La Baie des Flamboyants ou une localisation sans flamboyance
Adapté d’une telenovela mexicaine, La Baie des Flamboyants est un feuilleton diffusé entre 2007 et 2010 sur RFO (disponible désormais sur Youtube). Les critiques (bon okay, juste ma famille qui vit en Guadeloupe et les forums) que j’avais entendues à l’époque ressemblaient aux reproches faits aux sitcoms d’AB Productions des années 90. Les acteurs jouaient mal, les intrigues n’avaient pas de réalisme… Comme si les telenovelas d’Amérique du Sud dont les Antillais, moi la première, sont si friands pouvaient se vanter d’avoir des acteurs dignes d’un Emmy et des intrigues ciselées.
Si ce n’était pas la première fois qu’une production française prenait la Guadeloupe pour décor, l’originalité de La Baie des Flamboyants était de raconter la vie des locaux. Enfin… Ce feuilleton a tenté, dirons-nous. Il a surtout renforcé certains stéréotypes en laissant joyeusement de côté la richesse visuelle de la Guadeloupe mais surtout en effaçant ou en interprétant les enjeux de classe et de race des îles caribéennes francophones que du point de vue métropolitain. Mes propos se limitent aux cents premiers épisodes. Je n’ai pas eu la force le temps de regarder au-delà. Je ne disserterai pas sur les nombreuses incohérences scénaristiques parce que je n’ai pas mon diplôme en sitcomologie pour le faire avec panache. Ce qui m’intéresse ici est la localisation manquée de cette telenovela à la française.
Des décors impersonnels
Quand une série se passe à New-York, Miami ou Paris, le téléspectateur peut généralement faire la différence immédiatement rien que par rapport aux décors qui lui sont familiers sans nécessairement faire partie de son quotidien. Cela aurait dû être la même chose avec la Baie des Flamboyants, mais tous les décors étaient la Guadeloupe telle que la voient les touristes qui se limitent à l’aller-retour hôtel-plage. Je ne me souviens pas que le nom même de l’île soit prononcé au cours des cents premiers épisodes et la commune de Saint-François n’est citée que deux ou trois fois. Les rares scènes d’extérieur étaient en décalage avec ce qu’elles voulaient représenter. Par exemple, Porc Epic Ludovic (Nicolas Suret) et Cynthia (Murielle Hilaire) tombent en panne à quelques mètres d’un rond-point et marchent « des » kilomètres dans un coin perdu en suivant une route pourtant fréquentée par plein de voitures passant en arrière-plan. Les routes sinueuses des Grand-fonds auraient été plus appropriées pour parler de « coin perdu ». De même, la meilleure amie de la mère de Cynthia vit dans un quartier “populaire”, mais son appartement est quand même cossue. La touriste hippie étrangère qui vit seule sur la plage parce qu’elle veut retrouver une connexion à la Nature… C’est tout droit dans la tradition AB, du mythe Robinson Crusoé cher aux Occidentaux, mais…
Quant aux décors d’intérieur, ils étaient neutres à l’européenne. Seule la maison du M. Delerme, le Béké, avait un semblant d’antillanité (oui, je sais, l’ironie de la situation) alors que les autres maisons avaient un mobilier qui aurait au moins pu refléter les différences de classes sociales.
Des classes sociales sans class’
A partir du moment où on fait le choix de représenter les Blancs-pays, la question de la symbolique de leur présence sur l’île se pose, d’autant plus quand ce personnage doit être attachant avec une storyline où il s’est fait voler sa fortune par une croqueuse de diamants. Passer sous silence l’histoire des Blancs-pays pour dépolitiser la situation, soit. Nous ne sommes plus à ça près. A la réflexion, je crois que ce qui m’a déstabilisé le plus est le manque de flamboyance des personnages qui étaient censés être vraiment riches, censés dépenser beaucoup alors qu’ils avaient l’air d’être de la classe moyenne basse. Par exemple, entre Cynthia la Candy Girl, c’est-à-dire la gentille fille ayant grandi dans une famille monoparentale où les fins de mois étaient difficiles, et Johanna (Cindy Minatchy), la garce riche mais dont les parents ne s’occupent pas… Il était difficile de les différencier parce qu’elles s’habillaient de la même façon. Ce n’est pas parce qu’on est sous les tropiques qu’il n’y a pas moyen de varier le style léger, décontracté, moderne, sexy.
Aucun personnage n’avait l’air riche, à part Arthur (Grégory Templet) qui conduit un 4×4 une fois et Alexia (Jessy Atty) dont les scènes étaient généralement dans des décors d’hôtel de luxe. Et c’est là que La Baie des Flamboyants a « innové » en créant des personnages noirs, riches et qui assument. Problème, ils étaient les machiavéliques de l’histoire… Et je n’ai pas envie d’y lire aussi du colorisme. Non vraiment, je n’ai pas envie…
Black love, où te caches-tu ?
… Mais puisque nous sommes sur le sujet du colorisme. L’une des critiques les plus virulentes était une distribution majoritairement “claire” qui ne serait pas représentative de la jeunesse antillaise… Personnellement, je crois que le degré de mélanine de la distribution a été évalué par rapport aux parents qui établissaient de façon irrémédiable qu’un tiers des personnages jeunes étaient des métis directs. Soyons francs. Il y a très peu de personnages à la peau foncée dans les telenovelas et je ne crois pas que le public antillais s’insurge sur cette représentation biaisée de la population sud-américaine… En tout cas, il fait avec et il aurait très bien pu le faire pour la Baie des Flamboyants, mais autant de couples mixtes au centimètre carré…
Ce n’est pas drôle en fait. Ce choix scénaristique est l’énième preuve que l’amour heureux entre noirs n’existe pas pour la télévision française. Ceci étant dit, la Baie des Flamboyants ne se limite pas qu’aux couples mixtes et couples 100% blancs. Le fait même que les personnages d’ados/jeunes adultes soient interprétés majoritairement par des non-blancs réduisait le nombre de couples mixtes possibles. Fait rarissime, le chassé-croisé amoureux principal est exclusivement non-blanc. Même s’ils passent par la case fauxceste, Cynthia et Christian (Siegfried Ventadour) s’aiment. Johanna est folle de Christian mais le trompe avec Arthur dont Isa (Luana Papa) est amoureuse. Plus telenovela que ça, on ne peut pas.
Petite mention spéciale pour le personnage de Raphaël (Anthony Le Mouroux) qui est aveugle. Je pense que le validisme a encore de beaux jours dans la société guadeloupéenne, mais la sensibilisation pour ne plus rejeter ceux considérés comme “différents” est en marche. Je n’étais pas particulièrement convaincue par la storyline ni sa représentation MAIS je salue l’effort.
Pour résumer, La Baie des Flamboyants porte un double filtre : la vision française de ce qu’est une telenovela d’Amérique du Sud et la vision métropolitaine de ce que sont les Antilles. Comme je l’ai dit en introduction, je parle bien de localisation manquée et pas de localisation ratée. Manquée parce qu’une série avec autant d’épisodes qui met en scène autant d’Antillais, cela n’avait jamais été fait et qui sait combien de temps il faudra attendre pour en revoir une. C’était donc l’occasion de faire un impact de façon positive. Le feuilleton a quand même fait de bons taux d’audience, mais il n’avait pas pour mission de divertir en s’attachant à la réalité (même si rester dans la même cohérence interne à l’histoire est le minimum syndical qui nous est refusé une fois encore). Aurait-il pu aller plus en profondeur ? Sans aucun doute. Ce n’est pas parce qu’on est une telenovela qu’on ne peut pas aborder de façon frontale des thèmes comme le racisme, la discrimination raciale, la ségrégation. Les deux exemples les plus récents que j’ai en tête sont Fleur Caraïbe et Les couleurs de la liberté qui romancent mais n’atténuent pas l’impact du racisme institutionnalisé. Le feuilleton aurait-il dû aller plus en profondeur ? Non. Ce niveau de méconnaissance du fonctionnement de la société guadeloupéenne (quand bien même les scénaristes auraient été aidés par des locaux) faisait courir le risque de véhiculer une image tellement erronée si l’intrigue avait cherché à traiter des thèmes sérieux qu’il aurait été d’autant plus difficile à combattre cette image pour ceux qui tenteraient de produire une série antillaise avec du fond par la suite. Cette série, je suis sûre qu’elle est en préparation dans une maison de prod’ quelque part.
NB: cet article a été publié pour la première fois le 30 juillet 2016 sur myinsaeng.com.