#streamcaribbean - "Phoenix" de Grégory Privat (février 2024)

Yé Moun La! C’est parti pour les chroniques d’albums #streamcaribbean des grandes vacances 2024. 


En 2020, je vous présentais Grégory Privat (Martinique) dans un Focus Karayib. Il s'en est passé des choses en 4 ans. En plus de ses albums solo comme “Yonn” (2022) et “Nuit et Jour” (2023), il a reçu le prix Django Reinhardt en 2024 qui le désigne comme le musicien français jazz de l'année… À l'aube de la quarantaine, il n'a plus rien à prouver. Et pourtant, il continue la prise de risque avec l’album “Phoenix” sorti en février. 

Si le côté épuré de “Yonn” et de “Nuit et Jour” donnait accès à un Grégory Privat plus sobre, plus intimiste, l'album Phoenix” nous fait reprendre l'exploration musicale entamée il y a plus de dix ans. Dans mon Focus Karayib, j'avais comparé la musique de Grégory Privat à un Big Bang. Permettez que je continue la métaphore en disant que sa musique est aussi solaire qu’un “Hypnotik Soleil”, son plus récent album collaboratif avec Franck Nicolas. 

De son talent de conteur dans “Ki Koté” (2011) à la fusion jazz pop électro de “Soley” (2020) en passant par le dialogue entre piano et percussions dans “Luminescence” (avec Sonny Troupé ; 2015), Grégory Privat coordonne tous ces éléments dans “Phoenix”. Avec Chris Jennings à la contrebasse et Tilo Bertholo aux percussions, il nous dessine un cosmos futuriste porté par les sombres aspects de l'histoire caribéenne. Comme l’annonçaient les photos promotionnelles de la chanson “Supernova”, le trio nous fait naviguer entre les étoiles et nous raconte une quête de lumière. 

À l'instar de la tracklist qui mêle les références culturelles que peut comprendre un public international, l'énergie solaire aux accents hip-hop de “Genesis” et “Heliopolis” lutte face à l'obscurité de nos problématiques contemporaines comme le scandale du chlordécone dans “Chlordeconomy”, la séparation/le chagrin à cause de l'absence dans “Lotbò-A” ou encore le manque de communication dans “Téléphone”. Les mélodies traduisent ce sentiment d'urgence de changement en devenant de plus en plus rapides jusqu'à atteindre le point d'orgue avec “Fè Lanmou”. “Apocalypse” marque un retour à la douceur. Ce qui a été détruit n'existe plus mais cela marque le début d'une nouvelle ère. Ainsi, c'est sur une note d'espoir que se finit “Phoenix”. Toujours poétique mais réaliste, le jazz de Grégory Privat n'oublie jamais le passé pour rester tourné vers le futur. Comme il le chante dans “Supernova”, la réponse à nos questions existentielles ne nous viendra pas de l'extérieur mais de la poussière d’ étoiles à l'intérieur de nos cœurs. 

Mes pistes Karukerament

Supernova: la voix chantée de Grégory Privat me déstabilise toujours, mais je trouve qu’elle fonctionne bien ici. La mélodie reste dans la tête. 

Chlordeconomy : j'ai l'impression d'entendre la rue, la voix du peuple demandant justice. 

Apocalypse : pour moi, elle incarne le mieux l'identité hybride caribéenne. Ce qui aurait pu être négatif et entraîner le chaos permet en réalité de créer un ordre nouveau et meilleur. Entre paroles en créole et en français, un aller-retour entre un jazz “classique” et un jazz “caribéen”. Les percussions discrètes mais bien présentes pour soutenir le piano… Un mélange subtil de cultures où l'humain peut s'épanouir. À condition de trouver le bon équilibre et c'est ce que nous cherchons. C'est ça, la Caraïbe.