“Au coeur du giraumon”, vie d’une jeunesse martiniquaise des années 1970

J’adore les histoires d’initiation… (ça sonne tellement mieux quand on dit “coming-of-age story”). Dans mon cheminement pour renouer avec le plaisir de la lecture, j’ai choisi Au coeur du giraumon (le couteau seul ce qui se passe) de Muriel Tramis.

Dans la Martinique des années 1970, Séverine la Békée, Paola la mulâtresse et Eliette la négresse se sont rencontrées à l’école catholique. Trio symbolisant les principales origines de la société antillaise du XXe siècle, elles incarnent chacune le tiraillement entre un désir de liberté et la conscience des limites que leur statut de femme leur donne à l’intérieur et à l’extérieur de leur caste respective. Leur éveil à l’amour et à la sexualité passe par un questionnement constant sur leur identité, sur l’Histoire, sur l’île.

Quand j’étais adolescente, j’en ai lu des romans sur le thème de la jeune fille qui vit ses premiers émois amoureux et se sent prête à affronter le monde après plusieurs pages d’ascenseur émotionnel. Bien qu’étant capable de faire la dissociation entre fiction et réalité, ces expériences fictionnelles ne me parlaient pas autant que je le souhaitais. J’ai lu Gisèle Pineau, j’ai lu Maryse Condé, mais ce que j’ai lu de leur littérature jeunesse n’utilisait pas une approche aussi directe que Muriel Tramis sur les thèmes croisés de l’identité caribéenne au féminin, le plaisir sexuel et la place des femmes dans la société caribéenne. Dans Au coeur du giraumon, le projecteur reste toujours sur la jeunesse. Les personnages ne sont pas des désoeuvrés, ni des riches écervelés. L’école et la musique effacent les barrières socio-économiques que leur famille respective rappelle à différents moments. Le fait que l’histoire se déroule dans les années 1970 donne une lumière particulière à ce discours politique sur les espoirs, les ambitions, les peurs de ces jeunes qui philosophent constamment sur leur existence et sur l’ordre du monde.

Je ne peux pas dire que j’ai adoré ce roman. Certains propos, certaines situations m’ont quand même fait tiquer. Peut-être est-ce une question de sensibilité, mais la notion de consentement explicite est importante pour moi. Surtout quand les personnages sont jeunes. Quoi qu’il en soit, chaque situation proposée répondait à ma soif de lire des fictions sur les préoccupations de ces femmes que mon moi enfant a connu quand elles étaient déjà adultes et ne concevait pas la vie qu’elles avaient pu avoir avant d’être ma voisine, ma tante, ma cousine etc. Au coeur du giraumon est un voyage dans cet univers caribéen riche et haut en couleurs. Il ne s’agit pas de femmes au destin brisé par un homme et sans perspective d’avenir. Les mouvements sociaux de l’époque sont loin en toile de fond mais il ne s’agit pas d’une chronique d’histoire sociale où il y a une révolte pour renverser la société. Paola, Eliette, Séverine veulent se faire leur place et sont prêtes à se battre. Leur vision de la négritude, le colorisme, la créolité se fait, se défait au rythme des épreuves qu’elles traversent et les définissent comme être humain à part entière.

Qu’est-ce qu’être un.e jeune Caribéen.ne ? Comment s’épanouir en tant qu’individu ? Comment se construire et décider où aller quand on est conscient de la violence du passé qui a conduit à notre existence ? Au coeur du giraumon ne cherche pas à donner une réponse universelle mais ces parcours individuels imaginés insistent sur ces interrogations qui restent d’actualité encore en 2017.

ndlr : cet article a été publié pour la première fois sur myinsaeng.com le 31/03/2017.

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