#condéchallenge2021 - Capsules 11 - 14

Voici les capsules 11 à 14 du #condéchallenge de 2021 et leur transcription. Pour écouter les capsules précédentes, cliquez ici. Pour télécharger le template bingo, c’est ici.

Desirada (1997)

Secrets et mensonges, est-ce le seul héritage que sa grand-mère, Nina, et sa mère, Reynalda, vont léguer à la narratrice ? Trois femmes, trois générations séparées bien qu'unies par le sang. Enfant abandonnée, Marie-Noëlle grandit à la Désirade, jusqu'au jour où sa mère l'a fait venir en France. Mère inconnue, terre inconnue. À Savigny-sur-Orge, elle se morfond dans une cité, sans jamais trouver sa place dans cette famille, pourtant la sienne. Commence alors pour elle une douloureuse quête sur la vérité de sa naissance.Elle interroge Nina et Reynalda. Leurs aveux sont affabulés, leurs demi-vérités ajoutent au mystère, ni l'une ni l'autre n'est disposée à livrer son histoire vraie.Si déguisées soit-elle, ces confidences font apparaître des femmes libres à tout prix, en lutte contre un destin qui veut les clouer : maternités non désirées, hommes non choisis, traditions frelatées d'un pays en rupture d'histoire. Long chemin, longue peine avant que, revenue à la Désirade, Marie-Noëlle ne conclut à la vanité des hantises familiales. Et vivre devient alors sa seule vérité.À travers de puissantes figures romanesques, c'est toute l'histoire des Antilles modernes qui se déploie ici, dans une langue qui associe la concision des grands Anglo-Saxons à la verve enchantée du créole.

C’est le seul roman où Maryse Condé met le focus sur la relation mère-fille en utilisant trois générations. Dans le coeur à rire et à pleurer ou dans Victoire, la saveur des mots qui sont des récits inspirés par sa vie, elle reste toujours sur deux générations. Là on est dans une observation vraiment plus globale avec le point de vue de chacune sur les deux autres. On a donc trois Guadeloupéennes qui montrent la diversité de ce que signifie être Guadeloupéenne. Par contre, elles ont un point commun. Elles veulent être aimées. Elle montre que derrière ce stéréotype de femme forte en colère, il n’y a que les doutes, le besoin de douceur, le besoin d’être rassurée. Maryse Condé redonne aux femmes noires toute leur humanité, leur intelligence, leur sensibilité, leurs contradictions. Elle leur donne le droit d’être blessantes, d’être blessées et de ne pas s’épanouir dans leur maternité. D’une façon générale, la représentation de la maternité dans la culture caribéenne passe par cette idée de la maman toujours aigri, toujours en train de crier sur ses enfants. D’ailleurs, c’est devenu un cliché que les humoristes noirs reprennent. La figure du père, on ne s’y attaque pas autant. On peut en rire 5 minutes, mais à quel moment on se place du point de vue des mamans et de voir l’être humain qui porte le poids de la réussite ou de l’échec de ses enfants?  J’en parle dans l’épisode 2 de Karukerament avec le film bahaméen “Rain” de Maria Govan. Le mythe du potomitan fait peser une lourde responsabilité sur les épaules des mères et sur les épaules des filles parce que la société les oblige à vivre dans une forme de respectabilité où elles seront seules à gérer si elles sont confrontées à un problème. Là, on voit des femmes multidimensionnelles qui se comportent mal en certaines occasions et en assument les conséquences comme elles peuvent. Avec “Desirada”, on voit que l’instinct maternel n’existe pas, contrairement à ce que la société veut nous faire croire. Tu peux avoir la volonté d’être mère, mais ce n’est pas parce que tu es une femme que tu dois être mère. Ce n’est pas parce que tu es femme que tu seras automatiquement la mère idéale. Après, chacun sa définition de la mère idéale. Dans “Desirada”, je retiens aussi le récit de l’ascension d’une femme noire dans le milieu universitaire. Maryse Condé ne développe pas cet aspect mais comme je m’y suis brûlée les ailes, je suis consciente de la taxe mentale que Reynalda a affronté. Il y en a à dire sur le monde universitaire mais en tout cas, c’est possible d’être une femme noire et intellectuelle.

Le titre #streamcaribbean est Soley Ké Lévé de Tanya Saint-Val. J’ai choisi ce titre parce que c’est du zouk avec un message d’espoir sur le fait de continuer à avancer. Tanya Saint-Val, une de nos divas guadeloupéennes. Elle est en activité depuis aussi longtemps que je suis sur Terre. Mes premiers souvenirs d’elle datent des années 90 et je la trouvais juste magnifique. C’était la chanteuse qui assumait un côté sexy mais c’est le sexy que tu as quand tu as confiance en toi. Tanya St-Val, c’est plus de 30 ans de carrière et ce n’est pas fini.


Dans ce roman " endiablé " où les vivants et les morts se mêlent parfois amoureusement, Maryse Condé trace à l'encre rouge sang le destin de Célanire Pinceau, bébé sacrifié à sa naissance sur l'autel de la réussite politique d'un Blanc et qui n'aura pas assez de toute sa vie pour se venger du crime dont elle a été la victime.

Je ne vous redis pas mon anecdote sur Célanire Cou-Coupé que j’ai lu pour le premier prix Carbet des lycéens. Tous les détails sont dans l’épisode 0 de Karukerament Litté, je vous mettrai le lien en barre de description. C’est un roman dans le genre fantastique. Même si, je partage l’avis que le genre fantastique dans la Caraïbe est un peu le genre par défaut parce que le magico-religieux fait partie de notre quotidien… Mais là, Maryse Condé entretient bien l’atmosphère surnaturel. Il me semble qu’elle s’est même inspirée de Frankenstein. Perso, je trouve que Célanire correspond davantage au personnage de La Dyablès de notre folklore caribéen. Je le répète à qui veut l’entendre, mais pour moi, c’est symboliquement le roman qui fait passer Maryse Condé à une autre étape de sa carrière d’autrice. Son approche de la représentation de de la femme noire, de la quête d’identité, du rapport à l’Afrique, du rapport à la Guadeloupe, du rapport à la maternité, tout est dans ce roman et soit elle prend le contre-pied de ce qu’elle faisait d’habitude ou elle nuance. Célanire est la seule femme flamboyante de tous les romans de Maryse Condé pour l’instant. Non pas que les autres personnages féminins soient des basiques ou des médiocres, mais elles ont tellement peu d’amour envers elles-mêmes qu’elles se torturent à chercher une reconnaissance chez les autres. Avec Célanire, c’est la première fois où la femme se suffit à elle-même et s’affirme face aux autres sans état d’âme. Sa part de lumière est aussi forte que son côté sombre. C’est d’ailleurs le roman le plus sensuel de Maryse Condé. Je vous dis, si ça se trouve non seulement elle aurait écrit de la romance et peut-être même qu’elle aurait fait de la fiction érotique. Bref, ce que je retiens surtout avec Célanire, c’est qu’elle est le premier personnage de Maryse Condé qui choisit où elle veut vivre. Tous les personnages du 20ème siècle se laissent porter par les circonstances, ne se sentent pas à leur place en Guadeloupe mais y restent par habitude ou par obligation ou parce qu’ils n’ont nulle part d’autre où aller. Dans les romans du 21ème siècle, il ne s’agit plus de trouver sa place en Guadeloupe mais de trouver sa place dans le monde en tant que Guadeloupéen.  

Le titre #streamcaribbean est “Soukouyan” de Jeff Joseph. Jeff Joseph, grand chanteur de cadence de la Dominique. Quand j’ai découvert son existence dans les années 90, il était avec son groupe Volteface. J’ai choisi ce titre parce que je voulais quelque chose qui évoque notre folklore dans un genre musical différent du zouk et qui fasse moderne alors que l’histoire se passe au début du 20ème siècle.


La Belle Créole (2003)

Lorsque Dieudonné, jardinier de son état, sort de prison après avoir été acquitté pour le meurtre de Loraine, sa riche maîtresse békée croqueuse de jeunes hommes, il se retrouve dans une ville au bord de l'insurrection. Économie sinistrée, conflits sociaux, affrontements syndicaux et politiques, haines raciales : en 1999, Port-Mahault vit des heures difficiles. Dans cette ambiance délétère, Dieudonné, renié par sa famille et par bon nombre de ses amis, retrouve tout naturellement le chemin de sa Belle Créole, le bateau qui lui sert de refuge et de repère, vestige heureux d'un passé révolu.Dans une langue fleurie et baroque, Maryse Condé livre peu à peu les clés de ce mystérieux personnage frappé du sceau du malheur, figure tragique d'une histoire d'amour passionnelle. Dans une nature luxuriante, elle met en scène des personnages au grand cœur et aux nobles idéaux. Loin de tout cliché exotique, La Belle Créole peint dans une tonalité sombre le destin d'un grand héros romantique.

Maryse Condé n’avait pas écrit sur un basique depuis Les derniers rois mages sorti en 1992. Dieudonné, c’est l’archétype du basique. Il a connu la misère, n’a pas réussi à l’école et mène une vie sans but jusqu’à ce qu’il rencontre Loraine. Bon, c’est la première fois où Maryse Condé s’attaque réellement à la dynamique entre un homme noir et une femme blanche. Je ne qualifierai pas la relation d’histoire d’amour passionnelle… Il est dévoué corps et âme à Loraine, elle fait littéralement ce qu’elle veut de lui donc parler d’histoire d’amour dans un rapport aussi déséquilibré… Je trouve que c’est un peu beaucoup s’avancer quand même. En tout cas, on voit bien la déshumanisation dont Dieudonné est victime. Il est en conscient mais il n’arrive pas à voir la situation avec une autre perspective. Et il n’y arrive pas parce qu’il n’a pas les outils intellectuels pour le faire. Et à défaut de faire appel à son intellect, il aurait pu faire appel à son amour propre mais comme il n’en a pas non plus… Et là, Maryse Condé va vraiment à l’encontre du stéréotype de l’homme noir, viril. De l’extérieur, Dieudonné est un cliché ambulant mais à l’intérieur, il n’est que fragilité et blessures, ce qu’on voit rarement représenté avec un personnage d’homme noir. Vous voyez quasiment à chaque roman, je vous dis, c’est la première fois… C’est juste pour vous montrer comment Maryse Condé a réussi à rester prolifique sur une vingtaine d’années sans tourner en rond.

Ce que je retiens ici c’est la représentation de l’homosexualité masculine. J’insiste sur l’adjectif masculine parce que Maryse Condé n’a jamais stigmatisé les relations lesbiennes. Elle les présente comme des relations à part entière. Par contre, sa représentation de l’homosexualité masculine chez Maryse Condé est problématique. J’en parlerais dans la dernière capsule.  Ce que je retiens avec La Belle Créole, c’est vraiment la mise en scène de la dynamique de pouvoir entre homme noir et femme blanche mais aussi la représentation d’un homme noir vulnérable et fragile malgré son apparence d’homme fort. Mais il reste un basique. Sorry not sorry. Ou alors on dira que c’est un antihéros si on veut rester dans le langage académique. Ah, et bien évidemment, le point de départ de l’histoire m’a évidemment rappelé l’affaire Omar Rada, qui a été une des grosses sagas judiciaires en France dans les années 90 et qui n’est pas fini d’ailleurs parce qu’il a demandé une réouverture du dossier pour que son innocence soit prouvée. 

Le titre #streamcaribbean est “Tou Sèl” de Gilles Floro. Gilles Floro, c’est mon chanteur de zouk préféré. C’est le premier chanteur qui m’a fait vivre mes premières émotions de fan. Il a joué un grand rôle dans mon appréhension du créole et il m’inspire encore aujourd’hui. Cette chanson, c’est une sorte de cri de la solitude même quand on est entouré, même quand on est en couple. Je l’adore. Retrouvez le titre dans ma playlist Spotify, je vous mets le lien dans la barre de description. On se retrouve dans le prochain épisode pour parler de Histoire de la femme cannibale.


Histoire de la femme cannibale (2005)

«- Est-ce que vous n'allez pas retourner chez vous ?Chez moi ? Si seulement je savais où c'est. Oui, le hasard m'a fait naître à la Guadeloupe. Mais, dans ma famille, personne ne veut de moi. À part cela, j'ai vécu en France. Un homme m'a emmenée puis larguée dans un pays d'Afrique. De là, un autre m'a emmenée aux États-Unis, puis ramenée en Afrique pour m'y larguer à présent, lui aussi, au Cap. Ah, j'oubliais, j'ai aussi vécu au Japon. Cela fait une belle charade, pas vrai ? Non, mon seul pays, c'était Stephen. Là où il est, je reste.» La disparition de Stephen, assassiné dans une rue du Cap, est le dernier coup du sort pour Rosélie Thibaudin... Un drame qui la frappe de plein fouet, mettant un terme brutal à vingt ans d'un bonheur apparemment tranquille. Exilée, étrangère dans tous les pays, Rosélie devra réapprendre à vivre seule dans une Afrique du Sud berceau de tous les racismes.Dans un style flamboyant et vigoureux, Maryse Condé livre un réquisitoire passionné contre le racisme et la ségrégation.

A l’âge où je suis, c’est le roman de Maryse Condé qui me parle le plus alors que c’est celui au titre le plus inquiétant. Quand tu entends parler de cannibale, en plus par rapport à une femme, honnêtement c’est la lecture que je redoutais. Donc je vous le dis, lisez sans crainte. C’est l’histoire d’une artiste qui oublie pourquoi elle crée et retrouve sa passion en même temps qu’elle reprend son destin en mains. Je crois que je l’ai déjà dit dans une capsule précédente, mais les personnages féminins de Maryse Condé sont généralement brillants mais vivent dans un tourment permanent donc ces personnages ne se valorisent pas eux-mêmes, c’est le cas de Rosélie. Maryse Condé nous prend par la main et nous montre comment Rosélie s’est retrouvé là , comment elle prend conscience et ensuite tout le chemin qu’elle parcourt pour retrouver qui elle est. Et devinez quelle est l’une des raisons pour lesquelles elle a végété… Son compagnon, bien sûr. C’est un couple mixte: femme noire - homme blanc. Maryse Condé écrit quelques scènes montrant la dynamique toxique qui peut exister dans un couple femme noire/homme blanc… Et comme avec Célanire, on a un personnage féminin qui établit une connexion avec l’Afrique et n’est pas dans le rejet. J’aurais d’autres choses à dire mais ce serait vraiment trop spoiler. Ce que je retiens, c’est qu’avec Rosélie on a de nouveau un personnage qui fait le choix de rester éloignée de la Guadeloupe et trouve malgré tout sa place dans un autre pays. 

Le titre #streamcaribbean est “For Love” de Tanya Saint-Val. Je l’ai choisi parce que ce titre exprime bien ce à quoi une femme du 21ème siècle veut aspirer: de la douceur, de la tendresse. Et pas uniquement de la part des autres, mais qu’elle soit capable d’avoir cet amour pour elle-même. 

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