Karukerament - Litté - 0

Yé Moun La ! Voici l'épisode 0 de Karukerament Litté, un spin-off littérature de Karukerament.

Générique : "Siziem Kontinan" de Meemee Nelzy

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Transcription

Yé Moun La, vous écoutez Karukerament Litté, mon podcast sur la littérature avec des personnages noirs. Je m’appelle Patra. Avec Karukerament Litté, je vous présente un roman qui m’a fait réfléchir sur mon identité de femme noire, afrocaribéenne, guadeloupéenne et française. Bienvenue dans ma bibliothèque numérique.

[Générique]

Bienvenue, bienvenue dans l'épisode 0 de Karukerament Litté. Litté pour littérature. Vous avez vu j’ai même changé le générique pour ce spin-off. C’est Sixième continent de MeeMee Nelzy, extrait de son mini-album Deeply Rooted. Si vous ne connaissez pas MeeMee Nelzy, allez l’écouter. Si vous la connaissez, continuez de l’écouter #streamcaribbean. De toute façon, elle sera à l’honneur dans mon prochain cycle de #mercrediavec à suivre sur mon Instagram cet été. L’année dernière j’avais décortiqué la discographie de Lorenz baby. Cette année, je voulais rendre hommage à une chanteuse. Donc ce sera Meemee Nelzy. Je lui avais demandé l’autorisation pour utiliser ce titre il y a bientôt 2 ans. A l’époque, c’était pour Karukerament EV, la version anglophone du podcast. Et puis finalement j’ai changé mes rubriques donc je l’avais laissé de côté jusqu’à aujourd’hui. Je voulais un générique différent pour bien distinguer Karukerament et Karukerament Litté donc voilà. Dès que vous entendrez ça, vous saurez qu’on parle littérature.

Alors avant de commencer. Peut-être que c’est la première fois que vous m’écoutez donc déjà merci d’avoir cliqué et je vais me présenter. Je m'appelle Patra. En 2016, j'ai ouvert le blog myinsaeng.com. My insaeng signifie littéralement ma vie. À la base il me servait à partager mes réflexions sur mes expériences de femme noire afro caribéenne guadeloupéenne française et de proposer mon analyse sur des séries, des films, tout ce qui est pop culture noire américaine et pop culture sud coréenne. Au fil des années, j'ai affiné avec du contenu plus caribéen au point où j'ai fini par créer en 2019 le podcast Karukerament, dédié à la représentation de la Caraïbe au cinéma et à la télévision. Après j’ai créé karukerament.com où vous pouvez retrouver tous les épisodes du podcast et je propose aussi des interviews d'artistes et des chroniques sur le cinéma, la musique et la littérature de la Caraïbe. Et parler de littérature me tient à cœur parce que je reviens de loin. Quand j’étais enfant/adolescente, je dévorais les livres. Je suis le cliché vivant de la fille qui passait son temps au CDI. Et puis après j’ai fait une prépa, j’ai lu ou relu les grands classiques de la littérature française de France et j’ai fait une overdose de littérature. Pendant mes dix années d’études supérieures, je n’ai plus lu de fiction, à part quelques romans anglophones. Oui, dix ans, c’est long j’ai fait un Master d’Histoire contemporaine, une licence de coréen et j’avais commencé une thèse d’histoire qui est en pause à durée indéterminée pour l’instant. Donc j’ai passé littéralement ma vingtaine à étudier. Ce qui nous amène à 2015, l'année la plus sombre de ma vie. J’ai décidé de reprendre ma vie en mains. J’ai fait la liste des choses qui me rendent heureuse. La liste était courte : manger, danser, écrire, lire, fangirler. Manger et danser, cela a été facile à faire. J’ai aussi pris conscience que mes 20 ans étaient loin derrière moi. Écrire et fangirler, je l’ai fait en ouvrant mon blog myinsaeng.com.

Lire est la dernière action que j’ai mise en place parce que je savais que j’avais envie de lire, mais je ne savais pas quoi lire. Si vous souhaitez entendre tout mon cheminement, je vous invite à écouter l’épisode 33 du podcast Jamais Sans Mon Livre de Dialna que j’ai enregistré en 2019. J’étais arrivée à un stade de ma vie où j’avais besoin de renouer avec la littérature de chez moi. Et en fait je dis renouer mais c’est plus nouer un lien. Depuis 3 ans j’ai retrouvé le goût à la lecture. Je prends plaisir à lire de la fiction où les femmes sont au centre du récit, des femmes noires. Et ça fait du bien. J’aurais voulu garder une trace de tout ça sauf que faire le podcast Karukerament en français et en anglais et la section musique de karukerament.com me demandent déjà beaucoup de temps. En plus, je me suis moi-même remise à écrire de la fiction, de la romance contemporaine, moi j’appelle ça de la Gwadaromance, c’est de la romance qui se passe en Guadeloupe. Donc franchement je n’avais pas la motivation d’écrire des chroniques littéraires sur d’autres livres. J’ai un peu tenté sur Bookstagram, sur mon Instagram perso @ladyinsaeng. Tous les mois je poste le bilan de mes lectures, mais je trouve le format limité quand j’ai vraiment envie de prendre mon temps pour parler d’un livre en particulier. En plus sur Instagram, le formatage de texte est aléatoire. Donc je me suis dit que ce serait sympa de le faire sous format Podcast court. Et quand je dis court, c’est vraiment court. Ce sera inférieur à 10 minutes. Ceux qui ont l’habitude de m’écouter sur Karukerament, vous savez. Ne vous mettez pas à rire, je vais me canaliser. Vous verrez. Ceci étant dit, ma ligne éditoriale reste similaire à celle de Karukerament. Je vais vous parler de mes interrogations sur mon identité. Par contre, dans Karukerament, j’essaye vraiment d’être dans une démarche comparative quand je parle de films caribéens. Pour Karukerament Litté, je vais juste utiliser une ou deux citations du roman et vous parlez de mes émotions. Donc ce sera vraiment la subjectivité la plus totale. La publication des épisodes sera spontanée au fil de mes lectures et se fera quand Karukerament est en pause. Pour ne pas rater les mises à jour, abonnez-vous à ma newsletter et suivez-moi sur les réseaux sociaux @karukerament sur Instagram, Twitter et Facebook. Tout sera dans la barre de description de l’épisode alors abonnez-vous maintenant. Ceci étant dit, je peux déjà vous dire que le premier épisode sera mis en ligne le 27 avril. Je vais vous parler de mon #condéchallenge, un défi lecture de la bibliographie de Maryse Condé que j’ai commencé en janvier 2021. Je crois que j’ai entendu parler de Maryse Condé toute ma vie, mais en même temps j’ai toujours eu l’impression que je ne connaissais pas sa littérature. Et là je me dis que dans ma vie de lectrice et d’autrice, il y aura un avant MC et un après MC. Sa littérature éclaire tout ce qui me pose problème dans la littérature guadeloupéenne contemporaine et elle m’aide à trouver des réponses aux questions auxquelles toute autrice et auteur de la Caraïbe doit se confronter, à mon avis. Rendez-vous le 27 avril pour discuter de sa thèse Stéréotype du Noir dans la littérature antillaise Guadeloupe-Martinique. Et si vous souhaitez une petite storytime de la fois où j’ai pris conscience que Maryse Condé n’était pas honorée en Guadeloupe comme elle devrait l’être, restez après le générique de fin.

Merci d’avoir écouté cet épisode. La transcription complète sera disponible sur karukerament.com. Pour suivre mon actualité, abonnez-vous à ma newsletter et vous pouvez me suivre sur les réseaux sociaux @karukerament. Vous pouvez utiliser le #condéchallenge pour partager vos impressions sur vos lectures de Maryse Condé. Je suis curieuse d’entendre vos avis. Rendez-vous à la prochaine page de Karukerament Litté. Adan on dot solèy. Kenbé rèd.

[Générique]

On est au début des années 2000, je suis dans le jury du 1er Prix Carbet des lycéens. Ca fait 20 ans, y'a prescription sur la confidentialité autour des délibérations. Dans la sélection, il y avait Le cri des oiseaux fous de Dany Laferrière et Célanire Cou-Coupé de Maryse Condé. Dany Laferrière a fait quasi l'unanimité et je comprends parce que ce roman est vraiment beau. J'ai aussi une story time avec Dany Laferrière mais ça sera pour un autre jour. Donc on est genre une vingtaine/trentaine de représentants de leur lycée. On discute un roman l’un après l’autre. Il y avait de bons débats. Mais quand il a fallu parler de Célanire Cou-Coupé, j’ai eu un choc parce que quasiment personne ne l’a lu. Je rappelle que nous sommes en Guadeloupe, Maryse Condé est une autrice guadeloupéenne reconnue au niveau mondial et  Célanire Cou-Coupé. Mais la majorité des élèves ne l’a pas mise en priorité de lecture. Quand ils nous ont donné la sélection, franchement on n’avait pas beaucoup de temps pour tout lire. Genre une vingtaine de livres à lire. J’ai sélectionné. Je suis allée à ce qui me paraissait pour moi le plus rapide. Et le Cri des oiseaux fous pour moi, franchement, c’était à la fin de la liste. Bref. Et du coup le débat sur le roman a dû durer 2 minutes puisque quasiment personne ne l’avait lu et j’ai même entendu une réflexion, je pense que c’était un gars, qui a dit “non mais c’est bon, Maryse Condé gagne toujours". Et cette phrase, cette intonation, je ne sais pas si c’est de la lassittude, je ne sais pas comment décrire cet intonation. En tout cas, pour moi, 'c’est ça le sentiment autour de Maryse Condé en Guadeloupe. On sait qu'elle est excellente depuis des décennies. On sait qu'elle est reconnue à l'internationale, mais elle n'entre pas dans le  cercle des artistes qu'on porte au firmament juste par orgueil patriotique. On va parler de Kassav. Même les personnes qui ne supportent pas le zouk ne vont pas oser critiquer Kassav ou se permettre de dire des choses contre Kassav. Par contre, Maryse Condé, ce n’est même pas qu’on dit des choses contre elle. On ne parle pas d’elle. Par contre, on va célébrer Simone Schwartz-Bart ou Gisèle Pineau. D’ailleurs, moi j’adore Gisèle Pineau, je suis toujours la première à la citer. Mais Maryse Condé, y’a cette impression qu’on parle beaucoup d’elle mais en fait non. On ne dit rien sur elle. J’ai l’impression qu’on ne lui laisse même pas une chance de briller chez elle. Franchement à cette époque-là, je n'avais lu que 3 romans de Maryse Condé : Rêves amers, Hugo le terrible, parce que c’étaient des lectures imposées dans ma scolarité, et Moi Tituba. Célanire Cou-Coupé, c’était mon 4ème roman de Maryse Condé. Et j'ai du mal à croire que les adolescents autour de moi ce jour-là avaient une expérience de lecture tellement vaste pour se permettre de dire, de ne pas lire Maryse Condé et de déclarer "c'est bon elle a déjà suffisamment gagné".

Certes, elle avait déjà reçu de nombreux prix avant 2000 et elle en a reçu après mais je ne comprends pas comment en ayant une autrice avec son talent et un tel rayonnement international, notre réaction n’est pas de tenter de la soutenir dès que possible ou en tout cas de la soumettre au niveau d’exigence standard plutôt que de la mettre à part d’entrée de jeu. Je me demande pourquoi l’industrie de la littérature guadeloupéenne n’est pas plus développée. D’un côté, y’a l’aspect structurel, les maisons d’édition blabla bref. Je ne rentre pas dans le débat, c’est une perte d’énergie pour moi en 2021. Il faut en parler, mais moi je ne vais pas en parler, ça ne m’intéresse pas. Je parle juste du fait d’être décomplexé par rapport à l’écriture. Quand on a une autrice comme Maryse Condé qui a inspiré des centaines d’artistes à travers le monde, pourquoi n’y a-t-il pas eu plus d’auteurs et d’autrices qui ont émergé dans son sillage ? Et là je parle spécifiquement pour la Guadeloupe. La littérature martiniquaise a sa propre histoire, ce n’est pas mon propos ici. Dans la littérature guadeloupéenne, qu’est-ce qui fait que Maryse Condé soit à un tel niveau de reconnaissance internationale et pourtant sa bibliographie n’est pas décortiquée, n’est pas débattue ? Franchement, je suis choquée que son œuvre ne fasse pas l’objet de plus de thèses, par exemple. Elle est souvent utilisée dans une démarche comparative, quand on va parler de femmes noires, quand on va parler de récits autour de la quête identitaire, mais son œuvre est tellement riche et diverse qu’elle mérite d’être étudiée en elle-même comme la littérature d’Aimé Césaire, comme la littérature d’Edouard Glissant. Eux, ils ont des tas de thèses qui leur sont dédiées. Maryse Condé, ou en tout cas de ce que je vois en France, je ne connais pas pour… Si en plus c’est dans les autres pays qu’on fait des thèses sur elle, mais voilà. En tout cas, en France, parmi toutes les thèses qui sont déclarées, je crois qu’on peut compter sur les doigts d’une main celles qui sont vraiment centrées sur son oeuvre à elle et pas de façon comparative. Bref, c’est mon constat. Mon ambition avec le condé challenge, ce n’est pas de vous raconter “elle a dit ça, elle a dit ça”, de décortiquer de cette façon. Non moi, mon seul objectif est de partager mon exploration de sa bibliographie. Je veux pouvoir dire pourquoi j’aime ou je n’aime pas tel roman. Ce n’est pas pour faire genre, je vais critiquer Maryse Condé, juste pour le plaisir de critiquer parce que c’est Maryse Condé. Ce n’est pas non plus exprès pour l’encenser, même si sa littérature est géniale. Elle est géniale, mais ce n’est pas pour autant que je vais dire que j’adore. Donc je vais vous expliquer au fur et à mesure pourquoi, mais je veux pouvoir dire “voilà, c’est mon opinion à moi”. Je n’ai pas envie de me reposer sur un tel m’a dit que, un tel a dit ceci. C’est vraiment mon avis à moi.

Préparez-vous donc pour le Karukerament Litté spécial condéchallenge. On va rire, non, on ne va pas rire… Maryse Condé écrit sur des thèmes déprimants, nécessaires mais déprimants. Elle a une façon d’écrire qui me fait rire parce qu’elle écrit des punchlines… Mais je ris parce que je me dis elle ose, elle ose dire ces vérités sur nous, sur ces vérités qui sont parfois désagréables à entendre. Sur ce point-là, je suis en admiration sur sa capacité à être aussi directe tout en utilisant des métaphores magnifiques pour décrire des choses horribles. Donc non, je ne peux pas vous garantir qu’on va rire. Mais on va réfléchir sur la nature humaine et sur l’histoire du monde, mais aussi sur la représentation et le rôle de l’artiste littéraire.