terre. Tout le monde aime l’outsider qui réussit à s’en sortir. Mais ces situations ne se présentent pas toujours sous la forme des petits caïds dans la cour de récréation. Parfois, c’est par rapport aux situations dans laquelle la vie nous plonge. Dans une situation d’outsider qui n’est pas clairement définie, on a le coeur qui saigne un peu plus. MAIS quand il y a quelqu’n qui nous soutient et qui se bat bec et ongles pour nous ? C’est merveilleux.

Ignatious Grimes ! Il était effectivement un personnage génial. Et cette relation mère-fille était si bien caractérisée… J’ai aussi l’impression que les mères caribéennes sont généralement montrées comme des femmes dures sans qu’on explique pourquoi elles agissent de cette façon. D’accord, j’arrête ou je finirai vraiment par spoiler l’histoire. Donc, comme vous le savez, je pousse les gens à utiliser le #streamcaribbean. Encore plus maintenant parce que je lis sur d’autres îles et la musique aide à créer l’ambiance, mais je ne connais pas grand chose sur la musique de la Barbade à part Rihanna (désolée). Quelles chansons barbadiennes recommanderiez-vous pour créer une ambiance TGWHE

Il n’y a pas de honte à n’écouter que la Reine Ri ! Pour créer l’ambiance de TGWTHE, j’aimerais recommander des chansons comme Beautiful and Unspoilt de Sheryl Hackette. Elle me fait penser à l’histoire d’amour entre Susan et Kenneth. Par rapport au ressenti de Susan qui pense à la Barbade pendant son exil, My Country to Me de Mark Lorde en est une représentation en musique géniale. Quant au drame avec Joan et Susan se disputant Winslow, The Mighty Gabby résume parfaitement la situation dans Needles & Pins.

Quelle serait la distribution de rêve pour une adaptation au cinéma ou en série ?

Oh la la… J’y ai pensé et je suis si heureuse d’avoir cette question! Rihanna serait Lia. J’aimerais Viola Davis pour Susan (l’unique problème est que Susan a la peau claire alors Reine Viola ne conviendrait pas parce que la question du colorisme traitait dans le roman ne fonctionnerait pas). Je pense que Winston Duke serait génial pour jouer Kenneth ou Winslow. Peut-être Lawrence Fishburne pour Ignatious Grimes.

Le monde a besoin de plus d’oeuvres avec Winston Duke. Je l’imagine bien en Kenneth. Je pensais que Jimmy Jean-Louis pourrait faire un bon Winslow. Suave mais aussi dangereux. (rires) D’accord, voilà ma dernière question ! Vous avez lancé votre magazine digital : Muse. Pouvez-nous en parler un peu plus ?

“Muse by Callie Browning” [t/n : Muse de Callie Browning] est un projet que je fais par passion. Il est disponible par un abonnement gratuit et, comme j’aime à le dire, il est sur tout ce qui concerne la vie littéraire de luxe. Mon but est de rendre l’acte de la lecture fun, accessible et varié. J’aime parler des tendances, des concours, montrer aux gens ce sur quoi je travaille, des endroits fun que j’ai visités et me concentrer sur des activités autour de la littérature auxquelles certaines personnes ne penseraient pas. Parfois, j’inclus même des recettes de plats que j’adore manger quand je lis ou quand j’écris. J’ai commencé Muse parce que je n’ai jamais encore rien lu de tel et ce magazine est quelque chose que j’aurais aimé lire. Je pense que le monde est en train de s’ouvrir à l’idée que les romans caribéens sont de la littérature de qualité avec des éléments auxquels on peut s’identifier. Les scènes dans les romans peuvent être différentes, mais les personnages sont toujours des personnes qui sont poussées par toute sorte de motivations intéressantes. Je crois que c’est magnifique et que ce fait devrait être accepté.

Question bonus : qu’est-ce qui vous vient en tête quand vous lisez ou entendez le mot “Karukerament” ?

Cela me fait penser au festival Kadooment de la Barbade qui est une sorte de fête/parade dans la rue pendant le carnaval.


Merci, Callie ! Vous pouvez la suivre sur Instagram et Facebook. Cliquez pour vous abonner à son magazine “Muse by Callie Browning”.