#streamcaribbean - Mythe 7

Avant de commencer, toutes mes excuses parce que je n’ai pas mis en ligne de capsule ni en mai ni en juin. Actuellement, je ne suis pas en mesure d'enregistrer un Podcast. Au lieu de continuer de vous faire attendre, j'ai décidé de vous partager mes notes pour cette capsule. Ce n’est pas la transcription de l‘épisode, mais c’est la version la plus proche de ce que j’aurais enregistré.

Mythe 1- 6 : le passé, rappel du pourquoi du contexte actuel.

Mythe 7 : le contexte actuel = les artistes antillais ont un succès éphémère, existent dans une temporalité courte

I- Quelle est l'image de notre Zouk aujourd'hui ?

  1. Nos artistes de Zouk ne sont bons que pour les tubes de l'été

  2. Nous sommes incapables de faire du bon Zouk depuis 2010.

C'est la perception de l'industrie nationale comme le racontent nos artistes en interview (exemple avec KRYS et Lorenz pour #streamcaribbean) et c'est le discours encouragé par les médias/créateurs de contenu (afrofrançais) aux grandes analyses dévalorisantes depuis 2019. 

Ma perspective Karukerament 

1) Être la tendance de l'été n'est pas négatif en soi

D’un point de vue national, la promotion devrait se faire en suivant une stratégie. Se promouvoir en France 2 mois sur 12, c’est la possibilité d’avoir plus de contrôle sur son rythme de vie. Pendant ces 10 mois, l’artiste peut se promouvoir ailleurs, créer,  s’occuper d’autres choses… OU se préparer comme il se doit pour ses activités en France. Donc quitte à être une musique saisonnière, autant être celle de la saison la plus chaude.  

D’un point de vue local, l’année est rythmée par des rendez-vous collectifs : les fêtes communales, le Carnaval, la Toussaint, Noël… Les grandes vacances ne sont qu’un moment parmi tant d’autres. Sans compter qu’il faut tenir compte de la saison cyclonique. Et il faut aussi voir comment la culture du festival a pris de l’ampleur dans toute la Caraïbe ces dix dernières années… Donc quand on réfléchit en terme de stratégie marketing et promotionnelle, tout est saisonnier. Il n’y a pas à se focaliser sur “c’est injuste de n’avoir du succès qu’en été”.

Donc oui, c'est méprisant de dire que “Les artistes antillais ne sont bons que pour des tubes de l’été”…  Mais dans la réalité de notre situation, qu’on ait des ambitions (inter)nationales ou pas, utiliser les saisons comme cadre pour s'organiser peut être une force pour construire une carrière. On peut dire que “stratégiquement, c’est plus intéressant pour les artistes antillais d’être en activité en été”. 

Ceci dit, dans les années 2010 - 2020, le succès grand public d’Aya Nakamura, de TayC, Dadju et autres artistes pop “urbaine” prouve que le Zouk fonctionne toute l’année en France. Donc le focus ne devrait pas être sur la qualité artistique, mais sur comment tirer profit de cet avantage. 

Note : à voir comment nos artistes “urbains” vont gérer leur cycle de visibilité du moment. Perso, je vois toujours les stratégies traditionnelles qui, à ce jour, n’ont pas donné les retombées attendues. Exemples avec l’album “Lapli Season” de YSN et le double album “Code 97” de DJ Quick sortis au semestre 1 2024… Rendez-vous dans un an pour voir les retombées. 

2) Honorer le Zouk du passé ne doit pas se faire au détriment du présent

J'ai demandé à @Lakazawtis de m'expliquer la vision positive de l’expression “rétro Zouk”. Elle a dit que c’était synonyme de label de qualité pour la génération moins de 30 ans. Et ça correspond au discours des DJs et des promoteurs de soirée qui veulent figer nos artistes dans le passé. En vérité, je crois qu'il n'y a pas vraiment de contestation sur l'utilisation du terme. Je doute même que ça prête débat à part pour Jocelyne Béroard et les artistes de “rétro Zouk” toujours en activité. Dans son autobiographie “Loin de l’amer”, Jocelyne Béroard explique en quoi l'expression était utilisée pour attaquer Kassav’ dans les années 90. Pourquoi 20 ans plus tard les générations suivantes revendiquent ce terme comme une référence positive ? 

Hypothèse : après 15 ans à nous matrixer le cerveau que notre Zouk contemporain ne vaut rien, on se regarde à travers le filtre colonial en se disant “ce qu’on a fait de meilleur, c’était avant. On est incapable de reproduire ça voire de faire encore mieux”.  Combien de DJs ont fait des TikTok et des Reels en disant “alors, le Zouk avant c’était mieux, n’est-ce pas ?” ?

Pourquoi j’ai du mal avec le terme “rétro Zouk” ?

1) Je ne comprends pas comment le terme rétro peut désigner une période du passé bien spécifique et en même temps inclure progressivement les périodes qui la suivent. Donc on peut parler de “rétro Zouk” comme label de qualité, comme tampon d’appartenance à notre patrimoine musical. Mais qui détermine ce qui entre au patrimoine et sur quels critères ? Est-ce que le patrimoine se limite à un nombre de chansons ? Est-ce qu’on peut en ajouter ? Si non, ça veut dire que ça ne sert à rien de créer puisqu’on sait déjà qu’on aura beau proposé de la qualité, on n’aura jamais la reconnaissance la plus haute.

De toute façon, on est toujours l’époque rétro d’une autre. Donc si c’est établi que rétro = Zouk des années 80/90/2000’s… Dans 20 ans, où classer les tubes Zouk des années 2020 comme “Gemini” de Yoan,Ji Kann’” de Ji Kann’ qui sont des classiques pour moi ? Sans compter que les artistes de “rétro Zouk” sont encore en vie… Ceux qui sont décédés, c’est à cause de la maladie ou par accident. Si Jocelyne Labylle, Slaï ou Jean-Michel Rotin sortent un Zouk inédit en 2024, qualifient-on leur musique de “rétro Zouk” alors que c’est contemporain ? Et comme c’est sorti en 2024, est-ce que ça veut dire que c’est de moins bonne qualité ? Qu’on parle de Zouk classique, de Zouk standard ou de Zouk 1ère/2ème/3ème etc génération, pourquoi pas ? Mais je ne comprends pas l’utilisation d’un mot qui signifie passé. 

2) sur le plan marketing international, le mot “Zouk” est déjà au fin fond des algorithmes. Nos artistes s’en sont tellement dissociés que ce sont les artistes Afrofrançais, haïtiens et réunionnais qui profitent de la visibilité international du Zouk. Déjà pour récupérer la main sur le mot “Zouk”, ça sera compliqué, mais si en plus il faut le subdiviser avec rétro, on aura 0 identification, 0 visibilité, même dans 50 ans. 

Exemple : les catégories aux Caribbean Music Awards. Le Zouk a disparu. Et la liste des nommés est un fouillis sans nom qui reflète l’absence de nos efforts pour se brander et se vendre au marché caribéen.

Note : les artistes de Shatta et de Bouyon ont négligé leur branding… Mon #shatta sur Spotify, c’est que du Bouyon et de la pop urbaine. Mon #Bouyon, c’est que du shatta et de la pop urbaine… Cherchez l’erreur.

3) pour moi, comme pour Miles Davis et tout expert de musique, le Zouk est une musique du futur. Donc pendant qu’on célèbre le “rétro Zouk”, ce qui m’intéresse vraiment, c’est comment on encourage et on soutient nos artistes contemporains à innover dans ce genre.  Et se mettre à sampler du “rétro Zouk” à tout va dans d’autres genres musicaux n’est pas non plus la solution pour que le genre se développe.

Notre longévité = une norme d'exception dans l'industrie fr

Le schéma pré-streaming : l’artiste perce début - mi vingtaine, enchaîne les albums jusqu'à mi trentaine et part en pause indéterminée s’iel arrive en vie jusque là. L'artiste qui tente de rester en activité après 40 ans vu comme has been. Le streaming a permis de revenir au schéma que Kassav’ incarne.

L’échelle Kassav’ : un intérêt pour la musique dès le plus jeune âge = développement de sa musicalité (phase 1), l’expérimentation dans la vingtaine = chercher son public (phase 2), l’explosion dans la trentaine = trouver son public (phase 3), la stabilité dans la quarantaine = faire sa musique avec sa formule (phase 4), la sérénité dans la cinquantaine et au-delà = plus besoin d’innover, juste profiter (phase 5). 

Les bénéfices financiers commencent à partir de la phase 3, augmentent pendant la phase 4, redescendent en phase 5 à un seuil plus élevé que la phase 3 malgré tout.  

La culture hip-hop/soul/R&B a changé le concept occidental de “jeunesse”. Les artistes US des années 90 sont encore en activité 30 ans plus tard. Ils remplissent des salles, font des festivals avec un catalogue qui n’a pas été mis à jour depuis au moins 10 ans. Leur âge n'est plus une limite arbitraire.

À l’inverse, on dirait que nos artistes sont vus vieux par défaut. Ils ont connu le succès tellement jeunes avec des tubes intemporels qu’on oublie qu’ils sont encore jeunes ! La génération vingtenaire active depuis les années 90 (Jean-Michel Rotin, Slaï, Alex Catherine etc) n’est encore qu’en début de sa cinquantaine. 

La génération vingtenaire émergeant fin 90 - début 2000 (KRYS, Admiral T, Perle Lama, Princess Lover etc) n’est encore qu’au début de sa quarantaine. Princess Lover n’avait que 24/25 ans quand elle a sorti l’album “Juste Moi”.

La génération Fanny J/ Kim/ Stony/Kalash est encore dans la trentaine… Fanny J avait à peine 20 ans quand elle a sorti “Ancrée à ton port”. Actuellement, elle n’a que 36 ans ! 

C’est pour ça que notre nouvelle génération d’artistes (Zouk) ne devrait émeger qu’à partir de 2024/2025/2026. Ce n’est pas que notre Zouk/Dancehall s’essoufflait voire était mort ces dix dernières années. C’est surtout que les artistes de ma génération ont été très productifs (pour ne pas dire exploités, mais c’est un autre sujet) sur la première décennie du 21ème siècle alors qu’ils étaient à peine sorti de l’adolescence. Leur productivité a été trop prématurée pour qu’ils déroulent pendant leur trentaine et il était encore trop tôt pour qu’une nouvelle génération arrive.

Exemple : pour mettre en perspective, une génération musicale = période de 20 ans. Les fils d’Admiral T sont encore dans leur phase 1 et ils commencent effectivement leur transition vers la phase 2. Leur père est en fin de phase 3 et se prépare à transitionner vers sa phase 4. Et il y a une nouvelle génération de musiciens issue des classes CHAM qui vont arriver dans les 3 à 4 ans… On peut s’attendre à de vraies innovations musicales dans la 2ème partie des années 2020. 

Sur l’échelle Kassav’, les artistes de ma génération ont vécu leur phase 1 sous les yeux du public et sont passés directement à la phase 3 sans passer par la phase 2 qui est primordiale pour développer son identité artistique sans la pression du rendement. Et dans le cas du Zouk, il y a aussi le fait que beaucoup de nos artistes n’ont jamais eu envie de briller par le Zouk… Donc comment le genre peut-il se développer s’il est fait majoritairement par des personnes qui n’ont pas envie de s’y consacrer  ? Sujet pour un autre jour…

L’échelle Kassav’ n’a pas de limite d’âge et n’est pas linéaire. La durée de chaque phase se détermine en fonction de l’âge auquel l’artiste commence la phase 1. Une fois la phase 1 lancée, on peut aller à la phase 3, revenir à la phase 2 pour aller à la phase 4… On est libre. 

Exemple : nos artistes de jazz toujours dans l’expérimentation. Tony Chasseur et Jacques Schwarz-Bart (61 ans), Michel Alibo (65 ans), Mario Canonge (63 ans), Franck Nicolas (+ 60 ans ?), les frères Fanfant, Thierry Vaton bientôt 60 ans…

Une carrière ne peut pas toujours être au beau fixe. La traversée du désert n’est qu’une question de perspective. En tout cas, nos artistes ont le temps. A condition qu’ils se concentrent désormais sur la construction de leur catalogue, leur branding et leur storytelling.

Les vautours nous ont fait perdre suffisamment de temps pendant les années 2010. Nos artistes ont été matrixés avec des problèmes d’un autre temps qu’ils continuent de ressortir aujourd’hui avec des formulations parfois identiques au point où j’ai l’impression que c’est un texte que tout le monde récite par coeur :  

  • il faut plus de streams pour signer en major,

  • notre peuple est petit, notre peuple ne nous soutient pas assez

  • on manque de structure

  • on n’a pas de visibilité, on n’a pas de force de frappe médiatique

  • on doit chanter en français si on veut être mieux compris  

  • au début je ne voulais pas faire de Zouk, mais…

  • on doit trouver un nouveau nom au Zouk (????!!!!!)

Et pendant ce temps, je le répète, on ne parle toujours pas de branding ni de storytelling, ni de stratégie marketing, ni de stratégie promotionnelle. Les réseaux sociaux ne sont pas maximisés… Ce n'est pas qu’une question de structure, c'est avant tout une question de vision et de trouver les bonnes personnes pour concrétiser la vision.

Exemple : la vision Shanika vs. la vision Holly G

La panique suscitée par le streaming est finie. La stratégie du single coexiste avec la stratégie de l’album. Les réseaux sociaux ne sont pas là que pour le buzz d’une sortie récente. Ils peuvent faire revivre des chansons des générations précédentes. Donc nos artistes peuvent sortir une chanson en 2024 et avoir une reconnaissance grand public que dans 5 ou 10 ans…

Il n’y a pas d’urgence à “péter tous les scores” . C’est NORMAL de galérer 5 ans voire plus avant de trouver son public. C’est NORMAL de connaître des périodes avec moins de succès, d’où l’importance de faire la musique qu’on veut sinon on devient amer. Seuls les vautours diront le contraire. Qui nous force à écouter les vautours ?

Conclusion

Les artistes antillais ont un succès éphémère. C’est faux. Cette impression qu’ils sont là depuis longtemps vient du fait qu’ils ont connu le succès à un jeune âge. Ils ont une longévité hors du commun pour l’industrie fr. Peut-être justement parce qu’on les a maintenus en périphérie. Ils ont réussi à se ressaisir même quand les vautours les ont bousillés. 

Les artistes antillais ont un succès national cyclique. C’est vrai en terme de médiatisation grand public, mais en vérité les communautés afro ont toujours soutenu le Zouk. C'est là qu’est l'argent de toute façon… 

Par contre, le défi pour notre Zouk est de sortir de cette case nostalgie, d'où l'intérêt d'aller sur d'autres marchés extérieurs, d’aller voir d’autres publics qui ne nous jugeront pas à travers le filtre colonial. 

Mythe numéro 8 : les artistes antillais ne peuvent faire carrière qu’en France