#streamcaribbean - "Ki Sòs Ou Vlé?" de Riddla (juillet 2024)
Ceci est ma dernière chronique longue sur les sorties musicales de 2024. Pour des chroniques courtes sur d’autres albums sortis en 2024, clique ici.
Affichant plus de 20 ans de carrière, Riddla est un conteur de la Guadeloupe des temps modernes. Rappeur, chanteur, acteur (+voix-off), auteur… Pour moi, il est l'artiste le plus polyvalent de sa génération. Ki Sòs Ou Vlé ? met en scène sa versatilité musicale. Du rap au bouyon en passant par le reggae, le dancehall ou encore le Zouk voire de la pop caribéenne et même du gospel, ce second album studio est un menu de choix pour les auditeurs occasionnels ou les amateurs de musique qui s’amuseront à retrouver les samples et les gimmick extraits de hits classiques caribéens, français et internationaux. A chacun de choisir sa sauce pour la dégustation.
Les thématiques reflètent la maturité d’un Guadeloupéen capable de pointer les incohérences voire les dysfonctionnements de la société. Sans tomber dans la moralisation ou la nostalgie, Riddla raconte les circonstances de la jeunesse comme dans “Lari Réyèl” dans un style trap ou dans “Respectable”, “Reverse” dans un style dancehall.
Au-delà des titres Bouyon ou Soca faits pour ambiancer les soirées comme “Bravoléfi - Bendova”, “Bénévolat” ou encore “Fais La Belle”, son art de conteur brille dans les chroniques du quotidien qui donnent le sourire comme avec “Enjoy”, “Pa Vin Fan Chyé Jod La”, “Chodo Gato” ou qui donnent le courage d’avancer avec “Ganyé (feat. Awno Josué, Naayel, Miila, Malika Theresine, Blue Melody School)”, “Devant” et “A La Maison”. Mais à l’instar de “Only You” où il aborde le thème de la jalousie dans le couple avec humour (winer n’est pas trompé!), c’est bien l’amour qui est le fil conducteur de cet album.
L’amour apaisant d’un père dans la berceuse reggae de “Bonne Nuit” apparaît presque comme un électron libre… Mais si on considère que l’album reflète l’état d’esprit d’un quadragénaire, cela fait sens d’intégrer le point de vue d’un père alors que nos hommes ont du mal à se défaire du stéréotype du père absent. Mais le père protecteur reste avant tout un homme. Sous la plume de Riddla, on entend le désir masculin. Parfois avec taquinerie dans “KDO (feat. DJ Tony Blanck)” ou “Katchoupine (feat. Warped)”, parfois avec sensualité dans “Semblant” ou “Body Contact”, parfois avec vulnérabilité dans “Obsession” (feat. Sodaade).
En conclusion, je ne savais pas exactement à quoi m’attendre. N’étant pas le public cible de Riddla, je ne peux pas dire s’il est sorti de sa zone de confort ou s’il est dans sa zone d’excellence. Je pense que l’équipe de producteurs/beatmakers de SCK Music lui permet d’explorer et de définir la guadeloupéanité de son art. C’est pour cette raison que je suis d’autant plus curieuse de voir si la finesse de ses descriptions des comportements féminins, des dysfonctionnements de la société se retrouverait dans des chansons se focalisant sur la vulnérabilité masculine. Le fait qu’il soit déjà capable d’exprimer la tendresse me ferait dire oui en théorie. Mais il n’y a que lui qui pourra le prouver s’il décide de relever ce défi.
La qualité de l’écriture, la versatilité musicale et la transmission culturelle dans chaque piste (il y en a 22!), et même dans les détails de la pochette, montrent le soin avec lequel Riddla l’entertainer a préparé Ki Sòs Ou Vlé?. Je pense sincèrement que c’est le meilleur album guadeloupéen de 2024.
Mes pistes Karukerament
Chaque piste peut servir à illustrer la culture guadeloupéenne que ce soit par rapport à la musique et/ou aux paroles, donc je ne sais pas laquelle choisir (oui, ça m’arrive parfois de ne pas avoir un avis tranché). S’il s’agit d’une promotion caribéenne, ses sons Bouyon comme “Fais La Belle” ou “Bravoléfi - Bendova” sont efficaces car ça sonne comme la Caraïbe anglophone mais les paroles ont la bonne dose de créole, français et anglais pour lui permettre d’être compétitif face aux artistes Bouyon. En plus, avec “Holy Wata”, il a une collaboration avec TK International (Triple K Band) sur une autre version du tube “Whistle While You Work”… Mais s’il s’agit de montrer la technicité musicale et parolière de Riddla d’un point de vue international, je proposerais :
Emoji Flamme - une intro d’album efficace avec une instru qui peut plaire à un public international. J’en suis sûre parce que c’est une production similaire à un des groupes de K-Pop de 2ème génération les plus appréciés à l’époque. Par contre, je n’ai rien compris au concept du clip-vidéo…
Chodo Gato - je crois que ce titre a été fait à partir d’un délire MAIS c’est la recette Kassav’: une musique dansante (ici un Zouk/Konpa), un message politique (dénonciation de la vie chère), la valorisation de l’identité culturelle (le chodo gato guadeloupéen) avec un clin d’oeil à la Martinique… Le tout enrobé de un créole haïtien… Vraiment une ambiance bal gran moun. Comme “All I Want For Christmas is You” de Mariah Carey a cette vibe nostalgie alors qu’elle l’a composée en 1994, “Chodo Gato” a cette vibe rétro qui devrait en faire un classique des baptêmes et autres fêtes familiales désormais.
Semblant - c’est un single sorti bien avant l’album. Personnellement, j’étais persuadée que c’était une parodie de Zouk Love… Mais si je prends la chanson au premier degré, et vu que je suis fan de danse, je suis tout à fait le public cible. La ligne mélodique a les codes du Zouk love pour danser (LES PAUSES! LES TOURS!) tout en faisant un clin d’oeil aux codes du konpa et du dancehall. Les paroles expriment l’intensité d’une danse entre tendresse et sensualité. A chacun de choisir s’il s’agit du Riddla joker ou du Riddla lover.