#condéchallenge 2021 - Capsules 1 - 5
Voici les capsules 1 à 5 du #condéchallenge de 2021. Vous pouvez lire la transcription des épisodes. Pour télécharger le template bingo, c’est ici.
Une Saison à Rihata (1981)
Une ancienne ville coloniale abandonnée à sa torpeur, que traverse un fleuve boueux: Rihata. Une grande maison délabrée, au jardin envahi d'herbes de Guinée, et ses occupants: Marie-Hélène, Antillaise déracinée, Zek, son mari, directeur régional de la Banque autonome pour le développement, et leurs enfants. Marie-Hélène a connu Zek à Paris, où ils étaient tous deux étudiants. Elle l'a épousé et l'a suivi en Afrique dans cette République noire gouvernée par un tyran. À N'Daru, la capitale, un drame a marqué le couple. Puis Marie-Hélène a follement aimé le frère cadet de Zek, Madou. Dans ces conditions, l'installation à Rihata a pris l'allure d'une fuite. Marie-Hélène, insatisfaite, blessée et blessante, confrontée à un milieu clos pour lequel elle reste "l'étrangère", est sur le point de se résigner à vieillir quand Madou reparaît, ministre en mission. Avec lui renaissent la tentation d'exister et l'espoir d'un autre horizon...
Bon, faut savoir que j’adore les soap operas à la base. Et “Une Saison à Rihata”, c’est un véritable soap opéra comme j’aime. Le mari qui reconnaît un fils qui n’est pas de lui. L’épouse et le beau-frère amoureux, mais genre le véritable amour. Franchement si Maryse Condé n’avait pas eu un premier amour aussi tragique, je me dis qu’elle aurait peut-être écrit de la romance. Ses premiers romans ne te montrent que le côté toxique qu’on donne à l’amour. Alors si elle avait mis son énergie créatrice au service d’une représentation d’un amour heureux… Je pense sincèrement que notre société se porterait mieux. Chez Maryse Condé, la majorité des personnages amoureux sont toxiques. D’ailleurs en reprenant mes notes, je me suis posée la question: le personnage de Madou est-il le seul homme noir amoureux non toxique de la bibliographie de Maryse Condé ? Après, au vu des personnages masculins après le roman Célanire Cou-Coupé, j’affinerais la question: Madou est-il le seul homme noir amoureux non toxique et qui soit désirable? Là je dirais, oui. Madou est d’une telle vulnérabilité face à Marie-Hélène alors qu’il est un homme de pouvoir. Bref, ce qui m’a fait aussi réfléchir, c’est bien sûr la représentation de l’Afrique. Maryse Condé a une relation compliquée avec le continent. On comprend pourquoi surtout dans les romans autobiographiques. Mais même si ses personnages antillais se sentent toujours rejetés en Afrique, elle ne se permet pas de blâmer les locaux. Et je trouve que cette représentation est d’autant plus nuancée à partir de 2000 avec Célanire Cou-Coupé. A partir de là, ses personnages féminins antillais continuent une quête d’identité intérieure mais arrivent à établir une connexion réelle avec l’Afrique.
Le titre #streamcaribbean est For Blues interprété au piano par Alain Jean-Marie, un des plus grands pianistes de l’histoire musicale française. Une légende vivante du jazz…
Moi Tituba sorcière (1986)
Fille de l'esclave Abena violée par un marin anglais à bord d'un vaisseau négrier, Tituba, née à la Barbade, est initiée aux pouvoirs surnaturels par Man Yaya, guérisseuse et faiseuse de sorts. Son mariage avec John Indien l'entraîne à Boston, puis au village de Salem au service du pasteur Parris. C'est dans l'atmosphère hystérique de cette petite communauté puritaine qu'a lieu le célèbre procès des sorcières de Salem en 1692. Tituba est arrêtée, oubliée dans sa prison jusqu'à l'amnistie générale qui survient deux ans plus tard. Là s'arrête l'histoire. Maryse Condé la réhabilite, l'arrache à cet oubli auquel elle avait été condamnée et, pour finir, la ramène à son pays natal, la Barbade au temps des Nègres marrons et des premières révoltes d'esclaves.
Avec Ségou, je crois que c’est LE roman de Maryse Condé qui est toujours cité. Personnellement, je le mets à part dans son oeuvre parce que le personnage principal n’est pas originaire de Guadeloupe. A part Haïti chérie et Ségou, le personnage principal des romans de Maryse est toujours Guadeloupéen. Alors bien sûr, cette origine guadeloupéenne prend des formes différentes parce que Maryse Condé prend en compte les différents mouvements de circulation de population surtout dans les années 90 et 2000. Mais au final, la Guadeloupe reste toujours un point de repère. Moi, Tituba sorcière, je l’ai lu la 1ère fois au collège. Il ne m’avait pas marqué plus que ça. Je l’ai relu vers la fin de ma vingtaine. Pareil, j’ai apprécié l’écriture mais je n’ai rien trouvé de transcendant. Je trouvais Tituba pénible et je ne la comprenais pas. Tu es libre, tu es consciente de l’avantage que c’est dans cette société mais tu acceptes de te remettre en esclavage pour un homme qui n’est même pas un homme descent. Et puis quand je l’ai relu en 2018, j’ai commencé à comprendre mais je n’arrivais toujours pas à verbaliser ce que je voyais chez Tituba. Et après avoir lu les réactions des femmes noires qui disaient s’identifier au personnage de Queenie de Candice Carty-Williams, j’ai compris. Pour moi, Tituba, c’est l’expérience d’une jeune femme noire désirable qui navigue dans des espaces blancs.
Queenie, c’est un exemple des dégâts du racisme intériorisé chez les jeunes femmes noires. Elles sont capables d’analyser les actes racistes dont elles sont victimes au quotidien mais elles ne s’aiment pas suffisamment pour renoncer aux hommes qui les maltraitent. Ce que je trouve insultant dans Queenie, c’est qu’aucun personnage ne dénonce clairement le comportement de ces hommes. Et Queenie ne dénonce jamais le comportement raciste de son ex petit-ami blanc. Mais pas dans Tituba. Elle sait qu’elle a un comportement autodesctructeur mais en même temps, quel autre choix de vie a–t-elle? Même si elle aurait voulu nier son autosabotage, le personnage de sa grand-mère la rappelle systématiquement à l’ordre. Ses choix sont guidés par l’envie d’être aimée, le sentiment le plus humain au monde. Et une fois que j’ai compris ça, j’ai arrêté d’avoir cette vision négative de Tituba. Mais encore une fois, quand on se met dans le contexte de son époque, quelle perspective de vie avait-elle ? Par contre pour 2022, j’espère vraiment que les femmes noires vont laisser cette toxicité en 2021 et se remettre en priorité de leur vie. Après c’est mon interprétation à l’âge où je suis. Il y a aussi cette particularité avec le personnage de Tituba, c’est qu’on la suit à des âges différents donc je pense que c’est le genre de roman où tu trouveras quelque chose de nouveau à chaque fois que tu le relis.
Le titre #streamcaribbean est “Doudou pa pléré” interprété par Manuela Pioche et accompagné au piano d’Alain Jean-Marie. J’aimerais trop voir un biopic sur ces deux artistes. Ceci dit Manuela Pioche a déjà reçu une forme d’hommage grâce au spectacle de Florence Naprix Dans la peau de Mano.
Haïti Chérie (1987)
Rose-Aimée a treize ans. Elle aime son village et ses parents. Pourtant, la misère l'oblige à partir à la ville où elle est placée comme domestique chez une riche patronne. Des événements dramatiques l'y attendent. Fraternité contre méchanceté. Courage contre cruauté. Rose-Aimée réussira-t-elle, à quitter l'île et ce terrible univers ?
Le roman est commercialisé sous le nom de Rêves Amers depuis le milieu des années 90, je crois. Je sais que j’ai lu l’édition “Haïtie Chérie” quand j’étais en 6ème. C’est un roman jeunesse mais il est dur. C’était une lecture obligatoire au collège. Je me rappelle avoir détesté le livre tellement ça me faisait mal de lire l’histoire de Rose-Aimée. Mais je pense que c’est parce que c’est une Haïtienne donc je m’identifais plus que si ça avait été une petite Européenne par exemple. C’est un récit d’enfance sur une île décriée. Comme d’habitude, Maryse Condé raconte la souffrance avec une poésie délicate. Elle confronte l’innocence de l’enfance à la réalité cruelle… Et le pire, c’est que tu te dis qu’elle a écrit ça fin des années 80. On est en 2021. Rien n’a changé. Je vous invite à écouter mon épisode de podcast n°4 sur le film haïtien “Barikad” de Richard Sénécal qui montre justement les différentes dynamiques sociales dans le pays. Le personnage principal de Barikad est une Rose-Aimée version adolescente. Après, en terme de représentation, je ne pense pas qu’on doit considérer cet ouvrage comme une représentation réaliste. C’est le regard de Maryse Condé qui n’est pas Haïtienne donc bon… Je sais qu’à l’époque je m’étais demandé d’où elle prenait la légitimité pour traiter d’un thème aussi dur dont elle n’a pas fait l’expérience. Et c’est dans ce genre de situation où on tombe dans le débat: est-ce que tu écris sur tes expériences ou sur des choses dont tu ne connais rien? Si on se limitait à écrire que ce qu’on connaît, est-ce qu’il y aurait des genres tels que les thrillers, l’horreur, le fantastique ? Donc je ne rentre pas dans le débat, je pense qu’elle était sincère dans sa démarche et ce sont les Haïtiens qui pourront débattre sur le côté réaliste ou pas.
Le titre #streamcaribbean est Tèt Kolé d’Arnaud Dolmen. Arnaud Dolmen, batteur guadeloupéen qui fait partie des meneurs du jazz caribéen actuellement. J’ai dit ce que j’ai dit. J’ai eu un coup de coeur pour son 1er album “Tonbé Lévé” et le titre Tèt Kolé est un hommage à Haïti. Il y a une telle douceur et une telle élégance dans cette chanson. Vraiment, allez l’écouter.
La vie scélérate (1987)
Dans son nouveau roman, Maryse Condé nous conduit des rives de la Guadeloupe à la boue de Panama, du Chinatown de San Francisco aux maisons hautes et basses de La Pointe, racontant avec tendresse et humour l'ascension sociale de toute une famille. Des destins se succèdent et s'entremêlent: celui de l'aïeul Albert I, qui partit creuser le canal de Panama, et de ses fils: Jacob, boutiquier barricadé dans la geôle de ses caisses de morue salée et de ses fûts d'huile, dont il ne s'évada qu'une fois pour s'enivrer des senteurs de New York; Jean, rebelle qui revint vers la terre pour la fertiliser de son sang; de sa petite-fille Thécla qui, lasse d'errer à la poursuite du bonheur collectif, d'Haïti à la Jamaïque, finit par se réfugier égoïstement de l'autre côté du monde, et de son premier-né surtout, Albert II dit Bert, le fils de la négresse anglaise, initiateur d'une lignée maudite en pays d'exil.
J’ai lu les romans de Maryse Condé dans l’ordre chronologique et La Vie scélérate, c’est vraiment le premier coup de coeur que j’ai eu. Déjà c’est un format saga familiale. On suit trois générations de la même famille. J’aime quand les histoires se développent sur plusieurs décennies parce que ça permet de voir les changements de la société et comment les personnages s’adaptent. Dans La Vie Scélérate, il y a d’importants éléments historiques sur la Guadeloupe du début du XXe siècle que tout le monde devrait connaître. Surtout la première phase de la vie d’Albert I qui fait partie des Antillais qui ont participé à la construction du canal de Panama. On est vraiment dans le quotidien de cette communauté qui se reconstruit à l’étranger. Ce que j’ai apprécié aussi, c’est la mise en scène du cheminement d’Albert qui prend conscience de son identité noire et du système capitaliste. S’il ne faut retenir qu’un seul livre de Maryse Condé pour comprendre la société guadeloupéenne, c’est celui-là parce qu’elle décrit la naissance de la petite bourgeoisie. Je trouve que c’est une bonne introduction pour comprendre les problèmes identitaires qui en découlent parce que la petite bourgeoisie noire se crée en exploitant les autres Noirs. Et c’est ça le dilemme d’Albert. Plus il prend conscience de sa condition noire en devenant fan de Marcus Garvey, plus il est en lutte avec l’homme riche qu’il est devenu. Et ses enfants, chacun à sa façon, incarne ce paradoxe et cette forme de culpabilité d’avoir une position sociale assez confortable sans en retirer une quelconque satisfaction vu la façon dont elle est acquise. C’est aussi avec son roman qu’on voit un premier exemple de storytelling plaçant la Guadeloupe au centre alors que ses personnages partent à la découverte du monde.
Le titre #streamcaribbean est Guadeloupe An Nou interprété par Manuela Pioche accompagnée au piano d’Alain Jean-Marie. Je ne refais pas leur présentation.
Heremakhonon (En attendant le bonheur) 1976
Inspiré par les tragiques événements de 1962, dans la Guinée de Sékou Touré, Heremakhonon (expression signifiant "Attends le bonheur") est l'histoire d'une désillusion. Véronica est une Guadeloupéenne un peu perdue en quête d'identité. Partie à la recherche du passé africain, elle ne trouve que pauvreté, dictature et bourgeoisie corrompue. Ses démêlés sentimentaux traduisent bien son désenchantement. En choisissant d'aimer Ibrahima Sory, son "nègre avec aïeux" aux manières princières, Véronica s'aperçoit peu à peu qu'elle s'est trompée de camp. En réalité, Ibrahima a les mains sales du sang de son ami Saliou. Et c'est pour ne pas avoir à choisir entre l'amour et l'amitié, entre deux visions de l'Afrique, que Véronica choisit la fuite...
Si j’ai bien compris, c’est le premier roman publié de Maryse Condé. Il a fait un flop et quand ses bouquins suivants ont eu du succès, Heremakhonon a été réédité mais avec la traduction française. En attendant le bonheur. Apparemment, le titre, entre autre était un frein. Je pense que Maryse Condé a dû batailler pour garder son titre en langue originale pour la première publication. Même avant de lire sa thèse, je me posais la question de mes titres. Sachant que je vise un public anglophone et que je fais mes traductions moi-même pour l’instant. Non mais même ça, Maryse Condé a trouvé le bon plan. C’est son mari qui lui fait ses traductions, c’est ce qu’il me faut. Bref, je disais donc, pour montrer que mes romans sont guadeloupéens, j’ai décidé que mes titres seraient en créole et anglais au début et après, il n’y aura que du créole. Et c’est ce que j’ai fait. J’ai publié Love Mwen. J’ai publié Nwè Love et la 3ème publication sera “Viré”. Ca me convient et je trouve que ça reflète exactement l’image que je veux. Donc de ce que je retiens de Heremakhonon, c’est surtout ce qui s’est passé autour et la démarche de l’écrivain. Certes, Veronica, le personnage principal, est Guadeloupéenne mais elle a décidé de vivre en Afrique et elle partage ses difficultés à s’intégrer, à comprendre que le pays où elle est a une culture à part entière dont elle n’a pas les codes. Même si elle est Noire. Par rapport au style d’écriture, c’est vrai que ce n’est pas la légereté ni la poésie de ses romans suivants, mais elle pose déjà les vraies questions : qu’est-ce qu’être Noir dans la société du 20ème siècle ?
Le titre #streamcaribbean est Africa Unite de Bob Marley and the Wailers. Du point de vue des Antilles, je pense qu’on a longtemps été bercé par ce mythe du retour sur le continent sauf que le continent est composé de pays différents, chacun avec sa culture. Et je pense que pour réussir à s’intégrer dans un pays africain quand on est Antillais, il faut déjà être conscient et aimé sa propre identité et il faut surtout se débarrasser de son regard occidental pour apprécier la culture et l’histoire du pays à sa juste valeur. Je vous recommande le film “Ô Madiana” de Constant Gros-Dubois qui montre des personnages martiniquais à Paris essayant justement de s’intégrer à une communauté d’Africains et qui en deviennent caricaturaux. Et je vous recommande le récent film de Christian Lara “Yafa le pardon” qui remet à plat cette question des relations Caraïbe - Afrique.
Sinon dans la bibliographie de Maryse Condé, il n’y a qu’à partir de 2000 que ses personnages féminins antillais arrivent à vivre sereinement dans un pays africain… Certainement qu’en vieillissant, sa vision de la dynamique Caraïbe-Afrique a changé.