Karukerament - Litté - 1
Yé Moun La ! Voici l'épisode 0 de Karukerament Litté, un spin-off littérature de Karukerament.
Générique : "Siziem Kontinan" de Meemee Nelzy
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Transcription
Yé Moun La, vous écoutez Karukerament Litté, mon podcast sur la littérature écrite avec des personnages noirs. Avec Karukerament Litté, je vous présente une oeuvre littéraire qui m’a fait réfléchir sur mon identité de femme noire, afrocaribéenne, guadeloupéenne et française. Je m’appelle Patra. Bienvenue dans ma bibliothèque numérique.
[Générique]
Nous y sommes. Le tout premier épisode de Karukerament Litté. Si vous avez écouté mon épisode 0, vous savez que les premiers épisodes de ce spin-off de Karukerament seront consacrés à mon #condéchallenge. Le Condé challenge est un défi lecture que j’ai commencé en janvier 2021. Lire toute la bibliographie de Maryse Condé. Je n’ai qu’un seul critère de sélection : le livre doit être disponible en version numérique. Et Maryse Condé a beau être une des autrices les plus reconnues au niveau international, toute sa bibliographie n’est pas disponible en version numérique, à commencer par son chef-d’oeuvre, je ne sais pas, je n’ai pas pu le lire justement car il n’était pas disponible, “Ségou”... Bref, avec ce challenge, je voulais comprendre et voir ce que le public non-guadeloupéen voit pour encenser Maryse Condé et ce que le public guadeloupéen et que le public français ne voient pas. Comme cet épisode sera mis en ligne le 27 avril 2021, c’est ma manière à moi de commencer la célébration de la seconde abolition de l’esclavage. Je ne ferai pas la suite du hors-série sur la représentation de l’esclavage dans l’audiovisuel pour l’instant. J’ai encore besoin de récupérer mentalement par rapport à l’année dernière. Si vous n’avez pas encore écouté mon guide, vous pouvez aller l’écouter. C’est le hors-série 3. Mais je voulais quand même parler de représentation et surtout du positionnement de la personne qui crée. Et c’est ce que nous allons faire avec la thèse de littérature comparée de Maryse Condé réalisée sous la direction de René Etiemble et soutenue en 1976 à l’Université Sorbonne nouvelle. Cette thèse s’intitule Stéréotype du noir dans la littérature antillaise Guadeloupe-Martinique. Elle est en accès libre sur maryse-condé.manioc.org. Je vous mettrai le lien dans la barre de description. Voici une des nombreuses phrases qui m’a fait réfléchir.
L’authentique littérature antillaise est donc à naître et un temps viendra où tout ce que nous nous efforçons de conter aujourd’hui, aura la valeur pathétique des premières ébauches, des premiers témoignages, de nos difficultés à faire irruption sur la scène du monde.
Dans sa thèse, Maryse Condé passe environ 250 pages à retracer l’histoire littéraire de la Guadeloupe et de la Martinique en montrant que la plupart de ces auteurs, ou en tout cas une grande majorité, étaient motivés par une recherche d’authenticité. Qu’est-ce que l’authenticité culturelle dans une société colonisée ? Pour Maryse Condé, la réponse est dans la culture populaire et non dans les productions des élites. La forme n’a pas spécialement d’importance. Les contes oraux, les chansons populaires sont tout aussi légitimes que les romans pour témoigner et transmettre une culture qui se vit, qui se raconte. Cette citation apparaît dans la conclusion de sa thèse c’est-à-dire qu’elle arrête, pour, sa réflexion là où précisément commence la réflexion de l’Eloge de la Créolité de Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant en 1989. Que ce soit pour Maryse Condé ou le trio B2C, la littérature antillaise n’existait pas. Et je suis restée plusieurs minutes à relire la phrase de Maryse Condé et le passage dans l'Éloge de la créolité. Même en me remettant dans le contexte de leur époque, que je ne connais pas particulièrement mais je sais que l’Eloge de la Créolité n’a pas été bien reçu lorsqu’il a été publié donc j’entends que c’était novateur pour l’époque. Mais je n’arrive pas à adhérer à cette vision. Non pas parce qu’il n’y aurait pas suffisamment d'œuvres authentiques, peu importe la définition que vous donnez à authentique. Non pas parce que les écrits ne s’intéressent pas à l’ordinaire ou au trivial. Non pas parce qu’il n’y aurait pas de public prêt à accueillir et à aimer cette littérature. Je n’arrive pas à adhérer à cette vision parce que, pour moi, c’est s’auto-marginaliser par rapport à l’histoire littéraire des Antilles anglophones, hispanophones et néerlandophones. Sur ce point, Maryse Condé n’en parle pas mais le trio B2C oui. Sauf que, bon peut-être que je n’ai juste pas compris ce qu’ils voulaient dire par “nous les Antillais créoles avons une double solidarité” une avec les autres Antilles et une avec les autres pays colonisés… Et moi je comprends, quand ils disent les “autres pays colonisés”, “que les colonisés par la France” et non “juste colonisés” en général. Je sais pas. En tout cas, on reste toujours dans ce lien avec la France. En tout cas, dans les années 60/70, des auteurs comme V.S Naipaul, Derek Walcott, je sais on cite toujours les mêmes mais justement, eux ils s’étaient déjà fait remarquer au niveau international donc ces littératures antillaises se sont développées parallèlement dans des langues différentes, certes et pas nécessairement dans le créole créole, mais on ne peut pas nier qu’elles ont les mêmes racines donc l’expression “littérature antillaise”... C’est vraiment vague. Et je trouve ça d’autant plus paradoxal pour Maryse Condé parce que quand elle soutient sa thèse, ça fait 25 ans qu’elle a quitté la Guadeloupe. Elle avait déjà fermé le chapitre “vivre en Afrique” de sa vie, elle est active chez Présence Africaine et pourtant, à aucun moment dans son introduction elle définit les Antilles comme un espace géographique précis. Dans son titre, elle dit bien littérature antillaise Guadeloupe-Martinique mais dans certains passages sur les contes oraux, elle mentionne des points de référence dans la littérature haïtienne… Alors pourquoi ne pas faire un lien avec la littérature antillaise non-francophone ? D’autant plus qu’on a effectivement les mêmes personnages dans le folklore, il y a très peu de différence au niveau des noms, donc pourquoi pas ? Au final, je dis ça mais clairement toute sa bibliographie de romans montre bien qu’elle définit les Antilles dans leur pluralité culturelle et pas juste comme Guadeloupe-Martinique en lien avec la France. Ses personnages voyagent dans le monde et s’interrogent tout le temps sur leur identité. Elle a tout fait pour éviter ce qu’elle reprochait aux auteurs guadeloupéens qui l’ont précédée. Son approche de l’écriture est toujours de mettre le peuple noir au centre du récit et de mettre en lumière leur humanité.
En général, je ne recommande pas de lire un livre. Chacun est libre de ses choix. Mais une fois n’est pas coutume, je vous recommande de lire cette thèse. Maryse Condé est la reine des punchlines, mais ses propos restent toujours respectueux. Je n’ai jamais autant ri en lisant une thèse. Je pense que ça n’arrivera plus. En plus, son historique de la littérature antillaise Guadeloupe-Martinique est riche et précis en références d’ouvrages parfois tombés dans l’oubli. Avec raison, nous dit-elle. Elle vous explique par a+b pourquoi ces œuvres doivent restées dans l’oubli. Elle peut vous apporter une autre perspective sur des œuvres célèbres… notamment Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire qu’elle, et je cite, “ne considère pas comme un poème de révolte. Mais comme une tentative passionnée et tragique de donner à un peuple, la fierté de son origine, une manière de lui faire accepter un destin insoutenable, de se libérer par le sang qui préside à toute naissance, de ses frayeurs, de ses angoisses, de sa honte séculaire”. Fin de citation.
Donc ce qui m’a fait le plus réfléchir dans la thèse de Maryse Condé, c’est l’importance, quand on est autrice ou auteur, d’être clair sur son positionnement : de quel point de vue j’écris et pour qui j’écris ? Il est inutile d’attendre l’autorisation de qui que ce soit pour se placer au centre du récit, mais il faut faire attention à ne pas projeter un regard extérieur sur nous-même afin d’éviter de reproduire les stéréotypes négatifs. Les stéréotypes négatifs sont nombreux, mais ils amènent tous à la même conclusion : les Noirs doivent toujours souffrir. C’est tellement ancré dans notre système de représentation que cette souffrance est matière à sublimer la cruauté. Aujourd’hui, on parle même de Black trauma porn dans la pop culture, la pornographie du traumatisme noir. Certaines personnes trouvent une véritable jouissance dans la souffrance des Noirs. Mais le véritable problème pour moi c’est quand moi-même j’ai du mal à écrire sur le bonheur avec des personnages noirs. J’y arrive maintenant, mais j’ai dû me battre contre moi-même pendant plusieurs années et je continue encore. Et je me rends compte à quel point il est compliqué de se détacher du point de vue extérieur, qu’il est compliqué d’arrêter de se justifier d’exister, qu’il est compliqué d’arrêter de se justifier de se mettre au centre et de se valoriser. Mais il faut continuer d’essayer.
Je m’arrête ici pour aujourd’hui. Merci d’avoir écouté cet épisode. La transcription complète sera disponible sur karukerament.com. Pour suivre mon actualité, abonnez-vous à ma newsletter et vous pouvez me suivre sur les réseaux sociaux @karukerament. Vous pouvez utiliser le #condéchallenge pour partager vos impressions sur vos lectures de Maryse Condé. Je suis curieuse d’entendre vos avis. Rendez-vous à la prochaine page de Karukerament Litté. Adan on dot solèy. Kenbé rèd.