Caribbean Podcast Directory - Podcaster Spotlight : Maëlla Kancel
Ndlr : ceci est une traduction de mon entretien avec le site caribbeanpodcastdirectory.com . Vous pouvez lire la version originale en anglais en cliquant ici.
à propos de l’animatrice – Maëlla Kancel
Maëlla Kancel est née et a grandi en Guadeloupe. Maëlla, aussi connue sous le pseudo Patra M, est l’animatrice de Karukerament. Bien qu’étant originaire de Guadeloupe, elle a vécu à Paris et dans ses environs ces quinze dernières années. En plus d’être une podcasteuse, elle est aussi professeure des écoles et est une bloggeuse depuis 2013.
à propos de l’émission
La version française de Karukerament a été lancée en Janvier 2019 et la version en anglais est disponible sur Apple Podcasts depuis Septembre 2019 dans la catégorie TV & Film. Les épisodes sont mis en ligne chaque dimanche quand la saison est en cours.
Pourquoi avoir choisi ce nom ? Quelle en est la signification ?
En tant que Guadeloupéenne, tenter de comprendre la culture des autres me passionne. La démarche se fait rarement dans le sens inverse. J’ai choisi un nom que les Guadeloupéen.nes reconnaîtraient immédiatement pour qu’iels sachent que ce podcast est avant tout pour elleux. J’espérais que les Caribéen.nes y verraient un mot familier, surtout s’iels connaissent le nom amérindien de leur île.
Je voulais aussi que les personnes qui ne sont pas de la Caraïbe fassent l’effort conscient de chercher le sens du mot. Si vous écoutez mon épisode 1, vous saurez le sens que je donne à Karukerament, mais je ne l’écris jamais pour que chaque personne puisse en faire sa propre interprétation positive. Néanmoins, je tiens à clarifier le fait que ce nom n’a absolument rien avoir avec le mot “choucroute”.
Quel est le thème de l’émission ?
Pour l’instant, Karukerament est un podcast sur la représentation de la Caraïbe au cinéma et à la télévision. Je parle des films qui m’aident à écrire ma définition de ce qu’est mon identité caribéenne au XXIe siècle. Je lis ces films et ces séries à travers les connections caribéennes que je vois avec mon identité de femme noire, d’Afrocaribéenne, de Guadeloupéenne et de Française.
Pourquoi avez-vous décidé de podcaster ?
C’est la même raison pour laquelle je bloggue. Je veux rencontrer des gens qui aiment ce que j’aime. En réalité, j’ai lancé mon premier podcast en 2017, mais il portait sur la K-pop et les K-dramas. Je respecte la culture coréenne, mais je pourrais étudier la langue et la culture autant que je veux, je ne serai jamais capable de comprendre complètement ce qu’une personne coréenne ressent. Parler de culture coréenne ne m’apportait pas autant de joie que celle que blogguer sur la culture noire pouvait m’apporter. Donc quand j’ai commencé à regarder de plus en plus de films de la Caraïbe, je ne voulais pas me contenter de blogguer dessus. Je voulais exprimer entièrement mon enthousiasme, donc j’ai créé Karukerament.
Pourquoi avoir choisi ce thème et ce format ?
La pop culture, la télévision française et, dans une certaine mesure le cinéma français, étaient déjà mes domaines d’étude pour mon Master de recherche. Cependant, ma voix était inaudible dans le monde académique et je ne pense pas que j’étais prête à assumer ce que je pensais sur le manque de représentation dans le cinéma et la télévision en France. Beaucoup de personnes caribéennes, surtout celles de la diaspora et celles des territoires qui ne sont pas encore indépendants, ont du mal à se définir en leurs propres termes et comme elles le souhaitent. Elles sont toujours trop ceci, pas assez cela. Le cinéma est un moyen génial d’étudier l’identité caribéenne et de ressentir un sentiment de communauté.
Le format de l’émission est souple. La saison 1 est composée de 6 épisodes qui ont été publiés de façon mensuelle. Avec la saison 2, j’expérimente un format hebdomadaire de 20 minutes. J’ai une profession énergivore, donc c’est vraiment une question de trouver l’équilibre par rapport à ce que je dois faire pour mon emploi. La seule constante, qui je suis sûre ne changera pas pour l’instant, est qu’il s’agit d’un podcast solo. Karukerament est un voyage dans l’intime parce que je partage mes problèmes personnels, mes souvenirs heureux et malheureux de mon enfance et adolescence passées en Guadeloupe. Ce podcast est aussi une façon de me confronter à moi-même et d’être honnête par rapport à mes expériences en tant que femme afrocaribéenne française. Quand je serai complètement à l’aise sur la façon dont je définis mon identité caribéenne, le format évoluera pour apporter quelque chose de nouveau.
Il y a une version française et une version anglaise du podcast - pourquoi ?
J’ai lancé la version française en janvier 2019 avec l’intention de ne pas aller au-delà de 6 épisodes. J’avais même annoncé l’arrêt du podcast après l’épisode 6 parce que je rencontrais alors beaucoup de problèmes techniques et le manque de commentaires me donnait l’impression que ce que je faisais était inutile de toute façon. Je ne fais pas ça pour que les gens soient d’accord avec moi ou juste pour le plaisir de faire une critique de films. J’ai créé ce podcast pour établir un lien avec d’autres personnes. Comme cela n’a pas fonctionné en français, j’ai décidé de faire une nouvelle tentative en anglais. Le public anglophone est plus large par définition et j’étais aussi curieuse de découvrir les similitudes et les différences dans notre perception de la culture caribéenne.
Je fais moi-même mes traductions et je dirais que la version en anglais est identique à la version en français à 95%. Les 5% de différence correspondent à mon degré de contextualisation pour expliquer une référence culturelle. Par exemple, si je parle du J’ouvert ou d’un.e artiste dancehall, mes explications en anglais seront plus concises par rapport à mon explication en français. A l’inverse, si je dois expliquer un élément culturel guadeloupéen, je serai plus concises en français. Mais d’une façon générale, le fait que je parle de culture caribéenne signifie que je n’ai pas du tout besoin de changer mon contenu parce que je m’adresse d’abord à d’autres personnes de la Caraïbe. Je me contente juste de changer la langue dans laquelle je m’exprime. Ceci dit, je pense être plus directe quand je m’exprime en anglais sur des sujets sensibles comme la représentation de l’esclavage ou du racisme. La France est dans le déni quand il faut discuter de ces questions.
Quelles ont été les réactions depuis le lancement de l’émission ?
Les réactions ont été un peu… bon, vraiment décourageantes au début. Ce n’est pas tant en terme du nombre d’écoutes, je sais que ce que je fais est pour une niche. Mais être un public à faible effectif ne signifie pas être incapable de “faire du bruit”. Je suis une passionnée, j’ai grandi dans la culture des fandoms en ligne. Quand j’aime quelque chose, je le dis haut et fort. Cependant, les gens de la Guadeloupe et de la Caraïbe ne fonctionnent pas de cette façon quand il s’agit de célébrer leur propre culture. Je crois qu’il y a des raisons historiques pour l’expliquer, mais je ne vais pas entrer dans le débat ici. Je sais que le format de la saison 1 a aussi joué un rôle dans ce que je pensais être un manque de réaction à l’époque.
Un an et six mois plus tard, j’ai reçu un commentaire pour ma version en anglais, et peut-être 6 ou 7 pour la version française ? Tous positifs. Et je n’ai pas encore reçu de commentaire négatif. Je pense qu’avoir atteint la barre des 100 abonnés sur Twitter et Instagram a changé ma façon de voir les choses. Cela m’a fait voir le soutien silencieux mais de qualité que Karukerament reçoit.
Les cinéastes dont je parle soutiennent généralement le podcast, même quand je ne suis pas d’accord avec certains de leurs choix de réalisation. Ils repostent toujours leur épisode quand je les tagge sur les réseaux sociaux et quand je demande une interview écrite pour karukerament.com, tout le monde sauf une personne m’a dit oui pour l’instant. Voir à quel point ils prennent mon travail au sérieux alors que je suis encore à mes débuts et que je suis encore en train de construire mon public niche me rend humble. Des gens acceptant de voir leur fil d’actualité avec des publications aléatoires dans une langue qu’ils ne parlent pas ou de voir à plusieurs reprises la même publication dans une langue différente, c’est un soutien sincère. En général, quand les gens rejoignent la communauté Karukerament, ils restent et je les remercie pour la loyauté dont ils font preuve.
Maintenant que l’émission est lancée, que souhaitez-vous accomplir ?
Sur le plan personnel, j’espère que ce podcast sera un témoignage de la complexité de notre identité caribéenne. Il n’y a pas une définition unique. Chaque expérience est légitime.
Maintenant, en terme de business, j’espère que ce podcast aidera à donner plus de visibilité aux films de la Caraïbe et à leur potentiel pour que nous devenions une industrie aussi puissante qu’Hollywood et Bollywood. En tant que personne qui a aidé à la diffusion de la Hallyu (la Vague culturelle coréenne) en France, je connais le pouvoir que les consommateurs détiennent et une petite communauté d’enthousiastes est capable de changer un paysage culturel national en cinq ans. De mon point de vue, au-delà des problématiques politiques et économiques que cela implique, Cariwood pourrait se concrétiser en moins de 15 ans. Il est clair que nous avons du contenu de qualité… J’oserais même dire que ce n’est même plus une question de qualité à ce stade. Ce qui est important, c’est le fait que la culture caribéenne est déjà internationale. Ce qui est important, c’est que nous avons des professionnels présents dans tous les domaines de l’industrie du cinéma et ils essayent déjà de collaborer ensemble. Ce qui est important, c’est que nous, consommateurs de la Caraïbe, soyons disséminés à travers le monde. C’est pour cette raison que nous jouons un rôle dans la création de cette visibilité qui apportera les investissements financiers pour développer le système économique adéquat pour créer encore plus de projets.
Ces 30 dernières années, les professionnels du film ont fourni des efforts constants pour préparer le cadre qui permettra à Cariwood de se concrétiser. Le rôle du consommateur est crucial aujourd’hui plus que jamais. Inutile de préciser que j’étends ce raisonnement aussi à la musique caribéenne. C’est pourquoi j’encourage à utiliser le hashtag #streamcaribbean pour soutenir les artistes de la Caraïbe.
Quel serait votre invité.e de rêve pour ce podcast ?
Si j’utilise un format conversation, je dirais la réalisatrice Euzhan Palcy pour le cinéma, Gisèle Pineau pour la littérature et Kassav pour sa musique. Non pas parce que je suis fan, mais parce que je n’ai pas encore lu ou vu d’interview où ils parlent de leur identité caribéenne dans un contexte caribéen. Ils nous donneraient probablement des clés essentielles sur ce qui est nécessaire pour que les générations caribéennes à venir continuent à avancer. Si je devais avoir un invité de ma génération, je dirais Amanda Seales, Rihanna et Stefon Bristol après son troisième film. Encore une fois, je discuterais probablement de leur identité caribéenne et de ce qu’ils pensent avoir apporté à la culture caribéenne grâce à leurs accomplissements.
Votre expérience de podcasteuse
quel conseil ou astuce que vous connaissiez avant de commencer à podcaster vous a été vraiment utile ?
Grâce à mon époque de fan de K-pop, je savais déjà comment sous-titrer et monter une vidéo. Cela a rendu le montage audio plus facile.
qUELLE EST LA CHOSE QUE VOUS AURIEZ AIMé savoir avant de vous lancer dans le podcast ? Ou alors la ressource que vous auriez aimé avoir avant le lancement ?
Comment obtenir le bon matériel. En tant qu’auditrice de podcast, je sais que je n’accorde pas beaucoup d’importance à la qualité audio tant que le contenu est bon. Mais quand même, un bon micro peut rendre l’écoute plus agréable. En tant que podcasteuse, je crois qu’il est de mon devoir de créer cet espace confortable pour que l’écoute soit agréable. Cependant, je ne suis pas aussi patiente que je l’étais dans ma vingtaine pour lire des pages et des pages de tutoriels ou de reviews pour décider le matériel qui me conviendrait le mieux et à un prix abordable. Mais je suis en train de faire ce qu’il faut pour régler la question.
Qu’avez-vous appris sur vous ou sur votre public depuis que vous avez commencé ?
La pression de publier à un rythme régulier, que ce soit une fois par mois ou une fois par semaine, est réelle. Je gère mieux que ce à quoi je m’attendais. J’ai appris que mon public est silencieux mais loyal.
Décrivez votre expérience du podcasting. qUELLES SONT LES RESSOURCES DISPONIBLES ? Qu’est-ce qui pourrait rendre cette expérience meilleure ?
Podcaster m'a aidée à surmonter ce que j'appelle désormais mon traumatisme de l'université. Mon expérience universitaire a été d'être face à des gens me disant que ce que je pensais et ce que je disais ne comptaient pas parce que je viens de Guadeloupe. J'ai plus confiance en moi quand je parle de culture caribéenne aujourd'hui.
La création du Caribbean Podcast Directory [ndlt : répertoire des podcasts caribéens] était, selon moi, la ressource la plus essentielle pour le podcasting caribéen à l’heure actuelle. Nous avons quelque part où nous retrouver et nous découvrir, pour partager des astuces et trouver l’inspiration. Mais il y a un besoin d’avoir plus de diversité dans les communautés de podcast caribéen. Dans mon cas à moi, j’aurais aimé avoir une sorte de canevas sur comment gérer un podcast multilingue et comment le monétiser. D’une façon générale, je pense que notre grand défi est de transformer nos qualités, tels que l’art du récit, l’art oratoire, l’environnement multilingue et une histoire riche, en système pour développer le marché régional et qu’on soit unis sur la scène du marché international.
Si vous deviez citer un bénéfice et un défi que représentent le fait d’avoir le podcast en deux langues ?
Un bénéfice serait le fait d’apprendre à connaître des cultures caribéennes différentes et d’atteindre un public plus large. Le défi pour moi est de parler anglais. Ma prononciation me préoccupe toujours. Enregistrer est un moment de stress mais ça en vaut la peine.
Qui ou qu’est-ce qui vous a influencé/inspiré le plus à lancer un podcast ?
Mon besoin de parler de ce que j’aime. Et j’avais l’impression que blogguer n’était pas suffisant. Si j’écris, je ne peux pas crier au sujet d’un personnage comme Richard qui me fait rêver dans “The Sweetest Mango” ou je ne peux pas fulminer des heures sur ce qui m’agace dans un film comme “Guava Island”.
Quel est le premier podcast que vous avez écouté ?
Je pense que c’est Small Doses with Amanda Seales ? J’aimais vraiment le format solo qu’elle faisait jusqu’à l’année dernière.
A part votre émission, quels sont vos autres podcasts favoris ?
D’accord, mode fangirl activé.
Ceux dont j’anticipe le nouvel épisode chaque semaine : Fanm on Films, The Micheaux Mission et le SoulBack R&B Podcast.
Ceux que j’aime marathoner : The Write Women Podcast, the Caribbean Millennials, Like A Real Book Club.
Ceux de storytelling: Bronzeville, Passing Through et Harlem Queen.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le podcasting?
Parler de ma culture sans qu’on me juge. Quand l’épisode est en ligne, chaque personne est libre d’accepter mes propos comme elle le souhaite.
Qu’est-ce qui vous plaît le moins dans le podcasting ?
Je n’aime pas particulièrement faire le montage audio, mais ce que j’aime le moins, c’est le marketing : créer des visuels, publier sur les réseaux sociaux etc. Je n’ai pas les moyens de payer quelqu’un pour le faire à ma place, donc je me charge de tout pour l’instant.
Quel conseil donneriez-vous à QUELQU’UN de la caraïbe ou d’ailleurs qui souhaite se lancer dans le podcasting ?
Je donnerai le conseil traditionnel mais vraiment efficace : être sûr.e du pourquoi tu veux commencer à podcaster - c'est ce qui te motivera quand les choses n'iront pas comme tu veux. Toujours garder en tête que tes origines caribéennes sont un atout formidable et unique. Investir dans du bon matériel et trouver une façon de te lier à ton audience caribéenne multilingue.
Questions FUN
Quel est l’élément de la culture caribéenne dont vous ne pouvez pas vous passer ?
C’est un match difficile entre la nourriture et l’art… Je dirais la nourriture. Quand nous allons en vacances à l’étranger, trouver de la nourriture qui nous plaît est DIFFICILE. On se retrouve généralement avec le plan basique : sandwich ou McDonald’s. La nourriture n’a pas été un problème quand nous sommes allées à Miami. Nous avons mangé de la nourriture cubaine et haïtienne tous les jours. On avait l’impression d’être à la maison.
Partagez une anecdote sur vous
Je parle couramment anglais depuis une vingtaine d’années, mais mon voyage à Miami en 2019 était la première fois où je mettais le pied dans un pays anglophone. Il se trouve que mon niveau débutant en espagnol et en créole m’a été parfois plus utile.
Conclusion
Où pensez-vous être dans 6 mois voire un an ?
Dans 6 mois, j’espère que ma saison 3 sera prête dans les deux langues pour que je publie les épisodes de façon simultanée tout en bossant sur les autres contenus originaux que j’ai en tête. Podcaster n’est qu’un tremplin pour tout ce que je vais réaliser.
Où peut-on vous retrouver ? Site internet, coordonnées, réseaux sociaux etc.
Karukerament et Karukerament The English Version sont disponibles sur Apple Podcasts, Spotify et Anchor.
Pour lire mes chroniques littérature, musique et cinéma, vous pouvez visiter mon site karukerament.com. Le site est disponible aussi dans sa version anglophone.
Vous pouvez me contacter par mail à l’adresse karukerament@gmail.com. Je suis aussi sur Twitter et Instagram @karukerament. J’espère publier ma première novella en français et en anglais en 2021. N’hésitez pas à vous abonner à ma newsletter pour une mise à jour mensuelle de tous mes projets ! Merci !
Ndlr: pour lire cette interview en version originale en anglais, cliquez ici. Je remercie Kerry-Ann et le Caribbean Podcast Repertory pour cette publication.